Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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prélude (suite)

Le prélude (1771) de Dufour († 1786) est de forme binaire : deux parties, séparées par des barres de reprise, présentent le motif initial, l’une au ton principal, l’autre au ton de la dominante. En revanche, celui de Jean-François d’Andrieu (1682-1738), sous l’influence italienne, se déroule sans rupture. Le prélude (1719) de Nicolas Siret adopte le style de l’ouverture à la française, tandis que celui de la troisième suite (1735) de Jean Odéo de Mars s’inspire du récitatif, dont les fluctuations de rythme laissent place, parfois, à l’« harpègement » de grands accords. Un système d’accords arpégés se retrouve dans le prélude de la première suite de Michel Corrette (1709-1795).


Place du prélude dans les recueils musicaux du xvie au xviiie siècle

Dès le xvie s., la musique de luth* associe, dans ses tablatures, deux pièces dont la première, de caractère libre, sert d’introduction à la seconde, de style plus travaillé. Ce seront, dans le recueil de Giovanni Ambrogio Dalza (1508), un tastar de corde suivi d’un ricercare qui préfigurent le prélude et fugue.

Au xvie s. et au début du xviie s., les préludes se présentent également groupés les uns à la suite des autres comme, par exemple, dans les recueils des luthistes Hans Neusidler (1536), Antoine Francisque (1600), Jean-Baptiste Bésard (1603), Nicolas Vallet (1618). Éléments d’une suite souvent inorganisée, ces préludes étaient sans doute destinés à servir d’introduction à diverses pièces. Ils étaient aussi utilisés comme pièces didactiques. C’est le cas, notamment, des préludes de Hans Neusidler et de Thomas Mace (v. 1613-1709 ?). Le Strasbourgeois Elias Mertel (v. 1561-1626) ne laissa pas moins de 235 préludes. Enfin, le prélude se rencontre dans les recueils de luth contenant des transcriptions de chansons, tel celui de Pierre Attaingnant, publié en 1528.

Dans le courant du xviie s., la suite de luth s’organise. Esaias Reusner (1668), Denis Gaultier (1669), Charles Mouton (av. 1699) la conçoivent comme un ensemble très ordonné dans lequel le prélude engage toute une série de pièces de danse. La Promenade, le Rêveur, de Charles Mouton, sont des exemples du prélude descriptif, qui demeure rare à cette époque.

Les ensembles de préludes se succédant les uns aux autres se retrouvent parfois dans la littérature de clavecin*. C’est la présentation adoptée par Louis Couperin, dans le manuscrit Bauyn. François Couperin propose, dans l’Art de toucher le clavecin (1716), huit préludes didactiques, également susceptibles de servir d’introduction aux Ordres figurant dans ses deux premiers livres.

Jusqu’en 1720, les clavecinistes français inscrivent régulièrement le prélude en tête de leurs suites. Certains recueils, tels ceux de Jacques Champion de Chambonnières (apr. 1601 - av. 1672) et d’Élisabeth Jacquet de La Guerre (v. 1667-1729), débutent immédiatement par des pièces de danse, mais il est probable que le prélude était improvisé par l’exécutant. Dans les premières sonates allemandes ou italiennes des xviie et xviiie s., le prélude reste même encore parfois la pièce initiale. C’est ainsi que Johann Kuhnau (1660-1722) l’emploie en 1689. Le père Giambattista Martini (1706-1784) inscrit un prélude et fugue en tête de chacune de ses sonates. Cette pratique deviendra, cependant, de plus en plus rare au xviiie s. L’un des premiers signes de la déformation de la suite sera, précisément, la suppression du prélude. Après 1720, il va presque disparaître des livres français de pièces de clavecin. Entre 1730 et 1735, pour ne citer qu’une seule période de cinq ans, François Couperin, Antoine Dornel (v. 1685-1765), Jean-François d’Andrieu, Pierre Février († 1779), Louis Claude d’Aquin (1694-1772) ne lui réservent plus de place dans leurs suites.

En tant que diptyque, le prélude et fugue est souvent introduit au xviie s. dans les suites françaises des organistes, le prélude prenant la forme d’un plein-jeu. Ce diptyque est notamment pratiqué en Angleterre par Henry Purcell (1659-1695) et, dans les Pays-Bas, par Abraham Van den Kerckhoven (1627-1702). C’est surtout en Allemagne, à la fin du xviie et au xviiie s., que ce genre se développe. Georg Böhm (1661-1733) le traite en coloriste tandis que Dietrich Buxtehude* y déploie une imagination débordante. Jean-Sébastien Bach* le porte à son apogée.


Le prélude chez Jean-Sébastien Bach

Les préludes tiennent une place importante dans l’œuvre de Bach, tant par leur nombre que par la diversité de leur construction.

Bach écrit pour l’orgue soixante préludes et fugues qu’il est possible de diviser en trois types : huit petits préludes et fugues pour débutants ; les préludes et fugues de Weimar, où l’on retrouve l’influence de Buxtehude, les grands préludes et fugues de la maturité. Pour le clavecin, les vingt petits préludes et fugues (1720) s’adressent aux élèves. Huit préludes et fugues, isolés, sont des œuvres de jeunesse. Le Clavecin bien tempéré comprend deux cahiers (v. 1715-1722, 1744) contenant chacun vingt-quatre préludes et fugues écrits dans toutes les tonalités, dans le but de démontrer les avantages d’un clavecin accordé selon le tempérament égal. Bach utilise également d’autres diptyques proches du prélude et fugue : la toccata et fugue, la fantaisie et fugue.

Les ensembles de préludes didactiques figurent dans l’œuvre de clavecin : sept petits préludes, les inventions à deux voix (que Bach appelle préambules), les symphonies à trois voix (que Bach appelle fantaisies).

Dans les suites pour divers instruments — clavecin, violon, violoncelle, luth, orchestre — le prélude domine souvent par son ampleur. L’utilisation que Bach fait du prélude dans ses diverses suites de clavecin montre le développement progressif qu’il confère à cette forme. Dans les suites françaises (1722), il ne s’attache qu’aux pièces de danse et débute directement par l’allemande. Dans les suites anglaises (1722), il fait du prélude une ample introduction, bien charpentée, parfois proche du concerto. Dans les partitas, il souligne son désir d’utiliser le prélude sous des formes variées en faisant débuter chacune des six suites par une pièce différente : prélude, sinfonia, fantaisie, ouverture, préambule, toccata. Selon le Dictionnaire de Sébastien de Brossard (1703), toutes ces pièces sont apparentées au prélude. Bach les traite dans un style symphonique qui contribue à donner aux partitas un caractère de grandeur. Cette écriture symphonique se retrouve d’une manière si nette dans le prélude de la partite en mi majeur pour violon que Bach fera de ce prélude, transposé en majeur, la sinfonietta d’ouverture, pour orgue et orchestre, d’une de ses cantates (1731).