Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

puritanisme (suite)

C’est parmi ces derniers que se constitue, en 1620, le groupe des « Pères pèlerins », qui, sur le Mayflower, débarque sur la côte est de l’Amérique et y fonde Plymouth. Leurs motivations sont typiques et leurs illusions caractéristiques de nombreuses entreprises missionnaires ; ils craignent que, dans la région de Leyde, leurs descendants soient corrompus par un milieu qui ne respecte pas leurs principes ; ils sont convaincus qu’une chance historique leur est offerte : celle de créer une société et une Église nouvelles, réalisant enfin un modèle original, entièrement conforme à l’idéal évangélique. Aussi, avant de débarquer sur le sol de la Nouvelle-Angleterre, rédigent-ils un contrat dans lequel sont affirmés les principes de la démocratie pure. En 1629, un second voyage de puritains aboutit à la fondation d’une colonie au Massachusetts ; la législation en est strictement théocratique ; les institutions sont directement dérivées de l’Écriture ; la sorcellerie, le blasphème, l’idolâtrie et la violation du sabbat y sont sévèrement réprimés... Mais, ici comme ailleurs, les illusions auront des conséquences plus concrètes que les motivations : pour établir une société idéale, il faut faire le vide ; le meurtre des Indiens et les différentes formes de racisme qui y sont liées, le sentiment d’une supériorité universelle et des droits qu’elle confère vont, dès ses origines puritaines, profondément marquer la jeune nation américaine et, tout naturellement, prendre leur place parmi les composantes de son impérialisme.

Ces traits totalitaires ne se manifestent pas seulement dans l’émigration puritaine : sous la réaction absolutiste et catholique du règne de Charles Ier* (1625-1649), les puritains restés en Angleterre défendent les droits du Parlement, prennent la majorité à la Chambre des communes, abolissent le Book of Common Prayer et l’épiscopat, et font adopter, par un synode convoqué à Westminster en 1643, une confession de foi, une liturgie et deux catéchismes nouveaux. Ils entreprennent alors de faire régner dans toute la population, pourtant divisée en une multitude de tendances religieuses contradictoires, des plus institutionnelles aux plus « événementielles », l’austérité morale caractéristique de leurs communautés et de leur milice : l’adultère est puni de mort, et le libertinage de prison ; spectacles, jeux et paris sont sévèrement réprimés ; les œuvres d’art sont censurées ou détruites ; Noël est célébré par un jour de jeûne ; l’habillement est obligatoirement sombre, les cheveux sont plats, l’accent est nasillard, et le langage émaillé d’expressions mystiques prétendument scripturaires. Alliés aux républicains, les puritains obtiennent, sous la conduite de Cromwell*, la condamnation à mort et l’exécution de Charles Ier (30 janv. 1649) ainsi que la proclamation de la république.

Dès 1660, le pendule politique ramène la royauté et, avec elle, l’épiscopalisme, la confession de foi anglicane et la suppression des réunions des puritains : par milliers, les non-conformistes prennent le chemin des prisons. Ces violences de la réaction catholique et l’arbitraire royal provoquent en 1688 la révolution et en 1689 la promulgation de l’Acte de tolérance, qui reconnaît aux puritains de toutes nuances le droit d’exercer publiquement leur culte dans une Angleterre où l’anglicanisme est désormais à la fois majoritaire et relativement accueillant. Dès lors, la situation évolue vers une certaine coexistence pacifique ; les puritains ne sont plus qu’une dénomination historique, et l’ensemble des non-conformistes est désigné sous le terme de dissidents.

Dans un texte fameux, l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), Max Weber* met étroitement en relation l’esprit puritain et la naissance du régime économique des sociétés occidentales contemporaines : comme toute tendance religieuse, le christianisme puritain est à la fois conditionné par son environnement (un certain « syncrétisme » anglican) et détermine, par ses impacts sociaux, nombre de conséquences inattendues. C’est ainsi que, se considérant volontiers comme peuple de Dieu et « nouvel Israël », assurés de leur élection et, à la fois, angoissés quant à leur salut, s’interdisant toute réjouissance et bénéfices matériels, les puritains se livrent à une activité professionnelle intense, dont le succès leur apparaît comme signe de bénédiction divine : leur mise en garde contre les dangers de la richesse thésaurisante et le confort des possédants les introduit dans une dynamique de l’enrichissement et du réinvestissement immédiat, conduisant à une accumulation croissante d’une fortune à laquelle ils s’interdisent de toucher, pour la transmettre en processus incessant de croissance à leurs descendants.

Par une analyse extrêmement fine des différentes attitudes religieuses à l’égard de l’argent, Weber a bien mis en lumière qu’il n’est puritanisme dont la rigueur même et la volonté d’échapper aux normes du monde ne produisent un certain nombre de fruits socio-économiques inattendus et parfaitement légitimes : ainsi le puritanisme a-t-il à la fois traduit l’éthique de la classe moyenne en pleine ascension et inspiré à celle-ci une organisation bourgeoise du travail, qui l’a constituée comme une puissance de première grandeur dans la société anglaise du début de l’ère moderne. « L’ascétisme séculier » des puritains, en pleine prise sur la civilisation industrielle naissante, fait d’eux un des facteurs décisifs de transformations pour lesquelles les autres familles spirituelles, catholique et juive, seront beaucoup moins préparées. Et c’est ainsi que se modèle le visage d’une Angleterre dont l’austérité morale et l’efficacité commerciale feront la grandeur et la puissance mondiales, jusqu’à ce que l’éveil des États-Unis et de l’U. R. S. S. ainsi que les grandes secousses de la décolonisation ne la réduisent, avec l’ensemble des nations européennes, au rang de puissance de second ordre.

G. C.

➙ Anglicanisme.