Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Assyrie (suite)

Vie quotidienne et crainte de l’avenir

Si l’on prend le terme de littérature dans son sens le plus large, deux faits frappent dès l’abord.

L’un est la masse considérable des documents écrits qui nous sont parvenus. Elle est sans commune mesure avec ce qu’ont pu nous laisser les autres civilisations du Proche-Orient ancien. Outre la bibliothèque encyclopédique du roi Assourbanipal, bien d’autres ensembles, d’ailleurs de toutes les époques — archives royales ou particulières, bibliothèques de temples ou de palais —, ont été retrouvés dans de nombreuses villes anciennes de la Mésopotamie, et même en dehors de ses frontières : en Égypte, en Anatolie, en Syrie et en Palestine.

De ces textes innombrables, la diversité n’est pas moins remarquable. Il n’est presque aucun domaine de la culture, aucun aspect de la civilisation qui n’y soit abondamment représenté.

La masse la plus importante en est constituée par une extraordinaire floraison de textes économiques et juridiques. Les premiers, qui vont de simples bulletins de salaires ou de livraisons, par exemple, à des pièces complexes des administrations centrales, pour aussi modestes qu’ils soient, n’en fournissent pas moins des renseignements précis et directs sur la société du temps.

Quant aux documents juridiques, ils sont l’expression fidèle d’une société éminemment formaliste et rigoureuse dans ses cadres familiaux et dans ses rapports avec la terre. Des contrats de toute nature nous font connaître, avec une ampleur plus ou moins grande suivant les époques, le droit des personnes et le régime des biens. Ont été également retrouvés des recueils de lois, de règlements ou d’ordonnances. Parmi eux, le code de Hammourabi (1792-1750), avec ses 282 paragraphes, son introduction et son épilogue de haute tenue, passe ajuste titre pour le monument législatif le plus célèbre de l’Antiquité orientale. Sa découverte, en 1902, marque une date importante dans l’histoire du droit, et c’est incontestablement par les sources cunéiformes que nous remontons le plus haut dans la connaissance des droits antiques.

Dans l’immense prolifération de ces textes de la vie quotidienne, il faut également inclure la riche documentation que fournissent les lettres, plus libres, plus vivantes, plus diverses aussi de ton, de forme, d’importance et qui jalonnent, avec des éclairages vifs et différents, toute l’histoire de la Mésopotamie : billets familiers, missives royales, correspondance diplomatique, lettres de marchands, de prêtres, de médecins, de courtisans, de généraux, de femmes aussi.

Aux préoccupations journalières, on doit également rattacher l’essentiel de la littérature ominale (traitant des présages), tant la crainte de l’avenir et le désir d’en prévoir les dangers n’ont cessé de hanter l’esprit de ces Anciens. À cette recherche inquiète et jamais satisfaite, nous devons toute une série de grands ouvrages, groupant et classant, suivant leur nature, des séries d’observations et de présages.

On tient souvent l’astrologie* pour la forme la plus caractéristique de la divination babylonienne, car les mages chaldéens furent célèbres dans l’Antiquité classique. Leur grande somme, intitulée d’après ses premiers mots, Lorsque Anou, Enlil..., répartissait en quatre livres les présages qu’ils tiraient de l’aspect et du mouvement des astres, de leurs rapports entre eux, des phénomènes célestes et des intempéries. Les prédictions, de portée le plus souvent collective, intéressaient le pays tout entier : les moissons, les troupeaux, les crues, la guerre ou la paix et le destin du roi.

Quelle que fût pourtant la vogue de cette divination, elle le cédait en ancienneté, en dignité aussi, à l’haruspicine, dont le grand traité canonique, consacré à l’observation du foie et des entrailles d’animaux sacrifiés à cet effet, comportait de nombreux livres, divisés eux-mêmes en chapitres. Il ne groupait pas moins de dix mille observations donnant matière à prédictions et assorties parfois de commentaires.

Plus de cent tablettes composaient un autre grand recueil divinatoire, dont le titre était Si une ville est bâtie sur la hauteur. Ce recueil énumérait un nombre considérable d’observations les plus diverses, portant sur les mille et un incidents de la vie journalière et sur le comportement, normal ou étrange, des animaux familiers.

Bien d’autres formes de la divination, par les naissances anormales ou les rêves, par exemple, avaient fait également l’objet d’une abondante littérature spécialisée. Pour stériles qu’aient été en définitive ces voies de la connaissance, elles ne sauraient, cependant, ne serait-ce que par l’observation aiguë du réel et le souci constant d’une exacte description, être étrangères à l’histoire de la littérature comme à celle de la science. À plus forte raison en est-il de même de tous les ouvrages, pensés, mûris et soigneusement composés en séries ordonnées de tablettes, que ces peuples nous ont laissés sur la médecine, la philologie, les mathématiques et les autres domaines du savoir de ce temps.

Avec le domaine religieux, si nous ne quittons pas la vie de tous les jours, nous abordons une définition plus exigeante du mot littérature. Qu’il s’agisse de la dévotion proprement dite ou de la magie, officielle et protectrice, des prêtres exorcistes, le rythme de la phrase, la sonorité des mots, le pathétique de l’invocation constituaient en effet des éléments d’efficience majeure dans la prière, l’incantation et même le rituel.

C’est ici l’occasion de mettre en lumière une notion capitale de toute la littérature assyro-babylonienne, celle de la vertu du verbe. Parler ou écrire ne sont jamais des actes indifférents ou gratuits, car le mot est synonyme de création ou d’existence. La parole ou l’écrit portent en eux une virtualité qui ne demande qu’à s’exprimer et qui est toujours sentie comme telle. Il en résulte une recherche, consciente ou inconsciente, de l’effet littéraire, par lequel les mots acquièrent plus de force et, partant, une plus sûre efficacité. En fait, il n’est guère d’œuvres littéraires, en Mésopotamie ancienne, qui ne cherchent à obtenir quelque chose en faveur de celui qui la compose, la récite ou la copie. En revanche, on se méfiera de l’écrit, qu’un tiers peut utiliser à son profit. Aussi existe-t-il des textes dont la diffusion est interdite et la lecture réservée aux seuls initiés. De même, jusqu’à la fin de l’histoire mésopotamienne, une partie de la connaissance continuera-t-elle à faire l’objet d’une transmission orale, plus facilement contrôlée.