Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Asie de la mousson (suite)

Le monde indien et indianisé

Le monde indianisé est un monde religieux divisé entre islām, hindouisme et bouddhisme ; il y a en outre des minorités chrétiennes, et les Philippines sont catholiques. La « partition » du monde indien en août 1947 et la création du Pākistān ont été dues à la volonté des musulmans de ne pas vivre dans un État hindou. Le Bengale et le Pendjab ont été partagés en deux, et, avant l’indépendance du Bangla Desh, 1 700 km séparaient les deux régions formant le Pākistān. L’islām règne sur le Pākistān, le Bangla Desh, la Malaisie et l’Indonésie.

En dépit de l’existence d’importantes minorités religieuses et du fait que l’Union indienne est, en principe, un État laïc, 86 p. 100 des Indiens sont hindouistes, et leur ferveur religieuse est grande. Pour ce panthéisme, la vie est, grâce à la réincarnation, éternelle ; elle peut se réincarner dans un animal, et il n’y a donc pas de différence fondamentale entre l’homme et l’animal ; il est donc interdit de tuer les animaux : telle est la doctrine de l’ahimsā. L’hindouiste strict, et plus particulièrement le brahmane, ne mange ni viande, ni œuf, ni poisson : les métiers de boucher, d’équarrisseur, de tanneur, de cordonnier, de pêcheur ne sont pratiqués que par des intouchables ou des non-hindous. Il est difficile de ne pas attribuer aux préceptes religieux la faible importance de la pêche et du petit bétail. L’Union indienne tout entière pêche environ 1 Mt de poisson, ce qui représente 2 kg de poisson par personne et par an : pêcheurs en mer et consommateurs sont, pour la plupart, musulmans ou chrétiens. On estime à quatre œufs par an la consommation individuelle (les volailles sont peu nombreuses), à six millions le nombre des porcs, propriété des plus misérables intouchables, à 40 millions celui des moutons, élevés pour la laine ; à 60 millions celui des chèvres, dont la viande est consommée par la plupart des Indiens, quand ils le peuvent, mais non par les brahmanes. La viande de bœuf n’est jamais consommée. L’énorme troupeau bovin (160 millions de têtes) et bubalin (50 millions de têtes) est un instrument de travail. Le lait, toutefois, est consommé, en particulier le lait de bufflesse, surtout sous forme de beurre fondu (ghī) ; mais ce lait, aliment essentiel des castes élevées (brahmanes), est assez cher.

Le système des castes repose sur une spécialisation socio-professionnelle héréditaire : la société indienne est divisée en quelque deux mille cellules étanches, endogamiques, les jāti. Récemment encore, chaque caste avait sa spécialité, souvent étroite et toujours exclusive (jardiniers, potiers, porteurs d’eau, grilleurs de pain). Le village indien était une cellule économique autarcique. Ce système des jāti est en décadence. De nombreux artisans ont disparu (les tisserands en coton notamment) à la suite de l’invasion des articles manufacturés à la période britannique ; leurs castes pratiquent l’agriculture, aggravant ainsi la surpopulation des campagnes. Mais c’est la religion qui, aux yeux des hindous, justifie la hiérarchie des castes groupées pour la plupart en quatre « varna », les trois varna nobles — celle des brahmanes (à l’origine, caste de prêtres), celle des kṣatriya (guerriers), celle des vaisya — et la grande varna des sūdra (laborieux), de loin la plus importante numériquement. En dehors de ces quatre varna sont les castes intouchables, chargées des besognes impures (tanneurs) et humiliantes (vidangeurs, blanchisseurs). Les brahmanes continuent à dominer la société indienne : bénéficiant d’une longue tradition d’étude, ils ont accaparé les emplois tertiaires des villes et tendent à constituer une caste de fonctionnaires, de « clerks ». Et surtout, malgré la Constitution, 50 millions de parias demeurent, impurs et intouchables, même s’ils sont riches.

Le bouddhisme du petit véhicule, enfin, imprègne la vie de Ceylan, de la Birmanie, de la Thaïlande, du Laos et du Cambodge. Il est souvent associé à maint culte animiste : celui des nat (Birmanie), des phi (Thaïlande) ou des neakta (Cambodge). Mais la ferveur religieuse est toujours forte : elle se manifeste par la multiplicité des monastères et le grand nombre des moines. Ces derniers ont une vie austère : ils ne font pas de vœux perpétuels (la plupart sont des laïcs qui font une retraite) ; ils n’officient pas, mais leur présence est indispensable aux mariages et aux incinérations ; ils travaillent peu de leurs mains, mais, traditionnellement, ils enseignent aux jeunes garçons : de ce fait, la population masculine est alphabète ; par contre, une part notable de la population adulte masculine ne participe pas à la production économique. Le monastère est le centre de la vie du village. Le bouddhisme interdit de tuer les êtres vivants. Cependant, s’ils ne consomment pas de lait, Birmans, Thaïs ou Cambodgiens mangent de la viande (poulet et porcs surtout) ou du poisson. Mais cela n’est possible que grâce à la présence de minorités non bouddhistes ou étrangères : les bouchers sont musulmans, et les charcutiers chinois. À Ceylan, la pêche maritime est l’œuvre de Cinghalais chrétiens et, en Thaïlande, de musulmans (Malais) ou de Chinois. L’élevage du petit bétail, y compris les volailles, est peu important et pratiqué aussi en partie par des étrangers.

Le renoncement bouddhique n’incite pas aux efforts créateurs. Il en résulte des inaptitudes à la vie économique moderne et le rôle important joué par les minorités étrangères. Par contre, une impression de douceur émane, liée en partie à la morale bouddhique de détachement et de compassion. À des peuples souvent belliqueux, le bouddhisme aura apporté un idéal pacifique. L’Asie bouddhiste est l’« Asie heureuse » (J. Delvert).

Le monde indianisé est très divers par ses populations. Tout d’abord, il comprend de nombreuses populations qui n’ont pas subi l’influence indienne, ni une autre influence civilisatrice évoluée (celle de l’Espagne catholique aux Philippines) : ce sont des Négritos (Semangs de Malaisie, Aëtas des Philippines) et surtout les populations classées sous le vocable de « tribes » dans le monde indien, de « proto-indochinoises » et de « proto-malaises » en Asie du Sud-Est. Ces dernières sont brunes et parlent des langues malayo-polynésiennes, très diverses d’ailleurs : Dayaks (Bornéo), Bataks (Sumatra), Igorots (Philippines). Parmi les « tribes » de l’Inde, certaines sont brunes ou noires (Santālīs, Bhils, Ghonds) et de langue moundārī (proche du môn-khmer ?), d’autres sont mongoloïdes et de langues tibéto-mongoles : Nāgās, Chakmas et Marnas (Chittagong Hill Tracts). On trouve des mongoloïdes non indianisés dans les montagnes de Birmanie (Chins, Kachins, Karens), de Thaïlande et du Laos (Miaos).