Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
R

Réveil (le) (suite)

L’explosion enthousiaste qui transfigure ces jeunes gens émeut naturellement les autorités ecclésiastiques, qui essaient de mettre un holà à leur zèle missionnaire, à leur passion de la grâce. Pratiquement interdits de parole dans les Églises officielles, ils n’ont d’autre recours que d’ouvrir des chapelles ou communautés indépendantes, où s’accentuent les tendances particulières de chacun : on sera piétiste au Bourg-de-Four, calviniste au Témoignage, fondamentaliste ou « théopneuste » à l’Oratoire. Puis, comme les limites de Genève et son esprit sont décidément trop étroits, on passe en France ; Frédéric Monod (1794-1863) introduit le Réveil à Paris ; Ami Bost (1790-1874) en Savoie et dans le Centre ; Jean-Frédéric Vernier (1796-1871) dans l’Isère et la Drôme ; Henri Pyt (1796-1836) dans le Béarn ; Félix Neff (1798-1829) dans les Hautes-Alpes ; César Malan (1787-1864) un peu partout. Là où on les accueille, ils labourent la pâte conformiste des Églises mal remises de deux siècles de persécutions ; là où on ne les reçoit pas, ils créent des « Églises libres », à l’exemple d’Alexandre Vinet (1797-1847), le plus illustre représentant du Réveil au pays de Vaud, le théologien du ministère pastoral dont, jusqu’à nos jours, nombre de ministres protestants rêvent d’incarner l’idéal.

On peut résumer ainsi les grandes convictions du Réveil :
— importance décisive de l’expérience spirituelle de la rencontre avec Dieu et de la conversion ; ici se marque l’influence de Friedrich Schleiermacher (1768-1834), théologien et prédicateur à Halle et à Berlin, pour qui toute théologie naît de l’analyse du sentiment de dépendance absolue, spécifique de la foi chrétienne ;
— retour à la Bible comme seule norme de la foi et de la vie chrétienne, avec une nette tendance au littéralisme et à l’identification de la parole au livre ;
— redécouverte de l’identité particulière de l’Église, qui ne saurait se laisser uniformiser par la société, et insistance sur l’absolue nécessité de la séparation d’avec l’État ; bien que pour la plupart membres de la bourgeoisie, les « libristes » développent un christianisme potentiellement, et bien souvent effectivement, contestataire ;
— zèle missionnaire avec fréquemment une composante très forte de morale sociale.

Les fruits du Réveil, outre un renouveau de l’étude de la Bible par l’ensemble du protestantisme et, à sa suite, par le catholicisme, sont multiples.
1. Se créent et se développent de grandes sociétés pour la traduction, l’impression et la diffusion de la Bible (Société biblique protestante de Paris, 1818). Désormais, il s’agit là d’une œuvre d’Église, vivant de l’offrande des fidèles et s’interdisant de faire aucun bénéfice commercial.
2. Des œuvres d’évangélisation et d’action sociale naissent à l’intérieur des vieux pays « de chrétienté ». De nombreuses communautés sont créées en milieu ouvrier, la lutte contre l’alcoolisme (Croix Bleue) et contre la prostitution est entreprise, les prisons sont visitées.
3. Des sociétés de mission se fondent outre-mer, qui ouvriront des champs lointains et assumeront, avec une audace étonnante, des responsabilités démesurées, eu égard à la base démographique et financière représentée par les « Églises mères » ; 150 ans après leur fondation, la plupart de ces entreprises ont amené les « jeunes Églises » à l’indépendance et vivent avec elles dans des relations de complète égalité en ce qui concerne le partage réciproque des projets et des réalisations apostoliques.
4. Les œuvres d’enseignement et d’éducation de l’enfance et de la jeunesse se développent : on renouvelle les formes de la catéchèse par la création d’écoles du dimanche ; une action auprès de la jeunesse abandonnée ou indifférente est entreprise grâce à l’organisation de mouvements spécialisés qui sont à l’origine de toute la recherche moderne en ce domaine.

Il est clair que les conceptions et réalisations du Réveil datent ; pourtant, il est certain que son influence est loin d’être éteinte (notamment dans l’hymnologie) ; même en réaction contre lui, c’est encore sa force que l’on atteste ; en négatif et en positif, le visage des communautés protestantes actuelles ne serait pas ce qu’il est sans le formidable coup de boutoir qu’il leur porta dans la première moitié du xixe s. Les « réveils » du pays de Galles au milieu du xixe s. et ceux de l’Afrique et de l’Amérique à la fin du xixe et au xxe s. ont des caractéristiques analogues et constantes, au-delà des originalités dues aux différences des situations. Cette extraordinaire capacité de renouveau du christianisme, ce sens de l’union étroite entre l’intime et l’universel qui, toujours de nouveau, s’y manifeste, ce pari que les pesanteurs individuelles et institutionnelles ne sauraient avoir le dernier mot peuvent être compris par l’observateur extérieur comme une tentative renouvelée et vaine d’échapper aux limites du temps et de l’espace ; ils peuvent être regardés par le chrétien comme autant de signes d’une puissance jamais exténuée, celle de la résurrection qui projette des hommes vers l’avenir tout en les enracinant solidement dans le présent.

Là où la parole rencontre vraiment l’histoire, il se passe toujours que des hommes soient réveillés par elle.

G. C.

➙ Églises protestantes / Méthodisme / Piétisme / Protestantisme.

 L. Maury, le Réveil religieux dans l’Église réformée à Genève et en France, 1810-1850 (Fischbacher, 1892 ; 2 vol.). / A. Vinet, Théologie pastorale ou Théorie du ministère évangélique (Payot, 1942). / G. Lagny, le Réveil de 1830 à Paris et les origines des diaconesses de Neuilly (Assoc. des diaconesses, 1958). / E. G. Léonard, Histoire générale du protestantisme (P. U. F., 1961-1964 ; 3 vol.). / J. Boisset, Histoire du protestantisme (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1970).