Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution française (suite)

L’opinion a longtemps prévalu parmi les historiens que l’armée de la Révolution avait gagné la plupart de ses victoires en pratiquant l’attaque en colonnes serrées précédées d’une préparation d’artillerie apte à démoraliser l’adversaire et de tirailleurs énervant les premières lignes adverses. Et il est vrai que, dans les premiers temps (1792-93), cette tactique, préconisée par Carnot, fut largement appliquée. Elle permettait aux chefs de mieux entraîner et de mieux tenir des soldats inexpérimentés et qui, sans l’impression réconfortante d’être au sein d’une masse agissante, auraient connu la panique. D’autre part, cette tactique trouva sa justification dans une considération morale et dans un impératif économique. Considération morale : les révolutionnaires héritent d’une image du combattant français créée depuis plusieurs siècles. Le soldat français est fougueux, et il est impossible de lui inculquer une discipline qui en fasse un bon automate ; il faut donc utiliser au mieux cette « furia francese », que vient encore renforcer le patriotisme. Impératif économique : les fusils manquent ; et quand on en a en suffisance dans une unité, ils s’usent très vite ; faute d’être convenablement huilées, les batteries se dessèchent, se liment par frottements et sont inutilisables. Enfin, il y a la poudre et les balles : le réflexe des jeunes recrues qui reçoivent le baptême du feu est, pour surmonter la peur qui les tenaille, de procéder à une débauche de coups de fusil, et les demi-brigades manquent très vite de munitions. Pour ces différentes raisons, on préconise l’attaque en colonnes, la baïonnette au canon. L’arme blanche est d’ailleurs l’objet d’une véritable mystique qui, venue des rangs des sans-culottes, gagne l’armée. Il y aura dans les bataillons de l’infanterie de ligne et de l’infanterie légère des compagnies de piquiers, et l’on organisera même des corps de lanceurs de javelots propres à briser l’attaque de la cavalerie ennemie.

Pourtant, une étude systématique des batailles qui se sont déroulées en 1794 révèle que l’armée de la Révolution, et plus précisément l’infanterie, a su conserver et appliquer avec bonheur les inventions tactiques de la fin du règne de Louis XVI et inventer d’autres formes d’actions ; ces innovations furent parfois assez savamment combinées : ainsi à l’armée du Nord, où les chefs surent employer à la fois la colonne d’attaque, l’ordre en ligne ou les bataillons carrés. Les jeunes incorporés dans les régiments ou les bataillons de volontaires bien encadrés apprirent vite de leurs frères d’armes les évolutions nécessaires ; nombre d’entre eux avaient d’ailleurs reçu dans le centre des districts ou dans les places fortes un dégrossissement utile, opéré par une foule d’instructeurs — des militaires en retraite —, qui, dès août 1793, se présentèrent spontanément aux représentants en mission.

Plus que dans la cavalerie, c’est dans l’artillerie qu’il y eut des changements notables. L’Ancien Régime avait fourni une « arme » rénovée. La Révolution poursuivit son œuvre et donna dans les combats une large application à l’artillerie « volante ». Faite de batteries légères tractées par plusieurs chevaux, celle-ci pouvait intervenir rapidement et multiplier sur le champ de bataille la puissance de feu.

L’instrument de guerre que la Révolution légua à son tour à Bonaparte était donc amélioré et ne demandait plus, pour acquérir une forme définitive qui le rende pleinement efficace, que quelques retouches.

Les leçons tactiques apprises sur le terrain permirent aussi de réduire les pertes. Celles-ci, quant à leur nombre, sont l’objet de controverse. 400 000, 800 000, un million ? Depuis les estimations très exagérées de Taine, les historiens ne cessent de disputer. Ils n’ont pas toujours su remarquer que perte ne signifiait pas mort et que beaucoup de disparus n’étaient que des prisonniers qui revinrent parfois fort tardivement dans leur ville ou leur village. Il est parfois aussi bien difficile de savoir ce que sont devenus les milliers d’hommes envoyés dans les hôpitaux de l’arrière ; les moins touchés s’efforçaient, par tous les moyens, de s’échapper des locaux où l’on entassait, sans grand souci d’hygiène, une foule considérable d’hommes.

Les estimations les plus récentes tournent autour du chiffre de 400 000 tués ou disparus. Les chercheurs qui les donnent distinguent aussi entre les périodes : celle qui va de l’été à l’hiver de 1793 a été très meurtrière ; l’une des causes de cette hécatombe est l’incapacité de certains des généraux choisis pour leur sans-culottisme ou l’inexpérience des capitaines qui avaient été élus par leurs hommes lors de la levée des 300 000 hommes et lors de la réquisition. Les choses changèrent avec les contrôles répétés et l’épuration entreprise par le gouvernement révolutionnaire au printemps de 1794. Une autre période meurtrière a été celle de la fin du Directoire, où, la patrie étant de nouveau en danger, la loi de conscription amena vers les lieux des combats une masse d’hommes sans entraînement ni éducation militaires.

J.-P. B.

Révolution française (musique de la)

On désigne précisément par cette expression les hymnes (à une ou plusieurs voix), les symphonies, les ouvertures, les marches militaires et les pas de manœuvre avec orchestre d’harmonie ou orchestre symphonique qui, pendant dix ans (1790-1800), constituèrent l’illustration sonore des fêtes civiques.


Longtemps avant qu’elles n’apparussent, ces dernières étaient tenues dans leur principe même pour un moyen d’éducation collective efficace et rapide, le seul capable d’inculquer un nouvel esprit à la fois aux anciennes et aux nouvelles générations. Ainsi Jean-Jacques Rousseau*, dans sa fameuse Lettre à d’Alembert sur les spectacles, avait fait l’éloge des fêtes pratiquées par la Grèce et la Rome antiques. On peut dire que ce texte a servi de programme — appliqué presque point par point — aux fêtes civiques de la Révolution française.