Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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révolutions de 1848 (suite)

Le « printemps des peuples » (févr.-mars 1848)

La terminologie de 1848 affectionne deux catégories d’expressions. La première rend compte de la soudaineté des événements : c’est l’« explosion », la « vague », la « flambée ». La seconde, à tonalité humaniste, met en valeur l’aspect fraternel et philanthropique des aspirations : « printemps des peuples », « aurore de l’humanité ». De fait, le synchronisme des insurrections (et de leurs échecs), la communauté des revendications, du moins au niveau des principes, et l’interdépendance des régimes révolutionnaires ont frappé les contemporains et ont longtemps influencé les jugements de l’historien. Depuis 1846, l’imminence d’un nouveau conflit entre les forces de conservation et les forces de révolution se profile à l’horizon. La Suisse règle par une sanglante guerre civile le contentieux de 1815 : les radicaux, représentants du libéralisme bourgeois, y écrasent le Sonderbund, conservateur et catholique. L’Autriche, attentive aux évolutions des moindres mouvements nationalistes, prend ses précautions. En 1846, elle annexe la république de Cracovie. Un an plus tard, elle occupe Ferrare, dans les États du pape, et jette en prison l’agitateur vénitien Daniele Manin. Le signal des révolutions est donné à Palerme le 12 janvier 1848. Une insurrection à dominante séparatiste y éclate, et la Sicile réclame le retour au régime libéral de 1812 et le rejet de la tutelle napolitaine. En quelques mois, successivement, la vogue insurrectionnelle atteint la France (22-24 févr.), l’Autriche (13 mars), la Prusse (18-21 mars) et, par voie de conséquence, les absolutismes satellites de Vienne en Italie (Parme, Modène, Toscane) ou en Allemagne. Les « nations » tchèque et hongroise se soulèvent. Le processus revêt à peu près partout des analogies frappantes. L’insurrection est surtout urbaine, populaire, à encadrement bourgeois et universitaire. Dans un premier temps, les principales revendications réformatrices se résument à l’octroi d’une Constitution à base censitaire et à la reconnaissance des libertés fondamentales (de réunion et de presse). C’est dire le caractère modéré et bourgeois du mouvement initial. Enfin, les exigences libérales se doublent d’exigences nationales et unitaires, propres à assurer le respect de la personnalité historique, ethnique et linguistique des minorités opprimées par le pouvoir central.

L’Italie, cette « expression géographique » sous la dure domination autrichienne, voit s’effondrer les régimes absolutistes. Le grand-duc de Toscane, le roi des Deux-Siciles (Ferdinand II), le Saint-Siège et le roi de Piémont-Sardaigne dotent leurs États respectifs d’institutions plus ou moins libérales. Venise et Milan se soulèvent victorieusement contre l’occupant militaire autrichien. Venise instaure la république sous la direction de l’avocat Manin, et Milan confie un gouvernement provisoire à une oligarchie libérale de grands propriétaires, favorables à l’influence piémontaise.

En Autriche, la fuite de Metternich consacre l’effondrement des principes réactionnaires du système de 1815. L’empereur Ferdinand Ier doit mettre en chantier une Constitution et faire face dans le même temps à la virulente pression autonomiste. En Hongrie, un gouvernement national se forme, rassemblant les représentants libéraux de la noblesse (Ferenc Deák, József Eötvös) et ceux de la fraction démocratique groupée autour du journaliste Kossuth*, chef du parti radical. Des réformes capitales sont promulguées (liberté de presse et de réunion, abolition du servage et rachat des redevances seigneuriales). Le 11 avril 1848 naît un État unitaire hongrois, composé des pays de la couronne de saint Étienne, provinces croates et transylvaines comprises. La Bohême, de son côté, obtient, par une charte ratifiée par Vienne le 8 avril, la reconnaissance de l’égalité civile et administrative des Tchèques et des Allemands.

Dans les États allemands, la vieille Confédération germanique et son organe suprême, la Diète, instrument de la domination autrichienne, semblent disparaître sans coup férir. Partout s’installent les « ministères de mars ». Dans certains États, la révolution consiste en une simple passation des pouvoirs, en un remaniement ministériel opéré en douceur au profit des dirigeants de l’opposition bourgeoise et modérée. C’est le cas de la Saxe, de la Hesse, du Wurtemberg. Ailleurs, il faut forcer la décision, comme en Bavière, où le roi Louis Ier abdique. L’aile marchante du parti révolutionnaire est assez composite. Artisans, étudiants et petits-bourgeois des villes, groupés dans des associations démocratiques, constituent le gros de la troupe. Les Turner, sociétés de gymnastique paramilitaires et d’esprit pangermaniste, se chargent des opérations de rue et des assauts contre les palais et les bâtiments administratifs.

À vrai dire, le déferlement des jacqueries, de ces soulèvements paysans contre les redevances seigneuriales qui éclatent entre Main et Necker dès janvier 1848 a été pour beaucoup dans la rapide capitulation des princes les plus intransigeants. Berlin, le dernier bastion de l’absolutisme, cède après la sanglante insurrection du 18 mars. Frédéric-Guillaume IV entérine le vote, par le Landtag prussien, des libertés fondamentales. Qui plus est, le Landtag vote un projet d’Assemblée nationale élue au suffrage universel, consacrant par là le triomphe apparent d’un mouvement national et unitaire, aux antipodes de la politique traditionnelle d’intérêts dynastiques des Hohenzollern. Ce mouvement, héritier des grandes batailles patriotiques de 1813 et de 1817, revigoré par la crise franco-allemande de 1840, avait pris naissance en Bade dès février 1848. À Mannheim d’abord, à Heidelberg ensuite, des réunions enthousiastes de bourgeois libéraux et radicaux avaient débouché sur un projet de réforme des institutions fédérales. Un Préparlement (Vorparlament) est élu, destiné à mettre sur pied une Chambre panallemande, à abroger le statut de la Confédération et, par là, à rayer de l’histoire le particularisme germanique.