Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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République (IIe) (suite)

D’autre part, et pour la première fois, la question sociale est posée par les insurgés. Aux neuf républicains et démocrates du Gouvernement provisoire, les ouvriers font ajouter deux socialistes, Louis Blanc* et un ouvrier, Albert (1815-1895). Dès les premières heures du nouveau régime, sous la pression d’une manifestation armée d’ouvriers, le gouvernement doit décréter le droit au travail et l’organisation du travail (25 févr.). À défaut de mesures pratiques immédiates, c’est déjà un engagement d’une grande portée sociale. Nouvelle manifestation le 28, menée par les corporations de travailleurs avec bannières et chants professionnels.

On réclame cette fois un ministre du Travail et des mesures précises concernant le régime salarial et la durée du travail. Louis Blanc et Albert arrachent à leurs collègues, sinon ce ministère du Travail, que refusent obstinément Lamartine et Marie (1795-1870), du moins une « Commission du gouvernement pour les travailleurs », chargée d’étudier les problèmes du travail et de proposer des solutions. On lui affectera le palais de l’ex-Chambre des pairs, d’où le nom de Commission du Luxembourg. À vrai dire, dans leur majorité, les républicains au pouvoir apparaissent débordés par ces événements, qu’ils n’ont pas prévus, et par ces exigences sociales, qu’ils n’étaient guère préparés, par leur origine sociale, à comprendre et à satisfaire. La présidence du gouvernement est confiée à Jacques Charles Dupont de l’Eure (1767-1855), octogénaire survivant de la révolution de 1830. Un glorieux ancêtre sans plus.

Lamartine, fraîchement converti à l’idée républicaine, prend les Affaires étrangères. Le prestigieux écrivain s’en tient aux grands principes. Paix à l’extérieur, paix à l’intérieur, une république fraternelle sans factions, sans classes et sans démagogues. Au ministère de l’Intérieur siège Ledru-Rollin*, chef de file des radicaux, un politicien d’envergure médiocre, un tribun qui singe Danton, généreux et sincère, mais irréfléchi et influençable. Pour lui, la démocratie politique est la panacée, susceptible de régler tous les problèmes, à commencer par ceux du travail. Le banquier Michel Goudchaux (1797-1862) aux Finances, Marie aux Travaux publics et Adolphe Crémieux (1796-1880) à la Justice représentent la bourgeoisie. La révolution est pour eux un simple changement dans le personnel dirigeant et dans la représentation des vrais intérêts du pays, trop longtemps mis à l’écart par l’exclusivisme des notables orléanistes.

Les premières décisions du Gouvernement provisoire sont d’inspiration nettement démocratique : abolition de la peine de mort en matière politique (26 févr.), liberté de presse et liberté de réunion, déclaration de paix au monde due à Lamartine (4 mars).

La peur du vide et de l’anarchie entraîne un ralliement massif de certains milieux d’affaires, de l’administration, du clergé et de l’armée aux nouvelles autorités. Ces républicains du lendemain accourent en foule aux cérémonies, aux réceptions du nouveau régime, bien décidés à soutenir les républicains de la veille, qui constituent encore pour eux un pis-aller, face au péril socialiste qui grandit. C’est que les travailleurs semblent alors obtenir d’évidentes satisfactions. Le 27 février sont créés des ateliers nationaux, que beaucoup imaginent être la réalisation du projet d’ateliers sociaux de Louis Blanc. Le 2 mars, la Commission du Luxembourg obtient l’abolition du marchandage et la réduction de la journée de travail de 11 à 10 heures à Paris et de 12 à 11 heures en province. Bien plus, les 700 délégués, faisant preuve d’une remarquable maturité, exigent à leurs côtés des représentants patronaux (ils seront plus de 200), afin d’assurer la validité des décisions prises. La commission intervient dans de nombreux conflits du travail et contribue au succès de certaines négociations. Mais, surtout, elle favorise la création de multiples associations coopératives de production (Société fraternelle des tailleurs de Paris, Association des mécaniciens de Cail), bénéficiant parfois des commandes de l’État.


La grande peur du printemps 1848

La révolution avait relancé et aggravé la crise économique. En quelques semaines, c’est une fuite généralisée de capitaux. Le crédit étant mort, de nombreuses entreprises industrielles et maisons de commerce ferment. Bientôt, c’est le tour de l’atelier et de la boutique. La crise s’étend en province. Partout des faillites à la chaîne, et les loyers ne rentrent pas dans cette nation de propriétaires. Les riches fuient Paris comme à l’époque du choléra en 1832. Les bureaux des compagnies de transport sont assiégés. Dans certains quartiers riches, on brade chevaux, tableaux de maître, bijoux et on renvoie les domestiques. Le chômage s’étend, les grèves se multiplient et s’éternisent. Longtemps, l’historiographie de 1848 a fait une large part, une trop large part au climat de fraternité généreuse et de concorde démocratique qui avait jailli dans le sillage de février. De bons prêtres bénissaient les arbres de la liberté plantés en chœur par l’ouvrier et le bourgeois. Le travailleur barbu et musclé devenait l’apôtre du temps de la réconciliation : « Chapeau bas devant la casquette. » Image d’Épinal que tout cela, assez loin de la réalité. La révolution a libéré des forces puissantes et réveillé des haines farouches. À Lyon, la patrie des canuts, les ouvriers brisent les métiers concurrents, saccagent les ateliers des couvents et des prisons. Partout bateliers et rouliers, vaincus de la révolution industrielle, se lancent à l’assaut des lignes de chemin de fer, brûlent les gares et les entrepôts. Dans les campagnes, ouvriers agricoles et paysans ruinés réoccupent les terres communales amodiées. Des châteaux sont pillés ; on fait un mauvais sort aux usuriers, gardes forestiers et receveurs des contributions. Les prolétaires s’en prennent aussi aux ouvriers étrangers qui acceptent de bas salaires. Des Belges, des Piémontais sont lynchés. Les travailleurs de Rouen marchent sur Sotteville en hurlant : « Mort aux Anglais ! »