Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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révolution russe de 1905 (suite)

Les troubles apparaissent dans les campagnes au printemps. Les paysans s’installent sur les terres des propriétaires fonciers, saccagent leurs domaines, s’en prennent aux raffineries de sucre et d’alcool, incendient les châteaux et les propriétés. Ici ils s’emparent de la terre, là du bois des forêts, ailleurs encore du blé. Ces tentatives sont sévèrement réprimées. Les bolcheviks s’essaient à guider la révolte paysanne, non sans difficultés. Au moins parviennent-ils à organiser en été une grève d’ouvriers agricoles. Dans son ensemble, le mouvement paysan, pour violent qu’il soit, reste limité à 85 districts, soit à peu près un septième de la Russie d’Europe.

La révolution ouvrière et paysanne et les défaites des troupes russes dans la guerre russo-japonaise* ne sont pas sans exercer une influence dans l’armée. C’est ainsi qu’en juin 1905 éclate une mutinerie dans la flotte de la mer Noire, à bord du cuirassé Potemkine. Le navire croise alors non loin d’Odessa, gagné par la grève générale. Les matelots neutralisent leurs officiers et conduisent leur bâtiment dans le port d’Odessa. Ils se rallient à la révolution. Mais, incapables de gagner le reste de la flotte à leur cause, les mutins se trouvent isolés ; ils doivent rejoindre les côtes de Roumanie et se livrer aux autorités de ce pays. Cependant, la signification de cet événement est considérable : c’est la première fois qu’un élément de l’appareil militaire tsariste passe à la révolution. Ainsi se dessine pour l’avenir la possibilité d’une subversion généralisée des forces de répression.

Le développement de cette révolution populaire stimule d’autant le mouvement libéral. Le 3 mars (18 févr.), le tsar publie un rescrit qui semble admettre l’idée d’une représentation nationale. Puis il nomme une commission, la « douma de Boulyguine », chargée d’en définir les modalités. Celle-ci projette une douma consultative, rejetée par la majorité du congrès des zemstvos. Ainsi s’opère une rupture dans le courant libéral qui laisse la voie libre à la constitution, en octobre, d’un parti bourgeois, le parti constitutionnel démocrate (K. D.), partisan d’une monarchie constitutionnelle dotée d’une Assemblée législative. Lénine* commente : « Le prolétariat lutte, la bourgeoisie se faufile vers le pouvoir. »


Les « jours de liberté »

Au fur et à mesure du développement de la révolution, Lénine, précisément, et son parti entendent marquer les événements du sceau de leur politique. Celle-ci est définie au troisième congrès du parti ouvrier social-démocrate de Russie (P. O. S. D. R.), qui se réunit à Londres en avril 1905 ; elle se trouve consignée dans une brochure qui paraît en juillet sous le titre Deux Tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique. L’auteur y assigne deux issues possibles à la révolution : ou bien les choses se termineront par une victoire sur le tsarisme au profit d’une république démocratique ; ou bien on aboutira à un arrangement entre le tsarisme et la bourgeoisie — une caricature de constitution —, aux dépens du peuple. Et, pour faire triompher la révolution, il préconise la grève politique de masse, l’organisation de comités paysans révolutionnaires, la satisfaction des revendications ouvrières, et enfin l’armement des ouvriers en vue de l’insurrection.

Or, à l’automne, le mouvement révolutionnaire a gagné le pays tout entier. Au début du mois d’octobre, la grève est générale à Moscou. Il suffit qu’un jour d’octobre la grève se déclare sur le chemin de fer Moscou-Kazan pour que, le lendemain, tout le réseau des chemins de fer de Moscou débraie et que, peu après, tous les chemins de fer de Russie cessent de fonctionner. Puis c’est le tour de la poste et du télégraphe, et, d’usine en usine, de ville en ville, la grève d’octobre devient générale : les étudiants, les intellectuels, les ingénieurs et les médecins même s’y joignent. La vie du pays est paralysée.

Ainsi contraint, le tsar signe le 30 (17) octobre le « manifeste d’octobre », qui promet l’octroi des libertés fondamentales, une douma législative, à l’élection de laquelle devront participer toutes les classes de la population. Il s’ensuit une certaine détente dans la vie politique. Les journaux sociaux-démocrates se multiplient. Mais ce sont surtout les libéraux qui manifestent leur enthousiasme. Tandis qu’ils chantent la Marseillaise, un couplet ne tarde pas à être en vogue dans le peuple : « Le tsar terrifié lance un manifeste : Aux morts la liberté, aux vivants la prison ! » Car déjà commence la répression policière.

C’est au cours de la grève d’octobre qu’apparaissent la plupart des premiers soviets, organisations nées spontanément, qui regroupent les délégués ouvriers des différentes entreprises ; ces soviets ont une double fonction, de représentation et de combat, voire d’exercice du pouvoir. Le 26 (13) octobre, on procède, dans toutes les usines de Saint-Pétersbourg, à l’élection du soviet des députés ouvriers. Les mencheviks, et parmi eux Parvus (Alexander Helphand, 1869-1924), Trotski* et G. S. Khroustalev-Nossar, y sont majoritaires. En revanche, ce sont les bolcheviks qui ont la direction du soviet de Moscou. Leurs rôles respectifs en décembre s’en trouveront différenciés. D’autres soviets sont créés dans les grandes villes et dans les centres industriels. On essaie même de lier les soviets de soldats aux soviets de députés ouvriers. Ailleurs, on vit se former des soviets de députés ouvriers et paysans. Quoique de création récente et encore inexpérimentés, les bolcheviks disposent, avec les soviets, d’un puissant instrument d’organisation de la révolution.


L’insurrection

En novembre et en décembre, les campagnes, et précisément les provinces de Saratov, de Tambov, de Tchernigov, de Tiflis et de Koutaïs (dans la région de l’actuelle Krasnodar), sont touchées par de véritables soulèvements paysans. Chez les soldats aussi, des troubles se manifestent à Tiflis, à Vladivostok, à Tachkent, à Samarkand, à Koursk, à Soukhoumi, à Varsovie, à Kiev et à Riga. Une révolte éclate à Kronchtadt ; une autre soulève les matelots de la flotte de la mer Noire, à Sebastopol du 24 (11) au 28 (15) octobre. Mais tous ces soulèvements, faute d’organisation, de liaison et de direction politique, sont écrasés par les troupes tsaristes.