Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Assyrie (suite)

Quoi qu’il en soit et pour en revenir aux textes religieux, il nous est parvenu un nombre considérable de prières, d’hymnes, de chants, de lamentations adressés aux dieux et aux déesses, d’incantations aussi et de rituels magiques, dont usaient les exorcistes pour lutter contre les démons et les sortilèges. Certaines de ces prières ou de ces oraisons, fort belles, maintes fois recopiées au cours des âges, nous introduisent déjà dans le domaine des grandes œuvres littéraires.


L’« Épopée de Gilgamesh »

La plus connue de celles-ci, la plus représentative du génie mésopotamien, est sans doute l’Épopée de Gilgamesh. Son héros est un très ancien roi d’Ourouk, à demi légendaire. Autour de ce personnage s’était probablement créée, dans la société sumérienne de la fin du IIIe millénaire, une tradition poétique qui, d’abord orale, donna naissance, quelques siècles plus tard, à un cycle de poèmes en langue sumérienne. Les poètes akkadiens postérieurs en tirèrent une épopée qui, sous la forme la plus complète que nous lui connaissions, comportait douze chants.

Les six premiers développent un grand thème héroïque. Pour mettre un frein à la fougue tyrannique du roi Gilgamesh, les dieux ont fait naître dans le désert un être sauvage et fort, Enkidou, qui, peu à peu initié à la civilisation, le rejoint dans Ourouk. D’abord rivaux, les deux hommes deviennent amis et partent réaliser ensemble prouesses sur prouesses. Ils triomphent du géant Houmbaba, gardien de la Forêt des cèdres, tuent des lions, maîtrisent et immolent le Taureau céleste, envoyé sur terre par la déesse Ishtar, irritée contre Gilgamesh, qui a repoussé ses avances. D’inspiration toute différente sont les six autres chants. Les deux héros, grisés par leurs succès, ne se sont pas aperçus qu’ils sont tombés dans la démesure et qu’ils encourent le châtiment divin. Enkidou meurt dans les bras de son ami, qui, désespéré, prend soudain conscience de la précarité de la vie humaine. Par peur de la mort, il va par le monde cherchant le secret de la vie éternelle. Au terme d’un épuisant voyage, il parvient auprès du seul homme auquel les dieux aient accordé l’immortalité, Outanapishtim, le survivant du Déluge. Mais les possibilités qui sont révélées à Gilgamesh lui échappent en définitive. Il reviendra finalement dans Ourouk, les mains vides, et y attendra avec résignation le jour où, à son tour, il descendra chez les morts, dont l’âme évoquée d’Enkidou lui révèle, dans le dernier chant du poème, la vie que ceux-ci mènent sous la terre.

L’épopée de Gilgamesh n’est pas seulement une œuvre maîtresse de la littérature assyro-babylonienne. Elle peut servir à mettre en lumière, et d’une façon remarquable, les aspects essentiels de cette littérature.

Ses sources sumériennes d’abord, puis le parti qu’elle en a tiré illustrent l’importance que, dans presque tous les domaines, la coexistence avec les Sumériens et l’héritage que ceux-ci laissèrent eurent pour la pensée babylonienne et pour son expression littéraire.

Elle illustre aussi les périodes fécondes de son histoire littéraire. L’épopée connut en effet des aménagements successifs. Deux tablettes au moins d’une version ancienne remontent au temps de la première dynastie babylonienne, que, dans l’histoire des lettres, on peut appeler le siècle de Hammourabi. Ce fut une période de féconde création littéraire, servie par une langue dans toute la plénitude alors de sa perfection classique.

D’autres exemplaires attestent qu’une nouvelle rédaction en fut faite aux temps qu’on appelle kassites (xiiie, xiie s.). La Babylonie connut effectivement alors, après une assez longue éclipse, un indéniable renouveau intellectuel. Sans qu’elle eût la richesse et la spontanéité créatrices de l’âge précédent, et non sans avoir produit quelques œuvres de valeur, elle fut surtout une période de compilation, de mise en ordre, de « canonisation » des grandes traditions antérieures.

L’épopée de Gilgamesh témoigne aussi de l’intense travail de recherche, de collation et de copie auquel se livrèrent les scribes d’Assourbanipal (viie s.), lors de la constitution de sa bibliothèque. C’est de celle-ci, en effet, que nous est parvenu l’essentiel de ce que nous connaissons du poème. Les versions qu’en firent ces lettrés assyriens restèrent d’ailleurs par la suite « classiques » et elles furent copiées et recopiées par les générations successives de scribes, comme des duplicata plus tardifs nous en apportent la preuve.

Du rayonnement que connut la culture babylonienne dans le monde d’alors, l’épopée de Gilgamesh peut également témoigner. Des copies, en effet, et des traductions en furent faites dans les pays étrangers. Certaines ont été retrouvées dans la capitale des Hittites, et une de ses tablettes a été découverte à Jéricho, en Palestine. D’autres œuvres poétiques corroboreraient ces témoignages pour ce qui est de l’Égypte, de la Syrie ancienne et de l’Élam.

Il est enfin un problème important concernant la littérature assyro-babylonienne, qui se trouve tout particulièrement évoqué par un des épisodes de l’épopée. La onzième tablette contient un récit du Déluge qui présente d’assez étonnantes ressemblances avec la relation biblique. La constatation qu’on en fit nourrit en son temps la controverse, souvent passionnée, que suscita parmi les biblistes la découverte des sources cunéiformes.

Les uns ne voulurent voir dans cette littérature retrouvée que l’illustration, l’arrière-plan du Livre sacré. D’autres, au contraire, frappés par l’antériorité des témoignages babyloniens, cherchèrent à expliquer par un « panbabylonisme » militant bon nombre de données de l’Ancien Testament (Genèse, paradis, Déluge, patriarches, réflexion sapientiale) ou autres. Pour révolues que soient aujourd’hui ces querelles ou ces prétentions, elles n’en contribuèrent pas moins à une connaissance plus exacte du milieu culturel et religieux du Proche-Orient ancien.