Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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preuve (suite)

La charge et l’objet de la preuve

Le fardeau de la preuve incombe au demandeur dans le procès pénal comme dans le procès civil : il appartient au ministère public et, éventuellement, à la partie civile, d’établir les divers éléments constitutifs de l’infraction et la culpabilité de la personne poursuivie : l’inculpé n’a pas à prouver sa bonne foi ou sa non-participation à l’infraction (mais, s’il invoque un moyen de défense, il doit en établir la réalité). En raison du principe posé dans le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 selon lequel « tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable », la tâche de l’accusateur pénal se trouve plus lourde que celle du demandeur civil : lorsque les preuves s’avèrent insuffisantes, l’accusé ou le prévenu doit être acquitté, car « le doute profite à l’accusé ».

Le ministère public doit prouver l’existence des trois éléments qui constituent l’infraction punissable : l’élément légal, l’élément matériel et l’élément moral. Il précisera le texte légal ou réglementaire sur la base duquel il engage les poursuites ; si le prévenu se prévaut d’un fait justificatif, le ministère public doit éventuellement établir que celui-là n’est pas fondé à en revendiquer le bénéfice, tandis que les excuses absolutoires ou atténuantes qui abolissent ou abaissent la peine doivent être prouvées par ceux qui les invoquent. Le ministère public doit prouver le fait matériel, positif (meurtre, coups, vol, détournement) ou négatif (omission, abstention...), qui constitue l’infraction et établir qu’il est l’œuvre de celui qui fait l’objet des poursuites ; il est parfois aidé dans cette tâche par l’existence de présomptions légales. La loi présume ainsi, en matière d’infractions douanières, qu’ont été introduits en fraude* en France les objets ou marchandises saisis dans une certaine zone voisine de la frontière sans titre de circulation valable. Le ministère public doit, enfin, établir l’intention délictueuse chez le prévenu, lorsqu’il s’agit d’une infraction intentionnelle, crime ou délit, sans qu’il y ait lieu d’envisager le problème en cas de contravention*, puisque alors l’existence de l’élément moral ne se pose pas ; pour qu’un vol soit punissable, il faut que son auteur ait eu la volonté de s’approprier la chose contre le gré de son propriétaire et en sachant qu’il s’emparait d’une chose qui ne lui appartenait pas ; pour qu’il y ait homicide volontaire, il faut que l’auteur de l’acte de nature à donner la mort ait ou l’intention de la donner.


La liberté de la preuve

La procédure pénale admet, à la différence de la procédure civile, le principe de la liberté de la preuve, corollaire d’un autre principe dit « de l’intime conviction du juge », fondamental en matière criminelle. Malgré sa généralité, le principe de la liberté de la preuve n’est pas absolu : parmi les modes de preuve admis en matière pénale, il faut distinguer d’une part les preuves directes, « qui établissent la conviction du juge par la simple constatation de certains faits », et dont les principales sont la connaissance personnelle du juge (descente sur les lieux, perquisitions), les constatations par les experts (v. expertise), la preuve par écrit ou littérale, d’autre part les « preuves indirectes », qui déterminent la conviction du juge par les effets combinés de l’observation et du raisonnement et qui sont les « indices » et les « présomptions ». La liberté laissée au juge pénal comporte des limites imposées tant par les dispositions légales que par des principes généraux ; certains modes de preuve usités en droit civil sont exclus en matière pénale, tel le serment décisoire, qui ne peut être déféré au prévenu. La preuve de la complicité d’adultère de la femme ne peut être faite (sauf s’il y a eu flagrant délit) que par des écrits émanant du prévenu, à l’exclusion des témoignages ou même de l’aveu ; l’existence du contrat civil dont la violation constitue l’abus de confiance doit être rapportée selon les règles du droit civil, qui excluent la preuve testimoniale ou par présomptions au-dessus de 50 francs à moins qu’il n’existe un commencement de preuve par écrit. D’une façon générale, il est interdit au juge pénal de rechercher la vérité par n’importe quel procédé. Les juridictions répressives ne peuvent retenir que les moyens de preuve « versés aux débats et soumis à la libre discussion des parties » ; elles ne peuvent davantage retenir des aveux arrachés par la torture ou par des brutalités policières. Les juges répressifs ne peuvent pas non plus se fonder sur des preuves acquises par des procédés déloyaux ou incorrects. La jurisprudence rejette ainsi les déclarations obtenues par l’imitation au téléphone de la voix d’un tiers, le recours à l’hypnotisme et le recours à certaines techniques nouvelles comme la narco-analyse et le polygraphe ou détecteur de mensonge ; en revanche, elle reconnaît une certaine valeur probante aux déclarations recueillies d’un inculpé, d’un témoin ou d’un tiers soupçonné soit par écoutes téléphoniques, soit par enregistrements par magnétophones, lorsque les droits de la défense ont été rigoureusement respectés.


Le principe de l’intime conviction du juge

Le juge pénal apprécie en toute liberté la valeur des éléments de preuve qui lui sont soumis et n’est tenu de donner aucune justification du degré de force qu’il leur attribue, selon le principe de l’intime conviction : la loi se borne à déterminer les règles qui président à la recherche, à la constatation et à la production des preuves. Toutefois, il convient de souligner que la loi limite parfois les modes de preuve, ou bien oblige le juge répressif à observer les règles de preuve du droit civil. Enfin, une autre limitation au principe de l’intime conviction résulte de la force probante particulière attachée par la loi à certains procès-verbaux. En principe, les procès-verbaux n’ont que la valeur de simples renseignements, et ils peuvent être écartés par toute preuve contraire, y compris les simples indices ou les dénégations du prévenu. Il en est ainsi pour les procès-verbaux qui constatent des délits, à moins que la loi ne leur ait expressément attribué une force probante jusqu’à preuve contraire, ce qui est le cas pour les procès-verbaux des agents des contributions indirectes ainsi que pour les procès-verbaux, et même les rapports, qui constatent les contraventions ; dans ces dernières hypothèses, seules des preuves contraires, écrites ou testimoniales, apportées par le prévenu ou puisées par le tribunal dans les mesures d’instruction ordonnées par lui permettent au juge de dénier l’existence de l’infraction constatée, les dénégations du prévenu ou de simples présomptions ne suffisant plus. Lorsqu’il s’agit de procès-verbaux faisant foi jusqu’à inscription de faux, comme tel est le cas pour les procès-verbaux dressés en matière forestière, économique, de douane ou de pêche fluviale, leurs énonciations ne peuvent être contestées que par la procédure compliquée de l’inscription de faux ; ils excluent, en conséquence, toute preuve contraire, testimoniale ou écrite, même si les affirmations du rédacteur paraissent suspectes ou entachées de mensonge. Il faut noter que les procès-verbaux auxquels est attribuée une force probante particulière ne font foi que des faits constatés par les rédacteurs eux-mêmes, mais pas de ceux qu’ils ont mentionnés d’après les dires des plaignants ou des témoins, et que leur force probante n’est liée qu’aux constatations faites dans l’exercice des fonctions, en un procès-verbal régulier et dans une matière pour laquelle la loi a prévu cette force probante particulière.

J. B.

➙ Procédure.

 E. Blanc, la Preuve judiciaire. Commentaire du décret du 17 décembre 1973 (Libr. du Journal des notaires et des avocats, 1974).