En pers. Mocharrafodin ebn Mosle Sa‘di, poète persan (Chirāz 1213 - † v. 1292).
Sa province, le Fārs, étant devenu le théâtre de très importants troubles provoqués par l’imminence de l’invasion mongole en Perse, le jeune Sa‘dī quitta sa ville natale et alla poursuivre ses études à Bagdad, où il fréquenta par la suite la célèbre académie Nezāmiye. Ses « humanités » terminées, il ne se tourna pas vers son pays, fortement bouleversé par les armées de Gengis khān ; il préféra visiter le monde et entreprit un périple qui allait durer plus de vingt années. Ce sont sans doute ces longues fréquentations avec des populations et des sociétés différentes qui lui permirent, à son retour à Chirāz en 1256, de composer en deux années successives ses deux chefs-d’œuvre, l’un en vers, le Verger (Bostān), l’autre en prose rimée, le Jardin des roses (Golestān). Devenu rapidement célèbre, Sa‘dī consacra la deuxième partie de sa vie à une œuvre de panégyriste, mais surtout à la composition d’œuvres lyriques, ou ghazal. Il mourut retiré dans son monastère vers 1292.
Le Verger et le Jardin des roses font partie de ces œuvres à caractère universel dont la célébrité dépasse les frontières du pays d’origine. Mais quel enseignement peut-on tirer de Sa‘dī le moraliste et plus particulièrement de son fameux Jardin des roses ? Dans chacun des huit chapitres de cet ouvrage, un sujet est traité en profondeur : anecdotes, récits, citations d’auteurs anciens, poèmes de Sa‘dī lui-même concourent à illustrer tel thème ou tel trait que l’auteur a voulu mettre en valeur. Ainsi le lecteur est-il entretenu du « comportement des rois », de la « conduite des derviches », des « avantages de la sobriété », de l’« utilité du silence », de l’« amour et de la jeunesse », de la « vieillesse », de l’« influence de l’éducation » et des « règles de la conversation ». À la suite des multiples observations qu’il a pu faire dans des pays aux mœurs variées, et après son retour dans la société de Chirāz, qui se remet tout juste des soubresauts consécutifs aux féroces attaques mongoles en Perse, Sa‘dī ne peut se départir d’une certaine dose de pessimisme. On remarque son antipathie pour ceux qui ne recherchent que le profit et les richesses matérielles. L’on sent son inclination pour la tolérance, l’ascèse et la pureté des sentiments, vertus recherchées par tout esprit qui se veut libre et juste. Cette morale de la « mesure » serait banale et les récits monotones si Sa‘dī n’utilisait pas une plume agile et colorée, remplie d’humour, qui, loin d’engendrer l’ennui chez le lecteur, l’amuse et le charme, C’est ce même regard curieux sur les choses et les êtres, reflétant à la fois une réelle gravité et un humour charmant, que l’on retrouve dans les ghazal du poète. Ce genre lyrique atteint avec Sa‘dī une perfection incomparable, perfection qui sera égalée plus tard avec l’œuvre de Hāfez (Ḥāfiẓ*). Sérieux et simplicité voisinent avec profondeur et limpidité : chaque poème est à lui seul un petit drame où l’acteur-poète laisse échapper ses émotions devant la beauté, la nature, ses peines devant la cruauté, le despotisme, la trahison, ses propres faiblesses aussi ? Nulle aigreur, nul remords, mais une confiance totale dans la pureté du lieu qui unit le sage à Dieu. Mysticisme ? Sans doute, mais surtout une connaissance et un amour infinis pour la terre et les créatures accompagnent sans cesse la conscience profonde qu’a le poète de la fragilité de la demeure humaine.
B. H.
H. Massé, Essai sur le poète Saadi, suivi d’une bibliographie (Geuthner, 1919).