Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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revenus (suite)

D’autres méthodes sont celles des pourcentages, qui indiquent les changements possibles entre deux dates. La plus connue est celle de Lorenz. Au lieu de considérer les pourcentages d’individus disposant de plus (ou de moins) d’un certain revenu, Lorenz étudie les pourcentages de bénéficiaires qui reçoivent un certain pourcentage de l’ensemble des revenus. Les individus sont rangés par ordre de revenu croissant, et l’on calcule la proportion z du revenu total possédé par le pourcentage y d’individus ayant un revenu inférieur à x. Cette méthode permet de calculer un indice de concentration relativement clair : elle a le mérite de porter sur l’ensemble des revenus, sans impliquer des hypothèses sur la forme de la courbe de distribution, car la courbe de Lorenz ne dépend ni du revenu moyen ni de la taille de la population. Elle permet enfin des comparaisons aisées entre des distributions différentes.

Évidemment, toutes ces méthodes ne peuvent être utilisées que dans la mesure où l’on a défini ce que l’on veut retenir dans la distribution que l’on cherche à apprécier, sans compter ce qui doit être exclu ou réévalué, etc. Aussi faut-il choisir l’unité de revenu de base (actif, individu, famille), résoudre le problème de la nature du revenu (revenus en monnaie ou en nature), choisir la période de temps à laquelle on appliquera l’analyse de la distribution (revenu annuel ou revenu d’une vie de travail), tenir compte éventuellement des effets de redistribution suscités par l’intervention publique (ou, tout au moins, des bénéfices reçus de la consommation de services collectifs), déterminer les revenus à prendre en considération (revenu du travail, de la propriété), analyser l’évolution respective des familles et des groupes dans le temps.

On a pu faire remarquer que des tendances à l’inégalité des revenus observées sur une longue période peuvent être à l’origine d’inégalités plus marquées à court terme. Par exemple, il est bien connu que certains groupes sociaux (aux niveaux de revenus moins élevés) sont beaucoup plus touchés par le chômage et la maladie que d’autres. Il y a là une source d’inégalité à court terme qui est liée à une tendance à long terme, laquelle, à son tour, risque d’accentuer l’inégalité à court terme ou à accuser la pauvreté de certains groupes : bien qu’en cas de récession le chômage frappe toutes les catégories de revenus, on trouvera des chômeurs surtout dans les couches les plus basses de revenus ; dans ces conditions, on devra considérer le chômage comme la manifestation essentielle de l’inégalité des revenus et voir l’interaction des tendances à long terme et des tendances à court terme comme un processus cumulatif, le chômage qui affecte certaines catégories plus que d’autres pouvant rendre difficile une amélioration à long terme de leur situation. Inversement, il peut arriver qu’une détérioration conjoncturelle de la situation de certaines familles aggrave leur situation à long terme et les installe dans un groupe déclinant : l’exemple le plus caractéristique est celui des agriculteurs, dont la faiblesse et l’instabilité du revenu par rapport à d’autres groupes résultent non seulement du type d’activité, mais aussi et surtout de la situation à long terme de l’agriculture dans les pays industrialisés (déclin séculaire de la part du revenu agricole dans le revenu total). Aussi est-il facile d’en déduire que l’étude du revenu n’est pas significative sur une année et que l’interaction des tendances à long et des tendances à court terme introduit des discordances entre distribution annuelle et distribution à long terme. Plus précisément, la dispersion du revenu tend à augmenter l’inégalité des revenus moyens entre les cadres supérieurs, les salariés et les exploitants agricoles.


Vers une moindre inégalité ?

Compte tenu des réserves qui peuvent être exprimées à l’égard de la signification du degré d’inégalité en matière de revenus, il n’en demeure pas moins que, dans les pays industrialisés comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne fédérale, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark et la France, on peut observer une évolution vers une moindre inégalité.

Cette réduction de l’inégalité s’expliquerait par le fait que les revenus perçus auparavant par les 35 p. 100 de revenus supérieurs ont été transférés pour une partie au reste de la population. Les autres modifications sont dues à un nivellement général des revenus dans l’ensemble de la répartition. Plus précisément, on observe un amenuisement de la part des classes à revenus supérieurs ; cet amenuisement a été attribué à la diminution des revenus de la propriété, notamment des loyers et des dividendes, revenus qui sont particulièrement concentrés dans les classes supérieures. Par exemple, si la proportion des bénéfices distribués a considérablement diminué, c’est que la part de l’autofinancement* des sociétés* s’est accrue beaucoup plus vite que le revenu national. Cependant, si l’on tient compte des bénéfices non distribués (qui, en réalité, viennent accroître la valeur des actifs des sociétés), la part des classes à revenus supérieurs n’aurait pas autant diminué ; ce serait le cas de la Grande-Bretagne.

Cet exemple illustre en fait les difficultés que l’on rencontre pour évaluer avec exactitude la part du revenu des classes élevées, tellement celui-ci est soumis à l’action de facteurs pouvant jouer dans des sens contradictoires. Il est bien évident que l’aggravation de la fiscalité, la lutte contre la fraude fiscale ou l’évasion légale peuvent, dans l’ensemble, contribuer à réduire la part des classes à revenus supérieurs. En revanche, il n’est pas tellement sûr que l’accroissement des frais généraux des sociétés aboutisse nécessairement à diminuer cette part, dans la mesure où certains d’entre eux profitent directement ou indirectement à ces mêmes classes. De même, les avantages en nature accordés aux bénéficiaires de revenus élevés peuvent compenser une diminution de la rémunération apparente, tout en laissant croire que la part se trouve ainsi réduite. Par ailleurs, la comparaison entre les groupes situés au sommet de l’échelle des revenus et les autres groupes peut se trouver faussée si ces derniers parviennent à obtenir des méthodes d’imposition qui leur sont favorables (comme le forfait des commerçants ou des agriculteurs).