Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Roumanie (suite)

Il reste à élire dans chaque principauté le prince régnant, qui doit être désigné par une chambre élective. La majorité est obtenue en Moldavie par les partisans des réformes démocratiques et en Valachie par les conservateurs. À Iaşi, le colonel Alexandre-Jean Cuza, qui est alors adjoint du commandant de l’armée moldave, est élu à l’unanimité (5 janv. 1859). À Bucarest, sous la pression des masses populaires, la majorité conservatrice accepte la proposition, faite par la minorité libérale, de fixer également son choix sur Alexandre-Jean Cuza, qui, effectivement, réunit l’unanimité des suffrages (24 janv. 1859). Cette double élection suscite un immense enthousiasme non seulement dans les deux Principautés, mais aussi en Transylvanie.

L’union est donc réalisée sous une forme personnelle ; trois ans plus tard, et après de laborieux pourparlers avec la Turquie, elle est suivie par une union définitive, institutionnelle (déc. 1861). En janvier 1862, une chambre unique se réunit à Bucarest, et il n’y a qu’un seul gouvernement. À ce succès a largement contribué la personnalité du nouveau prince régnant ; intelligent et patriote, Alexandre-Jean Cuza est en outre un démocrate qui a en vue l’élévation du niveau économique, politique et culturel de son peuple.

Son règne comporte deux périodes. Durant la première — jusqu’au 2 mai 1864 —, Cuza gouverne en s’appuyant sur les institutions prévues par la convention de Paris, réussissant à réaliser l’unification administrative, judiciaire et militaire ainsi que la sécularisation des biens appartenant aux monastères. Toutefois, lorsque la distribution des terres aux paysans est proposée, les conservateurs, qui forment la majorité à la Chambre, repoussent la loi et refusent de discuter une nouvelle loi électorale. Cuza est donc obligé de recourir à un « coup d’État » (2 mai 1864). Il procède à la dissolution de la Chambre et, par voie de plébiscite, soumet à l’approbation du peuple, d’une part, le statut proposé par lui, qui modifie les dispositions de la convention de Paris dans le sens d’un régime autoritaire accordant des droits plus étendus au pouvoir exécutif, et, d’autre part, la nouvelle loi électorale, qui élargit considérablement le droit de vote. Le plébiscite constitue un succès pour lui : 682 621 citoyens pour, 1 307 contre, 70 220 abstentions.

Devant ce résultat, les grandes puissances signent à Constantinople un protocole qui ratifie, en fait, le statut et la loi électorale, tout en reconnaissant à Cuza le droit d’instituer ou de modifier n’importe quelle loi relative à l’organisation intérieure du pays ; ainsi est formellement reconnue l’autonomie de la Roumanie.

Sur la base du statut, Cuza décrète (14 août 1864) la loi rurale, qui supprime la corvée, cependant que les paysans travaillant sur les domaines des boyards aussi bien que sur les anciens domaines des monastères se voient attribuer des terres en pleine propriété. Le nombre des familles ainsi pourvues se chiffre à 511 896 ; la superficie qui leur est attribuée atteint environ 2 038 640 ha. Un rôle important dans la réalisation de ces réformes est joué par le Premier ministre, Mihail Kogălniceanu.

Si la paysannerie est satisfaite de ces réformes, les grands propriétaires fonciers et les boyards conservateurs ne le sont pas ; certains éléments libéraux se joignent à eux, étant mécontents du fait que le statut a réduit l’importance de la Chambre et qu’eux-mêmes sont tenus à l’écart du pouvoir.

Cependant Cuza poursuit l’organisation de l’État. Dans le courant de l’été de 1864, il crée l’université de Bucarest (celle de Iaşi existait depuis 1860) ; en novembre de la même année, il promulgue une loi d’organisation de l’enseignement, depuis l’instruction primaire, devenue obligatoire et gratuite, jusqu’à l’enseignement supérieur ; le nombre des écoles s’accroît ; on donne une considérable extension au réseau télégraphique ; vers la fin de 1865 est conclu un contrat en vue de la construction de la voie ferrée Bucarest-Giurgiu, l’une des premières de Roumanie.

Les mécontents, constituant ce que l’on a nommé la « monstrueuse coalition », s’assurent le concours d’une partie de l’armée et obligent Cuza à abdiquer le 11 février 1866. Le « prince de l’union » doit quitter le pays ; il passe sept ans en exil, à Vienne et à Florence, et meurt le 3 mai 1873. Son corps repose aujourd’hui dans une crypte de l’église des Trois-Hiérarques de Iaşi.


Naissance de la Roumanie

La double élection d’Alexandre-Jean Cuza est suivie d’une intense campagne politique dans le dessein de faire reconnaître cette situation par la puissance suzeraine et par les puissances garantes, puis de parvenir à l’unité constitutionnelle et administrative ; cette unité est accomplie en janvier 1862, date à laquelle la Moldavie et la Valachie constituent un seul État, dénommé Roumanie, avec une seule assemblée nationale et un seul gouvernement siégeant à Bucarest*, capitale du pays.

Après la création de l’État national roumain moderne, le prince Alexandre-Jean Cuza et son collaborateur le plus proche, Mihail Kogălniceanu (1817-1891), prennent l’initiative d’une série de réformes intérieures (sécularisation des biens appartenant aux monastères [déc. 1863] ; réforme agraire [14 août 1864], prévoyant l’émancipation des corvéables et l’attribution de terres à ces derniers ; organisation de l’administration et de l’enseignement ; etc.), mesures qui contribuent au progrès général du pays sur les plans social, économique et politique.

Forcé d’abdiquer (11 févr. 1866) par une coalition politique groupant des propriétaires fonciers et des bourgeois hostiles à ses réformes, le prince Cuza est remplacé par une « Lieutenance princière », qui, trois mois plus tard, fait appel au prince Charles de Hohenzollern-Sigmaringen pour le proclamer prince de Roumanie le 10 mai 1866. En 1881, ce dernier prend le titre de roi sous le nom de Carol Ier, ou Charles Ier (v. Hohenzollern de Roumanie).