Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution française (suite)

Combien sont-ils ? 600 000, 800 000, plus d’un million ? Les estimations officielles varient. Beaucoup sont souvent des coups de bluff faits pour remplir de crainte l’adversaire. L’historien n’arrivera jamais, sans doute, à donner un chiffre exact. Qu’importe ! Ce qu’il faut redire, c’est l’impression que tous les contemporains eurent d’une immense noria puisant sans cesse dans un flot de combattants qui ne semblait avoir de fin.

Mais cette masse de combattants, il fallait, pour la rendre efficace, l’encadrer. Et de nouveau se posa le problème de l’officier patriote ou du technicien. Un temps, le gouvernement révolutionnaire se rendit aux raisons des sans-culottes, qui privilégiaient l’esprit politique et demandaient une épuration massive non seulement des nobles, mais aussi de tous ceux qui, formés dans les camps de l’ancienne monarchie, étaient marqués par la mentalité d’Ancien Régime. Il comprit aussi très vite, avec Carnot, qu’on ne s’improvise pas officier et que l’enthousiasme ne peut suppléer au défaut d’expérience. Surveillant étroitement les généraux et les officiers de l’ancienne armée, il sut les rappeler et les maintenir à leur poste tout en préparant leur relève par des patriotes à talents que sélectionnaient les représentants en mission ou que devait préparer l’école de Mars, ouverte aux fils des sans-culottes (1er juin - 23 oct. 1794). Entreprise de longue haleine, l’amalgame ne sera achevé qu’un an plus tard ; mais, désormais, l’armée est, par son recrutement, son encadrement, sa discipline, son instruction politique, une comme la nation.

À tous les citoyens en armes, du soldat au général, le gouvernement révolutionnaire ne donne qu’un seul mot d’ordre : vaincre et détruire l’adversaire partout où il se trouve ou bien mourir. Qui s’écarte de cette mission est puni de mort, et la justice militaire sera impitoyable aussi bien pour les jeunes tambours maraudeurs que pour les généraux, tel Jean Nicolas Houchard (1738-1793), qui n’anéantissent pas un ennemi dont ils sont vainqueurs.

C’est cette armée nationale et révolutionnaire, formée en l’an II, qui va partir à la conquête de l’Europe. Guidée par de jeunes généraux, dans un premier temps étroitement subordonnés au pouvoir civil, elle anéantira partout l’ancien système des rapports sociaux.


L’armée au combat

Il faut surprendre, bousculer, poursuivre et anéantir l’adversaire. Le combat, c’est donc d’abord une marche incessante, ponctuée, sur le théâtre pyrénéen, puis sur le théâtre alpin, d’escalades et de descentes vertigineuses. Les étapes sont longues, et le repos est toujours bref ; les saisons ne rythment plus la vie guerrière : on combat aussi bien en hiver qu’en été. Or, l’Europe a connu, notamment en 1794, des périodes hivernales caractérisées par des chutes de neige abondantes suivies de gel intense. Qu’on se souvienne de cette cavalerie française capturant une flotte hollandaise prise par les glaces devant le port du Helder. Au sud, sur les premiers contreforts des Pyrénées, il neigea tant et le froid fut si intense que des bataillons entiers se perdirent et que les conducteurs des convois de munitions durent souvent abandonner leurs équipages pour ne pas subir le sort de leurs bêtes, qui périrent de froid par une température de – 15 à – 20 °C.

Or, cette dépense d’énergie hors de pair s’accomplit au moment même où, malgré le travail considérable des artisans de la nation, il est difficile d’assurer le renouvellement en habits et en souliers. C’est une armée en guenilles qui subjugue l’Europe et qui, le soir venu, ne trouve ni tentes, ni couvertures au cantonnement.

Les souffrances endurées s’inscrivent dans la chair de ces hommes, et les registres de contrôle des vétérans permettent, encore de nos jours, d’en faire le tableau : rhumatismes déformants, membres gelés et amputés, vision atténuée ou cécité complète. Le délabrement physique qui fera d’hommes de trente ans des vieillards est aussi le fait d’une mauvaise alimentation. Là encore, le gouvernement, du moins celui de la Convention, s’est efforcé de fournir aux demandes de l’armée, mais, bien souvent, les moyens de transport ont manqué pour amener vers les camps la subsistance réquisitionnée à l’arrière. Le rythme alimentaire du soldat a été celui de la disette, coupée par de courtes bombances. De nouveau, les registres des Invalides ou ceux des contrôles de troupes permettent de dresser le catalogue des infirmités : dentition entièrement perdue, hernie double et volumineuse, descente d’organe, etc.

Faute de recevoir régulièrement la nourriture nécessaire, les chefs finissent par tolérer la maraude et par organiser le pillage systématique du pays occupé. La guerre révolutionnaire — « paix aux chaumières, guerre aux châteaux » — applique par nécessité l’ancien droit de la guerre. « Pourquoi, écrit un commissaire des guerres à un général, n’utiliserions-nous pas les avantages que nous offre la contrée occupée ? [...] N’est-il pas juste que le soldat vainqueur vive sur le sol qu’il protège ? » Et les généraux n’acceptent la capitulation d’une ville que si elle est assortie d’une forte indemnité en nature. Et bientôt, comme en témoigne Goethe, une « race d’hommes pervers se disputa les fruits de la domination. Les supérieurs ravisseurs en masse, les inférieurs, jusqu’au moindre d’entre eux, tous nous pillèrent [...]. »

« La tempérance, proclama le gouvernement révolutionnaire, est une vertu civique. » Les soldats l’oublièrent vite, et, malgré la rigueur des punitions imaginées par le commandement, l’ivrognerie fut une maladie qui corrompit nombre de bataillons.

Pour éviter le total dénuement, il fallait que la troupe agisse avec célérité et s’empare d’une large portion de territoire sur laquelle elle puisse vivre. Dans cette stratégie de l’offensive à outrance, quelle fut la tactique pratiquée sur le champ de bataille ?