Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Asie de la mousson (suite)

Des populations brunes, dites « deutéro-malaises », de langues malayo-polynésiennes, indianisées et islamisées, peuplent la Malaysia (à côté de fortes minorités chinoises et indiennes) et l’Indonésie (Javanais, Madourais, Soundanais, Atjehs, Minangkabaus, Bougis, Malais proprement dits, etc.) ; les langues sont diverses, et les alphabets sont arabe, indien et, pour la langue « malaise » (Bahasa Indonesia), latin. Des populations identiques, très diverses également, christianisées de longue date, peuplent les plaines des Philippines (Cebuyans, Tagals). Des populations brunes, de langue mōn-khmer, indianisées et bouddhistes, peuplent le Cambodge (Cambodgiens).

Des populations mongoloïdes, claires, indianisées, habitent les plaines de la péninsule indochinoise (à l’exception du Viêt-nam, de civilisation chinoise) : Birmans (de langue tibéto-birmane), Chans, Thaïlandais et Laotiens (de langue thaïe). Ces populations, tard venues, ont reçu l’essentiel de leur civilisation des royaumes méridionaux qu’elles ont vaincus.

Toute l’Inde méridionale est peuplée de Dravidiens : peuples sombres, noirs, sans caractère négroïde, parlant le tamoul, le malayālam, le kannara et le telugu. L’Inde septentrionale a une population ethniquement très métissée, où la prédominance d’éléments sombres diminue vers le nord-ouest, franchement blanc (Pendjābīs). Toute l’Inde septentrionale parle des langues indo-européennes. Le partage du continent indien ayant été fait pour des raisons religieuses, les problèmes linguistiques ne sont nullement réglés.

Le monde indien n’est pas, sur le plan matériel, aussi uniforme que le monde chinois. Le cheptel est d’abord un instrument de travail. Bovins ou bubalins sont attelés par deux au joug de garrot pour tirer l’araire ou le char, technique des plus médiocres. De là l’existence d’énormes troupeaux de gros bétail, en Inde surtout. Chaque famille paysanne voulant avoir son attelage (et, en Inde, si possible, une vache ou une bufflesse pour le lait), il en résulte que, plus la population paysanne est nombreuse, plus les animaux sont nombreux ; situation paradoxale, car les animaux sont sous-employés, les exploitations étant très petites (en Inde, un attelage travaille souvent 1 ha ou moins, alors qu’il pourrait travailler 4 ha), et, d’autre part, ils sont sous-alimentés, les « pâturages » ayant disparu au profit des terres de culture. Ce cercle vicieux aboutit à une situation alarmante en Inde et sérieuse en d’autres pays. Le monde indien n’a pas su éviter la concurrence de l’homme et de l’animal, contrairement au monde chinois, à l’exception, toutefois, de Java, où le travail se fait le plus souvent à bras d’homme et où le cheptel est peu nombreux.

Le sous-continent indien, à côté d’une civilisation fondée sur le riz, a une civilisation des millets (sorgho ou jowar, millet Pennisetum ou bajra, éleusine ou ragi) associés à divers pois et à des oléagineux, et une civilisation du blé. Les millets, culture d’été, ou kharīf, occupent 34 millions d’ha.

Les plaines de l’Indus (Pendjab) et la haute plaine du Gange, en particulier le doāb entre Jamna et Gange, ont une civilisation matérielle fondée sur le blé, blé dur le plus souvent, associé, comme dans le monde méditerranéen, à l’orge et aux pois chiches (gram), le tout représentant 28 millions d’hectares. Pendjābīs et Indiens mangent des galettes de blé, ou chapāti. Ces pays sont trop secs pour le riz, sauf exception, mais, dès le mois d’avril, l’été est trop chaud pour le blé. Celui-ci est donc, comme l’orge, une culture d’hiver (rabi). Mais l’hiver est ici presque absolument sec ; les pluies cycloniques d’hiver (60 mm à Lahore ; 44 mm à Delhi) sont parfaitement insuffisantes pour assurer la récolte. Par contre, les pluies de la mousson ne profitent qu’à des cultures ici secondaires (jowar). On est donc en présence d’une culture principale paradoxale, absolument en contre-saison, qui exige soit des techniques particulières (il y a trente ans, dans le doāb, les terres étaient labourées en juin et laissées ainsi pendant toute la durée de la mousson, le semis du blé n’intervenant qu’en octobre), soit l’irrigation, pratique coûteuse, alors que les pluies d’été sont sous-utilisées. À l’irrigation traditionnelle par puits s’est largement substituée l’irrigation moderne par puits tubulaires et l’irrigation par canaux : ces plaines bénéficient du plus grand et du plus beau réseau d’irrigation du monde, aménagé par les Anglais pour le coton et pour le blé. Il n’en reste pas moins que la culture du blé, culture d’hiver pluvieux dans un pays à hiver sec, est paradoxale : il s’agit d’un fait de civilisation ; le blé a été apporté ici par les Aryens.

La riziculture présente une certaine diversité. Tout d’abord subsiste, dans de vastes zones montagneuses, l’agriculture caractéristique des pays tropicaux, la culture sur brûlis. Elle est pratiquée dans la partie nord-est, humide et forestière, du Deccan (pays Bastar, Chotā Nāgpur), dans le sud-ouest de Ceylan et dans toutes les montagnes de l’Asie du Sud-Est ; elle a, au contraire, à peu près disparu dans le monde chinois (sauf des montagnes du Viêt-nam). Les caractéristiques essentielles sont le défrichement par le feu et la longue jachère.

Plusieurs types de rizières peuvent être distingués, traduisant des types de riziculture, en dépit de l’uniformité apparente des paysages. Le plus souvent, la riziculture est peu intensive : la rizière ne reçoit que l’eau des pluies et ne porte qu’une seule récolte, qui suit étroitement le rythme des pluies. Les engrais ne sont pas utilisés, ni même le fumier. Le travail est réduit : de 60 à 70 journées de travail par hectare. Les rendements sont faibles (de 1 à 2 t/ha).

Ce type de riziculture est pratiqué le plus souvent en petites propriétés familiales, vivant presque en autoconsommation. Mais il peut aussi être le fait d’exploitations plus grandes (4 ha et parfois plus), dans le cadre de grandes propriétés et en vue d’une culture commerciale : ainsi dans le delta de l’Irrawaddy (basse Birmanie), dans la plaine de Bangkok (Thaïlande), dans celle de Battambang (Cambodge) et dans le delta du Mékong (Viêt-nam du Sud). La population est peu nombreuse ; ces régions ont été colonisées (ou reconquises) à la fin du xixe s. ; les terres sont abondantes et généralement fertiles. De gros excédents de riz sont faciles à obtenir. Les techniques sont extensives pour économiser la main-d’œuvre. Le labour est parfois remplacé par un simple hersage ; le paddy est semé directement. Les tracteurs ont fait leur apparition. En général, la maîtrise de l’eau n’est pas assurée. Surtout, ces régions sont dominées par une économie spéculative et la grande propriété (récemment abolie en Birmanie). La plupart des paysans sont ou étaient des tenanciers.