Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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révolutions de 1848 (suite)

La crise du mouvement libéral et national (mai-août 1848)

En quelques mois, la situation va se retourner complètement en faveur des forces de réaction. Une seconde vague de revendications, bien plus radicales cette fois, va déferler sur les États, tentant d’imposer aux faibles régimes libéraux l’adoption de réformes démocratiques et sociales. D’autre part, les mouvements nationaux, confrontés aux réalités, se désagrégeront sous le poids des séparatismes, des rivalités de tendances ou des ambitions dynastiques.


Italie

Charles-Albert*, roi de Piémont-Sardaigne, se faisant le champion de l’unité italienne, lance contre les Autrichiens une véritable croisade patriotique, à laquelle se rallient quelques milliers de volontaires enthousiastes venus de toute la péninsule et, à leur corps défendant, la plupart des autres États, qui envoient des contingents symboliques (24 mars 1848). L’opération, sous ses couleurs patriotiques, dissimule mal l’impérialisme dynastique inavoué de la maison de Savoie. Elle emporte en tout cas l’adhésion de la Lombardie et de Venise, qui votent leur annexion au Piémont, ainsi que celle des partisans divisés, mais confiants, du Risorgimento* : néo-guelfes, qui rêvent d’une monarchie fédérale sous la direction du pape ; mazziniens, qui veulent un État républicain, démocratique et centralisé, et qui, minoritaires, se résignent à soutenir l’albertisme à son apogée. Le 29 avril, un coup sévère est porté à l’action en cours, lorsque Pie IX, dont l’élection en 1846 avait pourtant été saluée comme un succès libéral, condamne solennellement la croisade et rappelle le contingent pontifical. Encouragé par ce qui constitue dans l’histoire de 1848 le premier acte de résistance de la contre-révolution, Ferdinand II des Deux-Siciles renvoie son gouvernement libéral, dissout la Chambre et restaure avec brutalité l’ordre traditionnel (15 mai). C’est le signal de la débandade.

La Sicile prononce la déchéance de Ferdinand et choisit comme successeur le fils de Charles-Albert (juill.). Ce geste de Palerme est en fait un repli stratégique et séparatiste, qui fait bon marché de l’idéal unitaire. Le 25 juillet, l’armée piémontaise est battue à Custoza. C’est la fin du grand rêve de l’« Italia fara da se ». L’enthousiasme retombe, et la déception alimente la propagande de Mazzini*, qui rend les libéraux responsables de la défaite. Le parti démocratique récupère la rancœur nationaliste, tandis que surgit à l’extrême gauche une agitation d’inspiration sociale, dirigée par des sociétés secrètes « communistes ». Gênes, Livourne, Florence sont le théâtre de manifestations violentes contre la hausse des prix et le chômage. À Home, mazziniens et modérés se déchirent. L’assassinat du ministre Pellegrino Rossi, un libéral qui a vainement tenté de suivre une politique centriste, est le signal de la révolution (15 nov.). Le pape refuse de céder aux révolutionnaires, qui exigent la constitution d’un régime démocratique et la déclaration de guerre à l’Autriche. Il s’enfuit à Gaète sous la protection du roi de Naples et appelle les puissances à la reconquête de son État.


Autriche-Hongrie

La monarchie impériale doit faire face à deux adversaires principaux : les démocrates viennois d’abord, les Magyars ensuite. Pour ce faire, elle va tenter de s’appuyer sur les éléments slaves, encore largement respectueux des droits sacrés de la couronne habsbourgeoise et adversaires résolus des Hongrois. Le 22 juillet, l’Assemblée constituante (Kremsier) se réunit à Vienne. Élue au suffrage universel, elle comprend une large majorité de députés, représentant les cléments paysans d’origine slave. La gauche viennoise et les Slaves coalisés emportent une décision capitale : l’abolition du servage et des corvées ainsi que le rachat des redevances seigneuriales. C’est la fin théorique de l’Ancien Régime économique, la nuit du 4-Août de l’Empire. Mais le bloc révolutionnaire se désagrège rapidement. Vienne est le théâtre d’une première insurrection ouvrière, durement réprimée par la garde nationale bourgeoise.

La Hongrie, sous l’impulsion des radicaux de Kossuth, s’engage dans la voie d’une indépendance totale. Le gouvernement de Pest vote des lois militaires, émet une monnaie nationale et établit de son propre chef des relations diplomatiques avec un certain nombre d’États européens. Sans tenir aucun compte des aspirations des minorités croates, serbes ou roumaines, la Diète magyare légifère dans l’intérêt exclusif de la nation hongroise. Faute capitale qu’utilise à fond le gouvernement impérial. Le 3 octobre, celui-ci dissout la Diète de Pest, proclame l’état de siège et confie les pleins pouvoirs à Jelačič, le « ban » croate, âme de la lutte antimagyare.


Allemagne

Le Préparlement (31 mars - 3 avr.) a cédé la place au Parlement national, qui siège à Francfort. Composée de près de 400 intellectuels — les Akademiker — sur 573 représentants, l’Assemblée se voue à la discussion des innombrables projets de réforme fédérale ; se distinguent dans ces débats juridico-historiques les universitaires Friedrich Christoph Dahlmann (1785-1860) et Georg Gervinus (1805-1871). En juin, on aboutit à la création d’un pouvoir central, confié à un vicaire du Reich et à un gouvernement unitaire. Mais, en l’occurrence, le vicaire est l’archiduc Jean de Habsbourg, oncle de l’empereur Ferdinand Ier, et le nouveau cabinet, après quelques essais infructueux de personnalités libérales, est confié à Anton von Schmerling (1805-1893), un conservateur austrophile, de réputation autoritaire. Ce n’est qu’en octobre que le Parlement aborde la discussion de la Constitution du futur Reich, tandis que les vaincus de mars et les fonctionnaires de la Diète, nullement privés de leurs moyens d’action réels, s’emploient à torpiller les projets de réforme. Les princes relèvent la tête. Nombre de bourgeois modérés sont inquiets de la révolution sociale qui s’annonce (émeute ouvrière du 15 juin à Berlin, congrès des artisans et des compagnons à Francfort en juillet et en septembre). Il y a surtout que le mouvement unitaire paraît dégénérer en un sursaut pangermaniste peu soucieux du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. En effet, les duchés danois, Schleswig et Holstein, sont le théâtre d’une âpre lutte d’influence entre la minorité allemande, désireuse d’entrer dans une nouvelle Confédération à titre d’État autonome, et le parti danois, furieusement antiallemand. Le 24 mars, la minorité allemande constitue un gouvernement provisoire à Kiel. La Diète proclame l’incorporation du Schleswig à la Confédération ! Étrange « révolution » allemande, qui laisse légiférer des organismes renversés depuis mars, alors qu’elle s’évertue à les déclarer caducs... Les forces militaires fédérales sous direction prussienne sont lancées contre les armées danoises (avr. 1848).