Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution française (suite)

Mais la « féodalité d’Ancien Régime », c’est surtout la servitude de la terre, sur laquelle pèsent les rentes foncières inaliénables, les redevances perpétuelles, « les lods et ventes » et les dîmes. Or, la France, à l’encontre de l’Angleterre, par exemple, ou des pays de l’Europe de l’Est, est caractérisée par l’existence d’une catégorie nombreuse de paysans qui sont propriétaires de terres et qui ont à payer ces droits. Sont-ils lourds à la veille de la Révolution ? Appauvris, certains nobles entreprennent une réaction seigneuriale qui, par la révision des « terriers », tend à une mise à jour des droits tombés en désuétude. Pour juger du poids réel de cette « féodalité » sur le paysan, on recourt, de nos jours, à des sources qui ne sont pas toujours les mêmes et qui parfois présentent mieux le poids soutenu par la terre que la dimension sociale du phénomène. Ce qui compte, c’est l’évaluation de la charge par rapport au revenu du paysan. Les réponses ne sont donc pas toujours toutes utilisables. Quand elles le sont, elles donnent l’impression d’une très grande variabilité de région à région et à l’intérieur de chaque région, dans un même terroir. La charge, souvent lourde, est d’autant plus insoutenable en années de disette. C’est pour s’en débarrasser que les paysans vont pénétrer, au côté des masses populaires urbaines, dans une révolution bourgeoise qui, comparée à celle que connurent d’autres pays comme l’Angleterre et l’Amérique, acquiert ainsi sa spécificité.


Spécificité de la Révolution française

En 1955, un Américain, Robert R. Palmer, et un Français, Jacques Godechot, étudiant la Révolution française, ont conclu que, pour mieux la comprendre dans ses origines comme dans son déroulement, il fallait la replacer dans le cadre d’une « Révolution atlantique ». La Révolution française s’inscrit en effet dans une chaîne de révolutions animées à des degrés divers par la bourgeoisie et qui se déroulent presque toutes en Europe occidentale et en Amérique : révolution américaine (1770-1783) ; troubles révolutionnaires en Irlande et en Angleterre (1780-1783) ; révolution aux Provinces-Unies (1783-1787) ; révolution aux Pays-Bas autrichiens (1787-1790) ; révolutions démocratiques à Genève (1766-1768 et 1782) ; révolution en France (1787-1815) ; révolution polonaise (1788-1794) ; reprise de la révolution belge avec l’aide de la France (1792-1795) ; révolution en Allemagne rhénane avec l’aide de l’armée française (1792-1801) ; reprise de la révolution à Genève (1792-1798) ; révolution dans divers États italiens (1796-1799).

Mais la thèse estompe les caractères spécifiques de la Révolution française. Si cette dernière ne peut s’isoler du reste de l’histoire européenne, elle est le produit d’une société particulière. Dans les autres pays, les conditions existent pour que la bourgeoisie parvienne à un compromis avec ses ennemis d’hier, pour que soit ainsi sauvée une partie de l’ancien mode de production et pour que se construise une démocratie « étroite » dont les masses ne profiteront pas. En France, au contraire, si « la bourgeoisie se serait contentée d’un compromis qui l’eût associée au pouvoir, l’aristocratie s’y refusa. Tout compromis achoppait à la féodalité » (A. Soboul). En face de la résistance de la noblesse, il y a aussi la volonté des paysans d’en finir avec les survivances de la féodalité. L’alliance nécessaire de la bourgeoisie avec les masses populaires urbaines et rurales conduit à l’élaboration d’une démocratie plus large et plus ouverte que dans les autres pays où s’était établi ce régime. C’est notamment cette poussée populaire qui fait de la Révolution française, que l’on devrait plutôt appeler « bourgeoise-paysanne » (A. Soboul), la Révolution de la liberté et de l’égalité.


La Révolution de la liberté et de l’égalité

De cette Révolution de la liberté, le droit naturel universaliste est l’invocation. Mais la Révolution française va plus loin que la révolution américaine. Elle affirme la liberté de conscience et reconnaît que le citoyen n’a pas à adhérer à une religion. Libératrice de l’homme blanc, elle abolit le 4 février 1794 la servitude des Noirs.

Révolution de l’égalité, la Révolution française dépasse là encore ses devancières. Dès le printemps 1789, la paysannerie commence sa lutte contre l’aristocratie ; elle contraint la bourgeoisie et la noblesse, au lendemain de la Grande Peur, à la nuit du 4-Août. Mais, dans cette nuit, si les privilèges sont détruits, les droits seigneuriaux ne le sont pas. Reconnus comme une propriété, ils sont déclarés rachetables. En cas de conflit avec le seigneur, c’est aux paysans de faire la preuve que le contrat n’existe pas ou a été outrepassé.

De 1790 à 1793, la paysannerie continue donc à porter les armes contre le « château ». Ces insurrections, moins spectaculaires que celles de 1789, sont plus profondes et plus graves ; elles sont, comme le remarque leur historien, A. Ado, mieux organisées. Durant l’année 1790, qui n’est pas l’année heureuse qu’évoquent certains historiens, la haute Bretagne, le Limousin, le Périgord et le Quercy, le Rouergue, l’Agenais, l’Albigeois et une partie de la haute Auvergne connaissent ces fureurs paysannes. L’année suivante, elles gagnent les départements de la Somme, des Côtes-du-Nord, d’Ille-et-Vilaine, de la Charente-Inférieure, de l’Oise et de Seine-et-Marne. En 1792, le mouvement se maintient ou apparaît dans une partie de la Bretagne, l’Angoumois et la Saintonge, le Périgord et le Quercy, l’Auvergne et le Gâtinais. Les Archives départementales ou nationales, mais aussi les Archives de la guerre attestent l’intensité de la lutte : les comptes rendus de l’autorité militaire appelée à suppléer les gardes nationales montrent les forces de l’ordre débordées. Ainsi, la Révolution ne put se stabiliser à l’expérience de 1789.

Après le 10 août 1792, la Législative oblige le seigneur qui désire le rachat de ses droits à en faire lui-même la preuve, ce que l’incendie de ses archives lui interdit souvent. En même temps, la Révolution donne aux plus déshérités l’espérance de devenir propriétaires par le partage en petits lots des biens communaux. Enfin, la Convention supprime le 17 juillet 1793 tous les restes de la « féodalité ».