Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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prélude (suite)

Le prélude offre aussi un cadre à des improvisations plus développées. Dans les offices liturgiques, dès le xve s., il introduit les cérémonies, accompagne les défilés de seigneurs ou de dignitaires, sert de transition entre les diverses parties du service. L’art de préluder est également fort apprécié dans les salons du xviiie s. Élisabeth Jacquet de La Guerre « avoit surtout un talent merveilleux pour préluder et jouer des fantaisies sur le champ, et quelquefois pendant une demie heure entière elle suivoit un prélude et une fantaisie avec des chants et des accords extrêmement variez et d’un excellent goût, qui charmoient les Auditeurs », écrit Évrard Titon du Tillet dans ses Descriptions du Parnasse françois, en 1732.

L’intérêt suscité par le prélude, au xviiie s., se confond partiellement avec le culte qui est accordé alors au « génie ». Dans son Dictionnaire de musique, à l’article préluder, Jean-Jacques Rousseau souligne l’importance de cette activité créatrice : « C’est surtout en préludant que les grands musiciens, exempts de cet extrême asservissement aux règles que l’œil des critiques leur impose sur le papier, font briller ces transitions savantes qui ravissent les Auditeurs. C’est là qu’il ne suffit pas d’être bon compositeur ni de bien posséder son clavier, ni d’avoir la main bonne et bien exercée, mais qu’il faut encore abonder de ce feu de génie et de cet esprit inventif qui fait trouver et traiter sur le champ les sujets les plus favorables à l’harmonie et les plus flatteurs à l’oreille. »

Si le don de l’inspiration ne peut s’acquérir, l’art de préluder requiert des connaissances qui doivent être enseignées. Des méthodes, comme le Fundamentum organisandi (1452) de Conrad Paumann, s’efforcent, dès le xve s., d’initier les organistes à cette pratique. Les méthodes qui, au xviiie s., évoquent l’art de préluder, ne sont pas autre chose qu’un traité d’harmonie plus ou moins développé. Comment préluder, en effet, sans posséder quelques notions de composition ? C’est dans cette perspective que Jean Philippe Rameau* donne une Méthode pour le prélude au chapitre xvi de son Code de musique pratique (1760).


Diversité de la forme : préludes libres et préludes mesurés

Le désir de conserver au prélude écrit son caractère d’improvisation apparaît clairement dans le prélude libre. La mesure n’y est pas rigoureusement fixée et l’interprétation de l’exécutant n’est soumise à aucune contrainte. En général, les préludes libres se caractérisent par l’absence de barres de mesure. Quelques-uns, cependant, les utilisent, mais d’une manière irrégulière. La notation musicale se présente sous deux aspects : soit uniformément en rondes, soit avec des notes affectées de diverses valeurs. La notation en rondes apparaît surtout dans les manuscrits, principalement ceux du xviie s. Les préludes de Louis Couperin*, dans le manuscrit Bauyn, en sont l’exemple le plus marquant. De nombreuses lignes obliques surchargent le texte de certains préludes libres : elles précisent les notes dont le son doit être prolongé. Michel de Saint-Lambert donne, dans les Principes du clavecin (1702), des explications très détaillées sur ces lignes obliques qu’il appelle « liaisons ».

La forme libre du prélude des luthistes est la conséquence de certaines nécessités instrumentales.

Désireux de contrôler l’accord du luth et d’en exploiter les ressources sonores, le luthiste égrène tout d’abord quelques arpèges : les cordes à vide résonnent. Puis, au gré de son inspiration, il enchaîne les tonalités, diversifie les accords par de légères broderies. Cependant, le doigté varie selon les modulations. Les arpèges « n’avaient donc pas partout le même nombre de notes, remarque Henri Quittard : certaines résolutions se trouvaient retardées. D’où impossibilité d’une mesure symétrique. La mélodie, si l’on peut ainsi parler, a pris l’aspect d’une sorte de récitatif. »

Parmi les préludes libres des luthistes, ceux de Denis Gaultier (v. 1603-1672), écrits le plus souvent à trois parties, se distinguent par leurs lignes flottantes, contournées. En revanche, les préludes de Germain Pinel († en 1661) présentent une structure plus nette.

Le prélude libre des clavecinistes apparaît comme un prolongement de celui des luthistes. Il est surtout pratiqué par les clavecinistes français. Nicolas Lebègue (1631-1702), Jean Henri d’Anglebert (1628-1691), Louis Marchand (1669-1732), Louis Nicolas Clérambault (1676-1749), Gaspard Le Roux, Jean Philippe Rameau en ont inséré dans leurs recueils de pièces pour clavecin.

Si l’esprit de fantaisie constitue l’un des traits du prélude libre de clavecin, cette même fantaisie inspire, tout aussi bien, le prélude mesuré. La distinction entre ces deux formes n’est pas aussi tranchée qu’on pourrait le penser. Le « prélude réglé », selon François Couperin*, adopte souvent cette présentation dans le principal but de simplifier la compréhension de l’œuvre : « Une des raisons pour laquelle j’ai mesuré ces préludes, ça été la facilité qu’on trouvera soit à les enseigner, ou à les apprendre », écrit-il dans son Art de toucher le clavecin (1716).

La construction et l’écriture du prélude mesuré de clavecin sont très variées.

Le manuscrit Bauyn (xviie s.) appartient à une époque qui faisait souvent prévaloir un style « où les doigts des deux mains jouaient à quatre ou cinq parties réelles dans un système plus harmonique que mélodique » (François Joseph Fétis, la Musique mise à la portée de tout le monde, 1847). Certains préludes de ce manuscrit, entre autres celui d’Étienne Richard (v. 1621-1669), sont écrits selon les procédés du ricercare, avec divers motifs, repris en imitation, et des fréquents changements de rythme.

Le xviiie s. français, abandonnant un contrepoint sévère, ne rejette pas, cependant, tout style polyphonique. Louis Marchand, le plus souvent, écrit à trois parties réelles le prélude de son premier livre (1702), et François Couperin impose une stricte discipline à ses huit préludes (1716).