Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Révolution française (suite)

Mais cette action des paysans rend inévitable la guerre contre l’aristocratie étrangère, alliée à l’aristocratie française. Confrontée à la lutte sans merci que ces aristocraties font à la Révolution, la bourgeoisie passe alliance avec la sans-culotterie (v. sans-culottes) des villes qui part avec la paysannerie à la défense de la patrie. La nation en armes, c’est tout ce peuple révolutionnaire qui abat la monarchie et cherche à faire table rase du passé. La patrie, c’est la terre de liberté et d’égalité où les citoyens doivent vivre dans « une communauté d’affection ».

Cependant, en l’an II et en l’an IV, la Révolution tend à dépasser le cadre dans lequel voulait l’inscrire la bourgeoisie. Par la démocratie directe, en l’an II, la sans-culotterie, groupe social où se mêlent les petits propriétaires et les salariés, menace la domination bourgeoise. Elle réclame l’égalité des jouissances. La taxation, puis les décrets de ventôse (févr. 1794) commenceront à lui donner satisfaction. On sait comment la bourgeoisie montagnarde réussit à contrôler et à freiner le mouvement, mais comment aussi cette victoire lui est fatale, au 9-Thermidor. Il restera le message de ceux qui, comme Jacques Roux († 1794), affirmait que « la liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément ; l’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable ».

En l’an IV, le babouvisme reprend ce message, mais l’amplifie et le précise. On a cru longtemps, avec l’historien Mathiez, que le babouvisme n’avait été qu’un placage de vagues idées communistes sur un essai d’union, comme en l’an II, de la bourgeoisie montagnarde et du peuple. Des études récentes, comme celles de l’historien soviétique V. M. Daline, montrent que le chef de la « conjuration des Égaux », Gracchus Babeuf*, était, dès 1789, communiste, mais qu’il atténua en 1796, par souci tactique, sa doctrine.


La Révolution de l’unité nationale

« Un agrégat inconstitué de peuples désunis », tel apparaissait à Mirabeau la France de 1789. Des divisions administratives souvent incohérentes, des différences dans le droit et les coutumes, une société en partie corporative séparaient les Français les uns des autres.

Le mouvement de Fédération qui emplit l’année 1790 avait manifesté le désir d’union de tous les Français, désormais libres et égaux en droits. Un des premiers actes de la Convention fut d’affirmer l’unité et l’indivisibilité de cette nation formée par l’acte volontaire des citoyens. Les nécessités de la guerre amenèrent le retour à la centralisation, et la Révolution acheva ce qu’avait commencé la monarchie. Cette nécessaire union face à l’aristocratie fut parfois le fait de la contrainte ; il y eut en France plus d’une « petite » Vendée.

L’armée nouvelle créée par la levée en masse et par l’« amalgame » fut un instrument et un symbole de cette unité. Peu à peu mêlés au sein des bataillons, les Français apprirent à se connaître les uns les autres et à se reconnaître comme les mêmes membres de la patrie. Les notions de patrie et de guerre révolutionnaire demeurèrent longtemps unies pour les Français, qui, au retour des camps, apportèrent dans maintes villes et villages l’éducation politique qu’ils avaient reçue.


La France nouvelle

Progrès ou frein à l’expansion ? Depuis des années, les historiens s’opposent sur la réponse à donner à cette question. Pour certains, tel Pierre Chaunu, les révolutionnaires sont « des petits hommes qui de la Bastille aux jardins des Tuileries, puis de Valmy à Austerlitz, Bailén et Moscou s’efforcent avec succès de faire dégringoler la France et l’Europe continentale de la ligne de crête de l’évolution ». Pour d’autres, ils font œuvre de progrès. La Révolution occupe une place de choix dans l’évolution qui mène la France au démarrage industriel et à l’avènement du capitalisme moderne.

La question se transpose sur le plan social et institutionnel. Continuité ou brusque changement ? La société française est-elle radicalement différente de celle de l’Ancien Régime ? La France des notables ne se forme-t-elle pas bien avant 1789, et l’étape révolutionnaire lui a-t-elle été faste ou néfaste ? Permanence ou rupture ? En quoi et dans quelle mesure l’État est-il modifié par la Révolution française ?


La République des propriétaires

Par toute une série de lois, la Révolution jette les bases du capitalisme du xixe s. Désormais, on peut acquérir, sans interdits et sans prélèvements opérés par les seigneurs, on peut vendre les fruits que les propriétés produisent. Un marché vaste, depuis que ne le fractionnent plus les barrières douanières, crée le « bon prix » et incite à la production. Liberté de l’entreprise : le carcan des corporations tombe ; les pressions ouvrières sont moins à craindre. Tout un arsenal juridique permet de réprimer, comme le remarque Chaptal, les coalitions des salariés, d’interdire leur organisation en assemblées délibérantes, de punir les demandes formées en corps pour faire augmenter les salaires, de prévenir enfin la cessation du travail et la désertion des ateliers.

Sur le plan monétaire, si l’assignat permet aux paysans de rembourser plus facilement leurs dettes, il devient une gêne insupportable. Le Directoire entreprend une réorganisation de la monnaie dont bénéficiera l’Empire, qui la complétera. Pourtant, les vicissitudes monétaires, l’insuffisante implantation de banques importantes et l’absence d’une Banque nationale sont en grande partie responsables de la contraction du crédit, qui nuit au développement des affaires.

Mais la richesse essentielle n’est-elle pas d’abord l’homme ? La Révolution ne se fixait-elle pas comme but « le plus de bonheur possible pour le plus grand nombre possible » ? Avant 1789, les hommes, en raison d’une natalité extrêmement élevée, étaient plus nombreux qu’auparavant. N’est-ce pas d’ailleurs ce poids démographique, décelé par Marcel Reinhard et ses disciples, qui, coïncidant avec la crise, rendit la situation explosive en 1789 et permit à la Grande Nation d’envoyer ses soldats à travers l’Europe ?