Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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prélude (suite)

L’œuvre de Bach offre maint exemple de la diversité d’écriture et de construction que le prélude peut adopter. Dans les préludes du Clavecin bien tempéré, Bach emploie le style polyphonique sous la forme ancienne du ricercare (I : mi bémol majeur ; II : si bémol mineur), sous la forme du bicinium (II : la mineur) ou bien en imitations à plusieurs voix (II : mi majeur). Il utilise les effets brillants de la toccata (I : ut mineur, si bémol majeur). Il exploite les ressources harmoniques soit par un simple dessin d’arpège (I : ut majeur), soit par des accords qui soutiennent un récit (I : mi bémol mineur) ou qui forment, par le jeu des notes étrangères, de riches agrégats, parfois dissonants (I : si bémol mineur). Il utilise le prélude bipartite avec barre de reprise, notamment dans le deuxième cahier du Clavecin bien tempéré, tandis que la structure tripartite se retrouve plutôt dans les suites anglaises, le prélude pour orgue en ut mineur. La sinfonia de la Partita pour clavecin en ut mineur, les préludes d’orgue en majeur, mi bémol, les préludes des suites d’orchestre empruntent à l’ouverture à la française son rythme pointé et son allégro fugué.

Les préludes de Bach ne présentent parfois aucun thème, tel le prélude en ut majeur du Clavecin bien tempéré (I), qui développe des formules d’accords arpégés. Le plus souvent, les préludes sont construits sur un thème. C’est sans doute dans les préludes d’orgue que Bach donne au prélude sa plus puissante architecture, avec les grands préludes à deux thèmes de Leipzig et le prélude en mi bémol, construit sur trois thèmes. À ce triple prélude, qui s’inscrit en tête des chorals du Dogme, répond une triple fugue qui sert de conclusion au recueil.


En marge du prélude : la fantaisie, vers 1780

En musique, le mot allemand phantasieren signifie « improviser ». Cet esprit d’improvisation apparente étroitement le prélude et la fantaisie*. La fantaisie offre aux compositeurs un cadre très souple qui leur permet de juxtaposer plusieurs thèmes, plusieurs tempos.

Carl Philipp Emanuel Bach* publie, entre 1776 et 1780, trois fantaisies pour clavecin. Chacune se divise en trois parties : le mouvement central, adagio et andante, est mesuré, d’allure régulière et d’écriture assez souvent contrapuntique. De part et d’autre de ce mouvement, deux volets symétriques, sans barre de mesure, accueillent des grands traits de style improvisé ainsi que des fragments expressifs. Une même construction en triptyque se retrouve dans une fantaisie de Johann Christian Bach* et Francesco Pasquale Ricci (Méthode ou Recueil de connaissances élémentaires pour forte-piano ou clavecin, Paris, v. 1786).

Les fantaisies de Mozart* s’échelonnent entre 1778 et 1785. La petite fantaisie en ut majeur (1778, KV 395) offre un excellent exemple de la juxtaposition d’idées qui caractérise parfois une improvisation de premier jet. Elle rassemble en une grande introduction divers fragments, souvent marqués par des changements de mouvements, dont un caprice, noté sans barre de mesure, constitue l’élément essentiel. Cette introduction précède un Capriccio mesuré et d’écriture régulière. La fantaisie se termine par une coda libre.

À cette fantaisie, conçue comme un simple divertissement, s’oppose l’intensité dramatique des fantaisies en mineur (1782, KV 397) et en ut mineur (1785, KV 475). Cette dernière, qui introduit la sonate en ut mineur, est l’une des œuvres les plus inspirées de Mozart. Elle présente également plusieurs thèmes, avec reprise du premier thème dans la coda.

Les préludes sont assez rares dans l’œuvre de Mozart. Il transcrit pour trio à cordes des fugues de Jean-Sébastien et de Wilhelm Friedemann Bach*, en les faisant précéder de préludes originaux, et il compose en 1777 quatre préludes pour clavier (KV 284a). Les pièces jouant le rôle d’introduction sont simplement désignées par un terme agogique : andante et allegro pour clavier et violon, en ut majeur (1782, KV 404), adagio et fugue en ut mineur pour deux violons, alto, violoncelle et contrebasse (1788, KV 546).


Le prélude, de la fin du xviiie s. au déclin du romantisme

À la fin du xviiie et au xixe s., l’art de préluder demeure l’une des préoccupations majeures des théoriciens. Seule l’improvisation peut permettre à l’« âme sensible » de s’extérioriser librement, en donnant aux exécutants « l’amour de la musique, qu’ils perdent assez souvent, parce qu’ils n’ont jamais exécuté que les ouvrages des autres et n’ont jamais communiqué leur propre sentiment » (A. M. Grétry*, Mémoires ou Essais sur la musique [1789-1797]).

Les méthodes s’adressent principalement à des amateurs, aussi les principes harmoniques sont-ils simplifiés au maximum. Grétry propose, en 1802, une Méthode simple pour apprendre à préluder en peu de temps avec toutes les ressources de l’harmonie. Il est également d’autres règles, celles du bon goût, que Karl Czerny (1791-1857) s’efforce de fixer. Dans l’Art d’improviser mis à la portée des pianistes, il codifie avec un soin scrupuleux tout ce qui a trait au prélude : les circonstances dans lesquelles « il est convenable de préluder », les dimensions qui seront affectées au prélude, les formules qu’il est préférable d’employer. Jusqu’à la fin du xixe s., des méthodes plus ou moins importantes paraîtront à intervalles plus ou moins réguliers et s’efforceront d’initier les pianistes à l’art de préluder. C’est ainsi que, par exemple, Friedrich Kalkbrenner écrit, en 1849, un Traité d’harmonie du pianiste. Principes rationnels de la modulation pour apprendre à préluder et à improviser. Exemple d’études, de fugues et de préludes pour le piano.

Parallèlement à l’étude*, dont l’usage devient de plus en plus fréquent au xixe s., le prélude, de dimensions réduites, prend souvent place dans l’enseignement élémentaire du piano*. Les préludes didactiques ne figurent pas seulement dans les méthodes. Souvent, ils se trouvent rassemblés dans un recueil et sont alors classés généralement suivant l’ordre des tonalités. L’élève apprend ainsi à modifier, selon les cas, doigtés et position des mains.

Entre le prélude didactique et le prélude de concert, une nette distinction se révèle parfois difficile à établir. Dans cette évolution, c’est la valeur musicale du prélude, la personnalité du compositeur qui jouent un rôle primordial. Le prélude commence à figurer dans les concerts, comme pièce indépendante, à partir de la seconde moitié du xixe s.

Par ses ressources tout à la fois expressives et brillantes, le pianoforte modifie profondément l’esthétique du prélude. La forme reste soit libre, soit organisée, mais le style s’oriente souvent vers la virtuosité.