purisme (suite)
Amédée Ozenfant était peintre. Selon ses Mémoires (publiés en 1968), il avait commencé, tout jeune, par « trouver du charme aux dessins ne représentant rien ». Il fut ensuite sensible à l’impressionnisme, mais, venu se fixer à Paris en 1905, il eut pour camarades d’atelier, à l’académie de la Palette, André Dunoyer de Segonzac (1884-1974) et Amédée de La Patellière (1890-1932), qui l’incitèrent à pratiquer un art moins spontané. Edmond Aman-Jean, ami de Georges Seurat, l’orienta vers le pointillisme, auquel il adhéra dès qu’il eut fait la connaissance de Paul Signac, dont la volonté de systématisation le séduisit. À l’égard du cubisme*, Ozenfant se montra réticent, lui reprochant de devenir de plus en plus un art pour artistes, de moins en moins un art pour tout le monde. Il entretint des relations d’amitié avec Picasso aussi bien qu’avec Apollinaire, mais discuta parfois âprement avec Juan Gris.
C’est par l’intermédiaire des frères Perret qu’il fait en 1918 la connaissance de Le Corbusier, qui sera peintre, à ses heures, tout au long de sa carrière (et signera ses toiles Jeanneret jusqu’en 1927). Le purisme résulte de cette rencontre, les deux artistes exposant dans Après le cubisme, édité la même année, des idées dont ils constatent avec enthousiasme la coïncidence. Il importe, selon eux, de « relever les objectifs de l’art », en résistant aux pressions de la mode, du pittoresque, de l’exotisme (celui des Noirs ou celui de Serge de Diaghilev), de se consacrer à la recherche de l’essentiel, c’est-à-dire de ce qui est permanent et invariable dans l’univers comme dans la nature humaine, depuis toujours et pour longtemps encore sensible à des rapports de lignes et de couleurs, qu’il s’agit de mettre en évidence dans la représentation d’objets eux-mêmes reconnaissables : « Le tableau sera un jeu de couleurs et de formes indépendant de la nature, mais composé d’objets servant aux usages de l’homme. » Le cubisme, professent-ils également, bascule dans la décoration, les effets de touche et de matière, l’art pour l’art. Le purisme (« jacobinisme du cubisme », diront certains) entend rétablir dans le tableau les droits du verre à boire, de la carafe, de la bouteille ou de la mandoline, de toutes sortes de choses sobrement converties en harmonies idéales, donc fondées sur la géométrie. À la restriction des thèmes correspond, dans les toiles et les dessins d’Ozenfant et de Le Corbusier appartenant à la période puriste, une semblable restriction des moyens : absence de couleurs trop vives, formes et composition réduites à l’épure.
Pour Le Corbusier, cette période prend fin vers 1927, avec l’apparition de la figure, d’une vie beaucoup plus libre du trait et de la forme ; et l’on notera que 1929 est l’année du premier chef-d’œuvre de l’architecte, la villa Savoye. Tout en maintenant un certain dépouillement, Ozenfant, de son côté, renoncera aux limitations du purisme, abordant dans sa peinture des thèmes atmosphériques, voire ceux des mouvements cosmiques. Son action de théoricien d’esprit classique, soucieux de valeurs stables, s’exercera dans les académies qu’il ouvre à Paris en 1930, puis à New York, où il s’installe en 1939.
Opposé à l’expressionnisme et au surréalisme, mais non moins éloigné de l’abstraction par son attachement au concret, au social, le purisme proclamait que « l’œuvre d’art ne doit pas être accidentelle, exceptionnelle, impressionniste, inorganique, protestataire, pittoresque, mais au contraire générale, statique, expressive de l’invariant. » Par là, il a joué un rôle dans l’évolution générale du concept d’art au xxe s., et son influence peut être recherchée dans l’œuvre d’artistes très divers, depuis Fernand Léger* jusqu’aux tenants d’un art « minimal* ». Mais il n’a jamais eu d’adeptes déclarés suffisamment illustres pour constituer une école véritable.
M. G.
➙ Cubisme / Le Corbusier.