Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Poussin (Nicolas) (suite)

À l’écoute du monde, Poussin se nourrit d’apports. Cassiano Dal Pozzo est très entouré, et cette société brillante cultive la tradition poétique latine. Ovide enchante l’artiste. Celui-ci scrute les anciens maîtres, dont Titien*. Et c’est une joie colorée qui éclate entre 1630 et 1635 : ainsi dans le Triomphe de Flore et la Bacchanale à la joueuse de luth du Louvre. Se font jour également un sentiment plus élégiaque (les Bergers d’Arcadie, première version, château de Chatsworth) et le ton propre à certains sujets religieux (Mise au tombeau, Alte Pinakothek, Munich).

Mais Poussin est bien un classique ; sa vérité, sa recherche sont faites de rigueur, il se permet de moins en moins d’émotion. Froideur, dirait-on. Sens du tragique, parfois, comme dans l’Enlèvement des Sabines (Louvre et Metropolitan Museum de New York) ou le Jeune Pyrrhus sauvé (Louvre), qui se situent entre 1635 et 1640. D’ailleurs, les deux années de l’artiste à Paris ont favorisé cet approfondissement. Corneille triomphe avec ses caractères taillés dans le marbre. Poussin s’inspire de ce stoïcisme et se sent près du poète : les deux séries des Sacrements (pour la plupart dans deux collections privées britanniques), ou le Coriolan fléchi par les larmes de sa mère (musée municipal des Andelys) en témoignent. De plus en plus, la forme est sévère, le pittoresque et le superflu bannis, les couleurs sobres.

Un peu avant 1650, le cadre prend la première place au détriment des acteurs, tout en demeurant très accessible, humain, vivant, adapté à l’action, presque toujours héroïque (les Funérailles de Phocion et les Cendres de Phocion, collections privées britanniques ; Paysages avec Diogène jetant son écuelle, Louvre). Une douzaine d’années avant la mort du peintre, cette tendance s’accentue. S’il a déjà gommé ce qui pouvait l’être sans nuire à l’intelligence du récit, pour se consacrer pleinement à l’évocation pure, Poussin n’en désignait pas moins très concrètement le mouvement voulu. Mais, désormais, une sorte de paix religieuse est descendue ; le mouvement est comme figé (la Femme adultère, Louvre), les personnages sont statufiés (le Repos pendant la fuite en Égypte, musée de l’Ermitage, Leningrad). Un sentiment plus frémissant réapparaît pourtant dans les tableaux des Quatre Saisons de 1660-1664 (Louvre).

En exagérant quelque peu, on pourrait parler d’une sorte de frayeur mystique. Une existence presque monastique, et dont on sait peu de chose parce qu’il y a peu à en savoir, suggère à Poussin, avec la vieillesse venue et la mort qui s’avance, des thèmes qui, s’ils diffèrent, sont traités dans le même esprit : le Paysage avec Orion aveugle (Metropolitan Museum of Art, New York), la Naissance de Bacchus (Fogg Art Museum, Cambridge, Massachusetts) sont bien plus pensés par un philosophe que traités par un pinceau mondain. Et c’est le cas, particulièrement, de la dernière œuvre, inachevée, Apollon amoureux de Daphné (Louvre).

Les dessins de Poussin ont suivi une voie semblable. Beaucoup d’entre eux sont des préparations de toiles. « [...] les premières œuvres, écrit sir Anthony Blunt, sont d’une facture libre, avec des lavis bistres, transparents, tandis que les derniers sont d’un style de plus en plus contenu, étant par objet l’étude précise d’un mouvement ou d’un groupe. Les tout derniers dessins [de l’artiste] sont presque aussi abstraits que ses dernières toiles. À partir de sa maturité, il semble avoir renoncé à dessiner d’après le modèle, s’inspirant seulement de l’image idéale élaborée par son esprit [...]. »

L’œuvre peint de Poussin

Environ deux cents toiles sont répertoriées. Certains sujets ont été repris plusieurs fois par Poussin, thèmes favoris sans doute et en même temps redemandés par les amateurs ; il s’agit plus souvent d’œuvres largement repensées que de répliques. Des titres différents ont parfois été donnés à une même œuvre, d’autant plus que l’identification des sujets n’est pas toujours sûre.

La chronologie est assez controversée. On donnera ici une liste d’œuvres particulièrement marquantes dans la carrière du peintre.

Au musée du Louvre

L’Inspiration du poète (v. 1627-1629?). La Peste d’Asdod (1630). Le Triomphe de Flore (v. 1630-1632). Bacchanale à la joueuse de luth (v. 1631-1633). L’Enlèvement des Sabines (v. 1635). Camille livre le maître d’école de Faléries à ses écoliers (1637). Le Jeune Pyrrhus sauvé (v. 1637-38). Les Israélites recueillant la manne dans le désert (1638-39). Moïse sauvé des eaux (1638 ; autre version, 1647). Le Temps soustrait la Vérité aux atteintes de l’Envie et de la Discorde (commandé en 1641 par Richelieu pour orner un plafond). Éliézer et Rébecca (1648). Paysage avec Diogène jetant son écuelle (1648). Le Jugement de Salomon (1649). Portrait de Poussin par lui-même (1649-50). Le Ravissement de saint Paul (1650). Les Bergers d’Arcadie (v. 1650-1655). La Femme adultère (1653). Les Quatre Saisons (1660-1664) : le Printemps, ou le Paradis terrestre ; l’Été, ou Ruth et Booz ; l’Automne, ou la Grappe de la Terre promise ; l’Hiver, ou le Déluge. Apollon amoureux de Daphné (1664).

Dans les musées français et étrangers

Énée chez Didon (v. 1624, Toledo, Ohio). La Mort de Germanicus (1627, Minneapolis). Le Massacre des Innocents (1627, Chantilly). Moïse purifiant les eaux de Marah (v. 1627, Baltimore). Le Martyre de saint Érasme (1629, Vatican). L’Empire de Flore (v. 1630, Dresde). La Mise au Tombeau (v. 1630, Munich). La Mort d’Adonis (v. 1630, Caen). La Traversée de la mer Rouge (Melbourne) et l’Adoration du Veau d’or (Londres) (deux pendants peints pour Amadeo Dal Pozzo v. 1634-35). Phaéton demande à Apollon de conduire le char du Soleil (v. 1635?, Berlin-Ouest). La Prise de Jérusalem (v. 1635-36, Vienne). Le Triomphe de Neptune et d’Amphitrite (v. 1637, Philadelphie). L’Enlèvement des Sabines (v. 1637, New York). Bacchanale devant un terme de Pan (v. 1637, Londres). Tancrède et Herminie (v. 1637-38, Birmingham). Vénus armant Énée (1639, Rouen). Paysage avec saint Mathieu (v. 1642, Berlin-Ouest). Paysage avec Polyphème (1649, Leningrad). Portrait de Poussin par lui-même (1649, Berlin-Est). Sainte Famille à la baignoire (1651, Cambridge, Massachusetts). Sainte Famille avec saint Jean-Baptiste (1655, Sarasota, Floride). Paysage avec deux nymphes et un serpent (v. 1655, Chantilly). Le Repos pendant la fuite en Égypte (1655-1657, Leningrad). La Mise au tombeau (v. 1655-1657, Dublin). Paysage avec Orion aveugle (1658, New York).

M. B.