Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Asie de la mousson (suite)

Les pays sinisés ne sont pas végétariens. Il n’y a pas d’interdit sur la consommation de la viande ou du poisson ; ni le métier de pêcheur ni celui de boucher ne sont déshonorants. Les diverses et renommées cuisines chinoises sont à base de viande et de poisson. Les plats japonais les plus typiques sont le sushi et le sachimi, où le poisson est consommé cru. Le Japonais est le plus grand consommateur de poisson du monde (près de 60 kg par personne et par an) : il connaît « une véritable civilisation de la mer forgée au cours des siècles » (F. Doumenge). La pêche chinoise caractéristique, complétée par la pisciculture, est la pêche en eau douce. Le petit bétail est important traditionnellement en Chine du Sud et au Viêt-nam. Certaines régions sont même spécialisées dans l’élevage du porc, telle la haute vallée du Qiantang (Ts’ien-t’ang) autour de Jinhua (Kin-houa) dans le Zhejiang (Tchö-kiang). Les Chinois ont mis au point un procédé très original de conserve des œufs de cane (œufs couvés). L’élevage du petit bétail, jusqu’alors peu important au Japon, y connaît aujourd’hui un développement remarquable. Traditionnellement, les Extrême-Orientaux ne consommaient pas de lait.

L’agriculture des pays sinisés, et notamment la riziculture, est un jardinage. Du fait d’un fort peuplement rural ancien, l’exploitation est très petite : elle était de 50 ares en Chine du Sud-Est avant 1949 ; elle est de 1,1 ha au Japon. Chaque exploitation étant divisée en nombreuses parcelles, la parcelle n’est, le plus souvent, qu’un jardin. L’homme n’emploie guère le travail animal (les rizières sont des campagnes sans animaux) ; le buffle ou le bœuf, attelé au collier d’épaule, tire l’araire et la herse ; mais, en Chine du Sud ou au Viêt-nam, il ne travaillait guère que 50 à 60 jours par an, et, en 1939, la moitié des fermes japonaises n’avait pas d’animal de travail, en dépit de l’importance du cheval dans le nord du Japon. La plus grande partie du travail était faite de main d’homme : labour à la houe ou à la bêche, repiquage, moisson à la faucille et aussi transports (fléau d’épaule ou brouette). Cette faible utilisation de l’animal n’est pas un trait de civilisation (Chinois et Japonais ont eu des cavaleries célèbres), mais la conséquence d’une trop forte densité de population rurale : l’animal, pour sa nourriture, ferait concurrence à l’homme. L’importance du travail humain est donc considérable : on estimait à 400 journées de travail la culture d’un hectare de rizière à double récolte au Viêt-nam du Nord. Rien de tel n’existe en Chine septentrionale, où chevaux, mulets et bœufs sont attelés tant pour les labours que pour les transports : le berceau de la civilisation chinoise diffère ici encore de l’ensemble du monde sinisé.

La riziculture extrême-orientale suppose normalement la double récolte annuelle sur le même sol. C’est la double récolte du riz dans les plaines d’Annam et du Viêt-nam septentrional, et dans la Chine méridionale. (Cette double récolte, favorisée par le gouvernement, atteint aujourd’hui les provinces chinoises plus septentrionales du Hubei [Hou-pei] et du Hunan [Hou-nan].) Ce sont surtout les cultures (après la moisson du riz, en hiver donc), des patates douces, du maïs, des légumes (Chine méridionale), du blé ou de l’orge (Chine du Yangzi [Yang-tseu], Corée méridionale, plaines japonaises du Sud).

Cette riziculture suppose la maîtrise de l’eau. Celle-ci consiste d’abord dans la protection des rizières contre l’inondation. Les fleuves ont de très fortes crues, parfois au printemps, toujours en été. La crue du Yangzijiang (Yang-tseu-kiang) peut atteindre une ampleur extraordinaire (93 000 m3/s à Datong [Ta-t’ong] en 1954), mais est assez régulière ; celle du Xijiang (Si-kiang), considérable (59 000 m3/s à Wuzhou [Wou-tcheou]), est plus brutale. Pires encore sont les crues des fleuves coréens (Han, Kŭm), des fleuves japonais, des fleuves du Viêt-nam du Nord (le Sông Kôi [fleuve Rouge] peut monter de 11 m en 24 heures à Hanoi, et ces pointes sont imprévisibles). En été donc, saison normale de culture du riz, les plaines seraient inondées. Fleuves et rivières principales ont donc été enfermés par des digues, technique employée depuis longtemps par les Chinois dans la Grande Plaine pour protéger la terre du Huanghe (Houang-ho).

L’endiguement n’est pas sans inconvénient : jusqu’au développement du pompage électrique, l’eau était inutilisable. Or, l’irrigation est indispensable dans les plaines du Yangzi (Yang-tseu) et dans les plaines japonaises, où les pluies sont insuffisantes ; elle est très utile dans le delta du Xijiang (Si-kiang) et au Viêt-nam du Nord, où les pluies d’été sont souvent irrégulières, et elle y est indispensable pour la culture d’hiver, qui est en général une seconde récolte de riz. Jusqu’à l’époque contemporaine, cependant, il n’y avait point de grand réseau d’irrigation à l’exception du réseau du Min dans la plaine de Chengdu (Tch’eng-tou), au Sichuan (Sseu-tch’ouan) [iiie s. av. J.-C.]. Dans ces conditions, l’irrigation était, et est encore, l’œuvre de l’ingéniosité paysanne. La diffusion des pompes électriques ou des pompes à moteur au Japon et, plus récemment, en Chine et au Viêt-nam du Nord est, à cet égard, un progrès considérable.

Une agriculture aussi intensive suppose l’apport d’engrais : les sols sont assez pauvres chimiquement et surtout épuisés par deux mille ans de culture sans jachère ni assolement. Or, du fait de l’endiguement, les alluvions très abondantes que transportent les fleuves (0,400 kg/m3 pour le Xijiang [Si-kiang], 1 kg/m3 pour le Yang-tseu) et qui pourraient renouveler les sols vont se perdre en mer (celles du Yangzi [Yang-tseu] construisent l’île de Chongming [Tch’ong-ming], celles du fleuve Rouge les lais de mer de Phat Diem) ou s’accumulent dans le fond du lit (de là la technique chinoise du curage des fleuves, des rivières ou des canaux pour en retirer la boue, qui est étalée sur les rizières). Par ailleurs, traditionnellement, on utilise, faute de fumier animal, l’engrais humain et systématiquement l’engrais vert : Astragulus sinensis (une sorte de trèfle) en Chine et l’azolla au Viêt-nam du Nord. Depuis la fin du xixe s., cependant, les Japonais gavent leurs sols d’engrais chimiques, dont ils sont un des plus grands consommateurs mondiaux ; les Coréens, depuis peu, tendent à les imiter.

Dans ces conditions, les rendements sont élevés : avant 1939, ils atteignaient déjà 3 t de paddy à l’hectare en Chine. Ils sont supérieurs à 4 t en moyenne au Japon, dépassant fréquemment 6 t.