Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

Sachs (Nelly) (suite)

Les deux cycles poétiques Et nul ne sait comment continuer (Und niemand weiss weiter, 1950-1956), publié en 1957, et Fuite et métamorphose (Flucht und Verwandlung, 1956-1958), publié en 1959, tous deux d’une grande pureté de langue, ont été réunis aux précédents recueils en 1961 sous le titre de Voyage dans la contrée sans poussière (Fahrt ins Staublose ; traduit en français sous le titre de Présence à la nuit), qui contient le message de Nelly Sachs : la confiance dans une régénération après la mort qui ne fait que nous délivrer de la poussière, matière dénuée de toute essence divine et qui nous masque la lumière. Le lyrisme de Nelly Sachs ne perd rien de sa vigueur, même au cours des dernières années de sa vie, durant lesquelles l’écrivain a fait un long séjour dans une maison de santé. De 1961 à 1966 naissent La vie célèbre encore la mort (Noch feiert Tod das Leben, 1961), Brasier d’énigmes (Glühende Rätsel, 1964), la Passion d’Israël (Das Leiden Israels, 1964), puis Poèmes récents (Späte Gedichte, 1965) et Celle qui cherche (Die Suchende, 1966). Enfin, Nelly Sachs a publié de nombreuses traductions du suédois, notamment Johannes Edfelt (1958), Gunnar Ekelöf (1962), Erik Lindegren (1963), Karl Vennberg (1965).

Elle reçut en 1957 le prix de littérature décerné par l’Union des poètes suédois, puis, en Allemagne, le prix Annette von Droste-Hülshoff (1960), le prix de la ville de Dortmund (1961) et le prix de la paix (1965). Sa gloire fut enfin consacrée en 1966 par le prix Nobel, qu’elle partagea avec Samuel Agnon*.

Son œuvre, qui allie le symbolisme hassidique à la méditation solitaire, nous révèle le sort du peuple juif, mais traduit aussi, par ses accents très personnels, l’inquiétude de l’homme face à l’univers et à son destin.

E. T.

sacré

Dans la phénoménologie religieuse, concept désignant le sentiment du divin et/ou la présence d’un dieu.



Analyse conventionnelle de la notion de sacré

L’explicitation de la notion de sacré nécessite une différenciation précise des trois aspects du surnaturel :
— l’impureté, qui provoque une réaction de répulsion et dont on cherche à éviter le contact (c’est la fonction du tabou) ;
— la force magique, qui capte, au lieu de les fuir, les forces surnaturelles impures, dans l’intention d’en utiliser, parfois d’en asservir la puissance ;
— le sacré religieux, sorte de synthèse compromis des deux aspects précédents, qui s’établit dans la pureté — reprenant ainsi à son compte les rites qui éliminent l’impureté — et donne à l’humain un fondement transcendant (au-delà et autre que lui-même).

Cela permet d’élucider les rapports et les différences entre magie* et religion*.

La notion d’impureté recouvre tout ce qui symbolise ou constitue effectivement une menace — virtuelle ou présente — pour le système des normes sociales.

Le magicien acquiert la puissance surnaturelle en assumant l’impureté ; il devient un individu en marge et manifeste son extériorité aux normes du groupe en les transgressant. Cela est vrai pour la « magie noire », la sorcellerie* ; en revanche, la « magie blanche », officialisée, se fait garante de l’ordre social — à tel point que les magiciens « blancs » s’érigent en chasseurs de sorciers —, ce qui constitue une première transition vers l’attitude religieuse correspondant à la notion de sacré.

Le sacré (« pur »), tout en restant une force surnaturelle, fonde l’ordre social — dont il est le modèle — au lieu de le menacer. Les conditions sociales réelles dans une société donnée sont conçues, dans une telle optique, comme une copie, un reflet, qui, tout en s’efforçant d’atteindre à la perfection du modèle, trouve en lui justification et raison d’être. Sacré et religion constituent le fondement et la garantie de la domination sociale et de son maintien.

Avec la notion de sacré, le rapport purement oppositionnel (impureté, magie) devient rapport contractuel de « participation » de l’humain (conditions sociales concrètes) au surnaturel. Ainsi, tout en décrivant les conceptions religieuses comme « ayant, avant tout, pour objet d’exprimer non ce qu’il y a d’exceptionnel et d’anormal dans les choses, mais, au contraire, ce qu’elles ont de constant et de régulier [...] », E. Durkheim* définissait le sacré comme un hypostase de la cohésion et de l’équilibre sociaux. Le surnaturel, conçu comme impureté, implique une menace pour le système social qui s’en défend, alors que, par la médiation du surnaturel conçu comme sacré, le même système se trouve légitimé tautologiquement par un prototype transcendant — lui-même élaboré sur le modèle de l’ordre social établi. Au terme de ce retournement, la réalité sociale n’est plus que reflet, tandis que le prototype abstrait recèle toute réalité et, par conséquent, le fondement de celle-ci.


Refus du contact avec l’impur


Le tabou de l’impureté

Il n’est pas motivé rationnellement et la nature de la sanction consécutive à sa transgression n’est pas toujours précisée : il s’agit, cependant, le plus souvent, d’une enflure du corps, de la mort ou du malheur. Cette sanction reste toujours très générale, à l’encontre de celle du non-respect des interdictions magiques (tabous homéopathiques), qui entretient avec l’acte prohibé un rapport de similarité.

Chez les Papous d’Amboine, la transgression des tabous de propriété provoque l’enflure et la mort du coupable ; aux Tonga, on croit que le foie ou un autre viscère menacent d’enfler. Il s’agit, dans ces deux exemples, de tabous d’impureté proprement dits. En revanche, l’interdiction des jeux de ficelles intimée aux enfants esquimaux de la terre de Baffin est censée leur éviter, plus tard, d’emmêler la ligne du harpon ; il s’agit ici d’un tabou homéopathique.

Toute violation de tabou est considérée comme génératrice de malheur ; inversement, lorsque survient une calamité inexpliquée, on recherche quelle transgression passée a pu la motiver.

Chez les Tlingits, « toute dérogation aux usages reçus, toute chose extraordinaire est désignée sous le nom de chlakass et considérée comme la cause universelle de tout ce qui arrive de fâcheux : mauvais temps, maladie, échec à la guerre, insuccès à la chasse [...] » (Krause).

En cas de trop grande sécheresse, les Bantous* tentent de découvrir la violation susceptible de l’avoir provoquée et s’aperçoivent fréquemment qu’une femme de la tribu avait dissimulé un avortement.