Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sacrement (suite)

Car voilà bien le moyen terme entre le sacrement (le Christ, Homme-Dieu et Sauveur) et les sacrements : l’Église elle-même. Le IIe Concile du Vatican a bien mis en valeur que celle-ci était elle-même « le sacrement, c’est-à-dire le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (Constitution dogmatique sur l’Église « Lumen gentium »). Déjà, saint Paul assimilait si bien sur ce point le Christ et son Église qu’il chantait tout d’une traite « le grand sacrement de la piété, manifesté dans la chair, justifié dans l’Esprit (ce qui s’applique davantage au Christ), vu des anges, proclamé parmi les païens, cru dans le monde (ce qui est plutôt le fait de l’Église), emporté dans la gloire (ce qui revient au Christ) » (I Timothée, iii, 16).

Conjointe au Christ, en effet, la structure de l’Église est également « sacramentelle », son organisation l’implantant solidement dans le temporel, mais cet aspect tangible devant être avant tout le signe — que l’on voudrait aussi limpide que possible — de la réalité mystique qui la constitue.

Or, par quels moyens l’Église est-elle constituée comme telle, sinon par les sacrements. Ceux-ci agrègent les fidèles (baptême), les nourrissent (eucharistie), les pétrissent de l’Esprit du Christ (confirmation), les réconcilient (pénitence) et les disposent à leurs fonctions vis-à-vis des autres membres du Christ (ordre et mariage). Conjointement au Christ, l’Église est à la fois la source qui dispense les sacrements aux hommes et l’effet de ces derniers, puisque c’est d’eux qu’elle est peu à peu formée, jusqu’à ce qu’elle réunisse, au ciel, au purgatoire ou sur terre, tous les membres du Corps du Christ. Tout est donc sacramentel dans le christianisme, du Christ à son Église, par les moyens des sept sacrements fondamentaux.


Humanité des sacrements

Rien de plus naturel aux hommes que la démarche sacramentelle : c’est bien pour quoi on la retrouve universellement.

Cette démarche correspond en effet à notre besoin de voir, de toucher et de sentir, et nous fait atteindre les réalités de l’esprit, en nous fiant aux « correspondances » entre le monde matériel et le monde spirituel : l’eau, qui noie ou vivifie, permet d’expérimenter au croyant qu’il est mystiquement (= sacramentellement) plongé dans la mort du Christ pour ressusciter avec Lui à une vie nouvelle, et ainsi de suite...

Cette expérience dépasse la pure connaissance : c’est une démarche, donc une action, qui fait réagir l’un sur l’autre, l’un par l’autre le corps et l’âme. La génuflexion corporelle tend à provoquer l’attitude spirituelle correspondante, à moins que ce soit, à l’inverse, le mouvement intérieur d’adoration qui demande à s’exprimer physiquement en faisant plier le genou. Toute la liturgie se fonde sur cet engrenage des gestes à la prière et vice versa. La connaissance qu’on peut en retirer ne vient qu’en accompagnement, comme une conscience de ce qu’on a fait. Et c’est ainsi qu’aux premiers siècles les sacrements n’étaient expliqués qu’après coup à ceux qui les avaient dûment reçus. Par contre, on voit les sacrements incompris ou même reniés chaque fois que triomphe une psychologie dualiste, minimisant les rapports de l’âme au corps. Et pareillement aux époques d’individualisme.

Une religion individuelle pourrait, en effet, à la rigueur, se passer d’extériorisation, comme en témoignent certaines formes du protestantisme. Mais, à partir du moment où la religion comporte un aspect communautaire, il faut des lieux et une action où la communion puisse s’exprimer. Saint Thomas d’Aquin insistait sur cette opportunité « sociale » non moins que « psychologique » des sacrements.

Mais ne risque-t-on pas d’encourager un pur formalisme, qui apaise la conscience religieuse par l’observance de rites tout extérieurs et qui n’engagent finalement à rien ? Répondons que, si le concile de Trente définit au xvie s. l’efficacité sacramentelle comme « ex opere operato », il ne veut certes pas dire qu’elle serait automatique. C’est seulement pour insister avec toute la Tradition chrétienne sur le fait que le sacrement, institué par le Christ, est une conjonction où l’homme n’agit pas seul : c’est aussi, c’est surtout un acte du Christ, qui peut faire son effet même si le ministre est indigne (par exemple, un prêtre coupé du Christ par son péché peut donner le Christ) ou si le baptisé est un petit enfant inconscient de ce qui lui arrive. Ainsi, grâce à Dieu, la valeur du sacrement n’est pas indéfiniment suspecte, comme si elle ne dépendait que de facteurs aussi incertains que la bonne volonté des hommes. Il suffit que ceux-ci ne fassent pas positivement obstacle au don du Christ en allant contre ce que la démarche signifie.

On ne saurait s’en tenir sciemment à ce minimum. Dans la mesure où les symboles matériels sont porteurs d’une signification spirituelle, ils ne deviennent « sacrements » que si la foi les prend pour tels et y discerne donc cet « engagement » où Tertullien voyait l’essentiel du sacrement. Ils sont tellement le signe de la foi que la Tradition les appelle couramment les sacrements de la foi.

Mais, si « tout est sacramentel dans l’Église », à commencer par l’Église elle-même, pourquoi seulement sept sacrements ? De fait, l’histoire religieuse en comporte bien d’autres, qui se trouvent aussi dans le christianisme : par exemple les ablutions rituelles (eau bénite) ou le pèlerinage*. Ce n’est que progressivement que l’Église a déterminé dans ces innombrables « signes sacrés » les sept « sacrements » proprement dits, comme étant ceux dont l’institution est indiquée dans le Nouveau Testament — au moins dans leur principe, l’Église ayant reçu mission de leur « donner corps » en les entourant de cérémonies et de prières qui viennent orchestrer leur signification.

Mais l’Église — qui tient à éviter tout déséquilibre — se garde de valoriser uniquement ces sept sacrements par rapport aux autres signes sacrés. En réalité, il y a tous les degrés, par exemple, de « confession », depuis l’aveu tout intérieur à la prosternation devant Dieu, à l’acte pénitentiel du début de la messe — qui a déjà valeur d’Église, puisqu’il est liturgique — et à la confession sacramentelle proprement dite.

Au surplus, baptême, confirmation, eucharistie, pénitence, ordre, mariage et onction des malades s’ordonnent si bien aux grands axes de la condition humaine qu’ils viennent consacrer les rites de passage universels.

C. J.-N.