Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution française (musique de la) (suite)

Une nouvelle querelle des Anciens et des Modernes opposa, entre 1791 et Thermidor, les partisans de la copie servile de l’Antiquité à des esprits plus réalistes, parfaitement conscients de l’énorme distance qui les séparait de leurs modèles : « Je suis loin de croire, déclarait Mirabeau dans son Travail sur l’éducation publique (1791), que vous ne deviez pas consulter, dans leur application pratique, la différence des temps, des lieux, des hommes. Les données des législateurs grecs n’étaient pas, à beaucoup près, les mêmes que les vôtres [...]. Vos circonstances, Messieurs, le but vers lequel vous devez tendre, les moyens que vous devez employer sont absolument différents. »

L’évolution des fêtes civiques a suivi très fidèlement celle du mouvement révolutionnaire : elle fut ascendante jusqu’à la Convention montagnarde, déclinante après Thermidor. Le caractère étroit et censitaire des premières fêtes civiques disparut à mesure que, face à la réaction intérieure, puis à la réaction étrangère, la Révolution se radicalisait. On mesurera ainsi le chemin parcouru de la fête en l’honneur de Simoneau, maire d’Étampes (1792), à la fête de l’Être suprême (1794). La première fut placée sous le signe « Liberté, Égalité, Propriété » ; le peuple y fut convié, certes, mais se montra peu empressé d’y assister. La seconde, où, cette fois, le peuple fut non plus seulement spectateur, mais chanteur, voire acteur, demeure un modèle parfait d’art authentiquement démocratique : elle constitue l’apogée de l’art civique un mois avant la chute de Robespierre. Avec la réaction thermidorienne commença le reflux du mouvement révolutionnaire, donc de ses musiques. Avec la signature du Concordat (1801), le rétablissement définitif des droits et des privilèges de l’Église fit perdre sa raison d’être à la nouvelle « liturgie civique », qui s’était substituée peu à peu au culte catholique traditionnel.

Les premières musiques civiques étaient d’ailleurs nées d’une longue laïcisation de la musique religieuse ; son transfert de l’église au concert impliquait un élargissement de son auditoire, partant un changement de sa mission : plaire avant tout — sans inciter obligatoirement à la prière —, être comprise de tous ; d’où la substitution, aux textes sacrés, de leurs traductions ou de leurs équivalences en langue profane et, finalement, l’abandon presque total de sujets mythologiques ou sacrés pour des thèmes civiques empruntés à l’antiquité romaine, voire à l’actualité immédiate.

Gossec* devait, le premier, se rallier au nouveau régime, avant ses élèves ou cadets Charles-Simon Catel (1773-1830), L. Cherubini*, François Giroust (1738-1799), Jean-François Le Sueur (1760-1837), Étienne Méhul (1763-1817). Pour la première des grandes fêtes civiques, la fête de la Fédération, il composa un Te Deum. Il s’appuya donc sur l’ancienne prose ambrosienne pour traduire le nouvel esprit. Le « hiatus » qui résultait d’une alliance aussi paradoxale fut parfaitement discerné, combattu même avec violence. Il ne devait pas tarder à se dissiper.

Transférée, cette fois, du concert à la place publique, la musique dut recourir à d’imposantes masses vocales et instrumentales, que tous les établissements musicaux réunis — écoles, théâtres... — ne suffisaient pas à fournir. D’où l’impulsion donnée à l’enseignement (des instruments à vent surtout), impulsion qui devait être le point de départ du Conservatoire de musique et de déclamation. Mais les grandes manifestations de plein air ne pouvaient avoir lieu qu’avec le concours et l’appui financier des pouvoirs publics. Aussi, pour d’autres cérémonies d’ambitions plus modestes et conçues à une échelle moins nationale que locale, dans les sections parisiennes comme dans les villes de province, naquirent des musiques à effectifs plus réduits. D’où ces hymnes à une voix et sextuor à vent, dont l’usage se généralisa pendant la Convention thermidorienne et le Directoire, lorsque les pouvoirs officiels portaient de moins en moins leurs efforts sur les fêtes en général et sur celles de plein air en particulier, sauf quand celles-ci revêtaient un caractère militaire (devenu la règle pendant le Consulat).

La composition au jour le jour d’hymnes destinés à commenter les événements joyeux ou graves de la vie nationale avait été le fait des premières années de la Révolution. À partir de Thermidor, cette improvisation dictée par le contexte fut moins fréquente. La maturation était nécessaire pour atteindre à une expression appropriée de la transformation politique et sociale radicale qui venait de s’opérer. Au bout de dix ans, des ouvrages plus élaborés, d’une veine plus égale virent le jour. Ils laissaient entrevoir justement les fruits de cette maturation. Mais, brisé dans son envol, l’art civique aura pu s’affirmer plutôt que s’affermir. On aurait tort d’en voir l’héritage uniquement à travers des musiques inspirées de semblables préoccupations : un art officiel se substitua presque entièrement jusqu’à nos jours à cet art national, d’un accent héroïque si neuf. Des régimes autoritaires et libéraux ayant alterné depuis le Consulat, les musiques de la Révolution française furent tantôt mises en lumière, tantôt rejetées, voire interdites. À la laveur de circonstances exceptionnelles, certaines partitions ont renoué avec le fil interrompu de l’art civique, tels la grande Symphonie, funèbre et triomphale de Berlioz (1840) ou les interludes pour harmonie destinés par de célèbres musiciens (Auric, Honegger, Ibert, Koechlin, Lazarus, Milhaud, Roussel) au Quatorze-Juillet de Romain Rolland (1936).

Au problème toujours vivace des rapports de l’artiste et de son public, les maîtres de la Révolution française ont proposé une solution très hardie, avec des œuvres proches de la perfection : la Marseillaise, le Chant du départ, mais aussi la Bataille de Fleurus de Catel sont d’authentiques réussites, dues à une expérience exaltante et qui s’est bien rarement retrouvée.