Pythagore (suite)
La doctrine
On dit qu’il fut le premier à l’appeler philosophie. Elle était pourtant loin de la pure dialectique qu’elle deviendra chez Platon : « polymathie », dira Héraclite, pluralité de matières. Et, avant tout, les mathématiques.
Ensemble de recettes empiriques établies par les Égyptiens à des fins utilitaires, elle va enfin s’élever « au-dessus des besoins des marchands » (Aristoxène), devenir science démonstrative. Et il est intéressant de voir que, pour atteindre à la pure spéculation abstraite, le nombre a emprunté la voie religieuse et mystique. C’est sans doute son intérêt pour la musique, et le fait que l’accord musical se laisse ramener à une proportion mathématique, qui amena Pythagore à l’idée que « les nombres sont pour ainsi dire le principe, la source et la racine de toutes choses ». Sa conception particulière des mathématiques se développe à partir de là : les nombres ont des propriétés qualitatives ; le fondement de toute chose sera la tétraktys, ou somme des quatre premiers nombres, représentée par le triangle décadique, enveloppant en elle la nature du pair et de l’impair. De là ont découlé les découvertes proprement mathématiques : le théorème qui porte son nom, la construction de certains polyèdres réguliers, les débuts du calcul des proportions, peut-être le pressentiment du problème des irrationnels. La production du monde n’est conçue que sur le modèle de l’harmonie du nombre : le cosmos est le résultat de l’aspiration d’un vide illimité, situé hors du ciel et qui, absorbé par celui-ci, y séparerait des unités en instaurant des intervalles (le nombre étant ainsi produit non par addition, mais par division d’une unité enveloppante). Un feu central se trouve à la source de l’aspiration, ordonnant autour de lui la révolution des corps célestes.
Au disciple, cette mathématique fournissait donc l’accès au divin, à la compréhension de la nature et de son fondement, et le modèle des lois de la cité à venir. On a souvent noté le rôle de Pythagore dans la mutation d’une pensée religieuse à une pensée rationnelle.
D’un point de vue plus global et plus anthropologique, le pythagorisme est pour nous un moment exemplaire où l’homme entrevoit les deux côtés du miroir, ses pouvoirs irrationnels et le développement possible d’une positivité logique. Il est à craindre qu’une telle unité ne puisse être retrouvée, et la boucle bouclée, qu’au terme du savoir.
D. C.
A. Delatte, Études sur la littérature pythagoricienne (Champion, 1915) ; Essai sur la philosophie pythagoricienne (Champion, 1922). / M. C. Ghyka, le Nombre d’or. Rites et rythmes pythagoriciens dans le développement de la civilisation occidentale (Gallimard, 1931 ; 2 vol.). / J. Mallinger, Pythagore et les mystères (Van de Graaf, Bruxelles, 1944). / J. E. Raven, Pythagoreans and Eleatics (Cambridge, 1948). / P. H. Michel, De Pythagore à Euclide (Les Belles Lettres, 1950). / F. Millepierres, Pythagore, fils d’Apollon (Gallimard, 1953). / J. Carcopino, De Pythagore aux apôtres (Flammarion, 1956). / L. Rougier, la Religion astrale des Pythagoriciens (P. U. F., 1959). / W. Burkert, Weisheit und Wissenschaft. Studien zu Pythagoras, Philolaos und Platon (Nuremberg, 1962). / C. J. de Vogel, Pythagoras and Early Pythagoreanism (Assen, 1966). / M. Detienne, les Jardins d’Adonis (Gallimard, 1972).