Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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préhistoire (suite)

Ce n’est pas une coïncidence si les techniques mathématiques, essentiellement statistiques, sont devenues en même temps un auxiliaire précieux pour le préhistorien. La nouvelle approche s’appliquant à expliquer les variabilités entre les faits, il s’agit de maîtriser un nombre toujours grandissant de variables en les introduisant dans un modèle logico-mathématique adéquat : l’analyse factorielle se révèle particulièrement efficace dans ce cas.

Située dans une optique évolutionniste, la finalité de ces études est de montrer comment une société acquiert vis-à-vis de son environnement, naturel et culturel, une autonomie plus grande que celle des sociétés qui l’ont précédées grâce à une organisation plus complexe.

L’Américain Lewis Binford fut le principal initiateur de cette « nouvelle archéologie » — sorte de version archéologique du matérialisme culturel — et ses idées ont trouvé une large audience aux États-Unis et en Europe. Parmi les disciples de cette école, il convient de citer l’Anglais David Clarke, le Suédois Carl Axel Möberg ainsi que les Français Jean-Claude Gardin et François Bordes.

La sophistication dans le laboratoire seul n’est pas suffisante, et il serait difficile de développer une théorie rigoureuse sans collecter des données elles-mêmes rigoureuses. André Leroi-Gourhan, professeur de préhistoire au Collège de France depuis 1969, a développé une technique de fouille minutieuse. La fouille est en effet l’acte fondamental de la recherche préhistorique. Un décapage progressif des couches archéologiques suivi d’un dégagement minutieux des objets laissés en place permet de saisir le fait préhistorique dans son ensemble et, grâce à une analyse critique, d’inférer au niveau anthropologique. Un modèle peut alors être établi qui sera confronté avec d’autres faits. Cette démarche obéit à des lois simples et logiques à tous les niveaux de la recherche.


Les prédateurs et les producteurs

Gordon Childe définit une période en archéologie par « un type donné d’économie, une organisation semblable de la production ». On comprend alors pourquoi les divisions chronologiques des temps préhistoriques peuvent se rapporter à l’outillage : celui-ci constitue en effet le principal moyen de production. L’apparition du bronze n’implique pas seulement un perfectionnement technique, mais suppose des structures économiques et sociales plus complexes, la métallurgie réclamant un cycle d’opérations menées par des spécialistes. Tout cela sous-entend alors non seulement des échanges commerciaux entre collectivités dus à l’importation du métal, mais aussi des échanges à l’intérieur même de la collectivité et donc un surplus de moyens de subsistance.

Les théoriciens de la « nouvelle archéologie » se sont penchés sur le problème de l’apparition de l’agriculture, la « révolution néolithique » de Gordon Childe (v. Néolithique). Si Robert Braidwood apporte l’axiome indispensable à l’invention de l’agriculture (la connaissance parfaite des écosystèmes par l’Homme) et Lewis Binford les causes de la protection des plantes sauvages (pression démographique), il revient à Kent Flannery le mérite d’avoir analysé les processus d’évolution de l’agriculture par l’amplification des manipulations de certaines plantes par l’Homme. Le phénomène agricole est de première importance dans l’histoire humaine car il marque un tournant dans les relations entre l’Homme et son milieu naturel. L’animal constitue le centre de gravité de l’Homme paléolithique : la chasse fournit la nourriture et la matière première (os, bois, peau). Il existe alors des liens très forts entre l’Homme et l’animal, et les zones d’habitation se situent sur le passage des transhumances. Avec l’apparition de l’agriculture, le végétal supplante l’animal comme centre de gravité ; celui-ci devient alors un rival de l’Homme sur le tapis végétal. L’expression artistique témoigne de ce transfert d’intérêt.


L’organisation de la recherche

En raison de la minceur des crédits alloués à la recherche, le préhistorien d’aujourd’hui reste un isolé. On doit espérer un avenir plus clément où, inséré dans une équipe, le préhistorien disposera d’une meilleure organisation.

Les ressources de la technique moderne offriront encore des possibilités d’investigations interdites jusque-là ainsi que le dépassement de problèmes réputés insolubles. La constitution de « banque de données » n’est pas une utopie : l’expérience a été réalisée aux États-Unis pour les sites préhistoriques du Sud-Ouest (Arkansas Archaeological Survey). Deux projets commencent à être opérationnels : le « Museum Computer Network », qui enregistre la documentation des musées de l’est des États-Unis, et l’Inventaire général des monuments et richesses artistiques de la France, travaillant en liaison avec le Centre d’analyse documentaire pour l’archéologie, installé à Marseille. Les obstacles majeurs auxquels se heurtent de telles entreprises sont essentiellement d’ordre institutionnel : un organisme international chargé de la documentation serait souhaitable. Il n’en demeure pas moins que l’ordinateur, à condition que soient élaborés des systèmes de description cohérents, peut résoudre la crise documentaire de la recherche préhistorique.


Place de la préhistoire dans les sciences humaines

Le but du préhistorien est donc de reconstituer le comportement de l’Homme avant l’histoire. C’est un problème épineux, car il est impossible d’induire des activités sociales ou religieuses à partir des activités techniques (v. Paléolithique). Pour les périodes relativement récentes telles que le Néolithique, le problème n’est peut-être pas insoluble, mais il est encore ardu. La comparaison ethnographique peut, bien sûr, éclairer l’anthropologue dans certains cas, mais, outre que ces inférences exigent une très grande prudence, elles ne sont jamais péremptoires.

Le préhistorien éprouve des difficultés à relier les entités archéologiques et les entités anthropologiques. Le but de l’archéologie analytique est de réduire cette antinomie. L’ethnologue a la chance de pouvoir observer directement le comportement des primitifs, mais le préhistorien peut espérer quelques informations sur ce sujet. Une fouille systématique bien conduite peut indiquer l’importance numérique de la collectivité par le nombre de foyers et la surface des habitations ainsi que des choix sociaux par la qualité du mobilier. L’activité esthétique manifeste peut-être une activité religieuse. Ces évaluations ne resteront que spéculations si on ne les rattache pas à des universaux du comportement applicables aux sociétés préhistoriques. Mais ces universaux, quels sont-ils ? Le préhistorien, parce qu’anthropologue, contribue justement à leur identification. On risquerait alors de tomber dans un cercle vicieux si la préhistoire ne collaborait avec l’ethnologie et l’histoire. L’ethnologie doit déterminer pourquoi les Hommes constituent des collectivités douées d’un certain équilibre fonctionnel dans le temps et dans l’espace. Il existe donc une continuité entre la préhistoire et l’ethnologie.