Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
S

sacré (suite)

La sanction consécutive à une transgression de tabou menace le groupe dans son ensemble et non le seul individu coupable : il ne s’agit pas d’une notion morale de péché (ainsi, que la transgression ait été volontaire ou involontaire, la sanction reste la même). La réprobation publique à laquelle est voué le coupable résulte du fait qu’il est devenu lui-même impur, tabou et, en tant que tel, constitue une menace pour tout l’ordre social s’il demeure au sein du groupe. Selon la gravité de la transgression, on le bannit, on le met à mort ou on le soumet à des rites de purification.

Dans certains cas, le groupe assortit des sanctions civiles à la sanction intrinsèque au tabou. Aux Hawaii, le coupable était mis à mort par la police du roi. En Mélanésie, le tabou garantit le droit de propriété, et la sanction surnaturelle passe au second plan.

Toute violation étant menace de malheur pour la totalité du groupe, par un processus similaire, l’observation plus stricte ou la multiplication des interdits sont conçus comme conditionnant les chances de succès d’une entreprise périlleuse ou difficile.

Aux îles Trobriand, les hommes observent une abstinence sexuelle rigoureuse lorsqu’ils sont en guerre ou lorsqu’ils s’engagent dans une expédition maritime. En Assam, les guerriers quittent l’habitat conjugal et ne consomment d’aliments que ceux qui n’ont pas été cuits par une femme.

On observe la même abstinence sexuelle chez les Bantous (guerre, chasse du gros gibier) et chez les Tlingits (chasse du phoque).

Souvent, le jeûne vient s’ajouter à l’impératif de chasteté, ce qui infirme l’interprétation de certains anthropologues quant à l’abstinence sexuelle (interdiction qui serait motivée par la nécessité d’une pleine possession des forces physiques en vue d’activités particulièrement hasardeuses).

Outre l’intensification des tabous déjà existants (sexualité, nourriture), les tribus des Hawaii, lorsque le chef était malade, instauraient de nouveaux tabous qui, pendant quarante jours, paralysaient quasiment toute activité : enfermer ou museler les animaux domestiques afin que leurs cris ne soient pas entendus ; ne pas allumer de feu ; ne pas lancer de canot à la mer ; ne quitter sa maison que pour assister aux cérémonies religieuses. Il arrivait, également, que certaines régions, certains fruits ou certains animaux fussent déclarés tabous pour une période plus ou moins longue. Toute communication avec la région en question était alors bloquée et la consommation des aliments tabous interdite.

L’extension des tabous à un nombre plus important d’individus constitue également une protection efficace dans certaines situations particulières ; ainsi, chez les Tongas, lors d’une épidémie, l’impératif de chasteté devait être observé aussi bien par ceux qui n’étaient pas atteints que par les malades eux-mêmes ; les mêmes Tongas, face à une maladie individuelle, jugent indispensable que le conjoint respecte les mêmes prohibitions que le malade.


Rites de purification : contagion et transfert de l’impureté

L’impureté se transmet par contagion (contact, contiguïté). Ainsi, lorsque le chef est tabou, les objets qui lui appartiennent, ceux qu’il touche, son ombre le sont aussi.

Le tabou concernant les chefs semble difficilement explicable en termes d’impureté : on peut, cependant, supposer qu’à l’origine le chef a été tabou en tant qu’individu hors du commun, échappant aux règles du groupe social qu’il gouvernait ; par la suite, la perception du chef comme garant de l’ordre social s’accrut corrélativement au développement de la notion d’un surnaturel sacré (et non plus exclusivement impur). Le chef fit alors figure d’incarnation par excellence du sacré, et l’assise de son autorité s’en trouva consolidée d’autant.

En Malaisie, la mort frappe immédiatement qui touche les insignes royaux. Dans les îles Fidji, le coiffeur du chef ne pouvait utiliser ses mains pour se nourrir et devait recourir à des aides qui lui donnaient les aliments. Dans de nombreux endroits, parmi lesquels les Samoa et l’Afrique du Sud, le nom du chef ne doit pas être prononcé ; s’il arrive que ce nom soit l’homonyme de celui d’un animal ou d’un objet, on modifie le nom de l’animal ou de l’objet concernés.

Le sang menstruel est presque universellement tenu pour impur, la femme devenant elle-même impure, par contagion, pendant les menstruations ; il en est de même de tous les objets ou de tous les individus avec lesquels elle entre en contact. Au moment des règles, les femmes dénés séjournent dans des huttes construites à l’écart du village.

L’accouchement et, à plus forte raison, l’avortement constituent un état d’impureté qui risque également de se répandre par contagion. En Afrique du Sud, une période de quarantaine accompagne l’accouchement, période au cours de laquelle la femme ne peut, sans danger, toucher la nourriture de ses propres mains. En Nouvelle-Guinée, à la suite d’un accouchement, une femme doit, pendant un mois, se nourrir à l’aide d’un bâton pointu qui lui évite tout contact avec les aliments.

Ces périodes d’impureté des femmes impliquent en outre pour les hommes la prohibition de tout rapport sexuel avec celles-ci. L’acte sexuel, par lui-même, n’est pas considéré comme impur — à moins qu’il ne soit en opposition flagrante avec les normes sociales qui le définissent (inceste, adultère, etc.) —, il s’agit surtout de préserver les hommes de la contagion.

Il est malaisé d’isoler rigoureusement parmi les causes de l’impureté féminine celle qui, dans telle situation particulière, serait la plus agissante. Les arguments physiologiques (sang menstruel, sang de l’accouchement, sang de l’avortement) ne sauraient, à eux seuls, rendre compte de la vulnérabilité de la femme à l’impureté. De tels motifs, s’ils interviennent, se présentent toujours en étroite liaison avec un ensemble de considérations qui ont trait à la situation sociale de la femme. En effet, l’infériorité qui est quasi universellement imposée à cette dernière est indissociable de son exclusion partielle de la pratique sociale, notamment des secteurs du pouvoir ou des activités religieuses. La femme est alors considérée comme un être plus ou moins marginal, apparemment extérieure au corps des règles, qui semblent ne pas la définir complètement (ou qui, plus précisément, ne lui confèrent pas la qualité de membre du groupe à part entière).

S’il semble évident que ces exclusions soient elles-mêmes des normes qui lui assignent une place précise dans la hiérarchie sociale, on peut, cependant, considérer comme plausible que sa situation soit illusoirement perçue comme hors des règles, inconditionnée : un tel statut semble alors comporter une fraction irréductible d’anomie, lieu d’une moindre résistance à l’impureté.