Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Rhodésie (suite)

Rhodes, Premier ministre de 1890 à 1896, obtient, par l’intermédiaire d’un agent de sa compagnie, de Lo-Benguella, chef des Matabélés (ou Ndébélés), un monopole britannique des concessions minières dans le Mashonaland. Les Chonas (ou Shonas), héritiers de l’ancien Monomotapa (attesté aujourd’hui encore par le site de Zimbabwe), sont périodiquement razziés par les Matabélés, plus belliqueux.

Rhodes organise l’expédition des deux cents pionniers qui s’installent dans la région de Salisbury (1890), puis réprime l’insurrection des Matabélés, au cours de laquelle Lo-Benguella est tué (1893). Le pays est officiellement appelé Rhodésie en 1895. Une révolte générale des Matabélés, empêchés de razzier leurs voisins, puis des Chonas, obligés de travailler sur les plantations des Blancs, ensanglante la Rhodésie en 1896 et 1897. Ces soulèvements sont très sévèrement matés et les indigènes se résignent pour des années à la domination blanche.

La Chartered concentre son effort sur le Sud. La Rhodésie du Nord, où les mines de cuivre ne seront découvertes qu’en 1902, reste sous son administration jusqu’en 1924, date à laquelle elle devient protectorat britannique (v. Zambie) ; le Nyassaland bénéficiera de ce statut en 1911. En 1922, la Rhodésie du Sud, où 34 000 Européens se sont installés face à quelque 770 000 Africains, a à choisir, alors qu’approche la date d’expiration de la Charte (prorogée pour dix ans en 1914), entre l’évolution vers le statut de dominion et l’intégration, en tant que cinquième province, à la fédération d’Afrique du Sud. Un référendum, ouvert bien entendu aux Blancs seuls, favorise la Grande-Bretagne. La nouvelle colonie de la Couronne reçoit l’autonomie interne et un gouvernement responsable par la Constitution du 1er octobre 1923 : un cabinet de cinq membres plus un Premier ministre est choisi dans la majorité d’un Parlement élu tous les cinq ans par les citoyens disposant d’un revenu supérieur à 200 livres. La masse des Noirs se trouve donc exclue de la vie politique, mais la colonie ne devient pas encore dominion. Le gouvernement britannique doit en effet ratifier tout acte législatif concernant les Noirs.

Le Premier ministre le plus populaire, constamment réélu par le Rhodesia Party de 1933 à 1953, sir Godfrey Huggins (lord Malvern), proclame volontiers sa foi en une société multiraciale où tous les « civilisés » jouiraient des mêmes droits. Mais il ne fait rien pour augmenter le nombre des « civilisés ». La loi sur les terres, remaniée à plusieurs reprises depuis le Land Apportionment Act de 1930, réserve les meilleures terres à une minorité de colons blancs qui ne les occupent même pas en totalité, alors que le paysannat noir, très prolifique, étouffe dans les réserves qui lui sont allouées. D’autre part, les lois de 1934 et de 1945 empêchent pratiquement les ouvriers noirs de se qualifier et par conséquent de toucher les mêmes salaires que les Blancs, en moyenne dix fois supérieurs aux leurs. Les Européens, même affiliés au Reform Party ou au petit parti travailliste, n’admettent pas les Africains dans leurs syndicats. La prospection minière est également interdite aux Noirs, qui se trouvent dans une ségrégation de fait sinon de droit.

La prospérité économique, consécutive à la mise en valeur par les Blancs et accomplie à leur profit, est spectaculaire. Grâce à un bon réseau ferré, la production et l’exportation de tabac de Virginie, de maïs puis de canne à sucre, de coton, de bois de teck et d’acajou se développent parallèlement au progrès des mines (amiante, or, chrome, cobalt, fer) et de l’industrie. Ce progrès est aisé, car la main-d’œuvre est bon marché. Du Nyassaland pauvre ou des réserves indigènes surchargées, des travailleurs saisonniers migrent vers les mines, laissant leurs familles dans les secteurs ruraux d’économie de subsistance. Les ouvriers s’installent avec leurs familles dans les villes. Les salaires augmentent nécessairement, et une opposition politique apparaît dans les milieux de salariés noirs.

Pour assurer la domination des Blancs dans la colonie voisine de Rhodésie du Nord, où, en 1951, ils sont 37 000 et les Noirs 2 000 000 (respectivement 70 000 et 4 300 000 en 1970), leur leader, Roy Welensky, reprend un projet déjà évoqué au cours de la Seconde Guerre mondiale : unir les Rhodésies en un dominion indépendant. Le gouvernement britannique, favorable à un groupement que les intérêts économiques et l’organisation militaire conseillent, propose d’y joindre le Nyassaland. Les indigènes cependant se révèlent partout violemment hostiles à un projet qui les aurait privés de la tutelle britannique. Après quatre ans de discussions aux conférences de Victoria Falls (1949-1953), la Fédération d’Afrique-Centrale (ou Fédération de Rhodésie et du Nyassaland), dont la révision est prévue pour 1960, est cependant promulguée. Les trois colonies autonomes subsistent. Un gouvernement fédéral, présidé par Godfrey Huggins de 1953 à 1956, par Roy Welensky ensuite, prend en charge les administrations communes. En dépit des déclarations des ministres sur leur volonté de collaborer avec les indigènes, ces derniers trouvent des chefs habiles qui organisent l’opposition. L’activité du Dr. Hastings Banda au Nyassaland, et celle de Harry Nkumbula en Rhodésie du Nord aboutissent à la dissolution de la fédération en 1963, puis à la proclamation de l’indépendance des deux colonies sous les noms de Malawi* et de Zambie*.


La Rhodésie indépendante

La Rhodésie (du Sud), désormais seule du nom, voit apparaître une opposition tant à l’État multiracial qu’au principe de l’égalité pour tous les « civilisés ». Les Noirs, qui forment 95 p. 100 de la population, sont d’abord incités à s’intéresser à la politique par Josuah Nkomo, qui fonde en 1960 le National Democratic Party. Interdit peu après, ce parti est remplacé par la Zimbabwe African People’s Union (ZAPU), que concurrence à partir de 1964 la Zimbabwe African National Union (ZANU) du pasteur Ndabaningi Sithole. Les deux leaders sont placés en résidence surveillée, et le gouvernement, après la dissolution de la fédération, réclame l’indépendance aussi de la Rhodésie. Londres exige que la nouvelle constitution garantisse, comme dans les autres États indépendants d’Afrique orientale et centrale, l’égalité entre tous les Noirs et les Blancs. À Salisbury, des leaders de plus en plus nationalistes, Garfield Todd, Winston Field et Ian Smith, se succèdent à la tête du gouvernement.