Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Poussin (Nicolas) (suite)

1624 : en mars, enfin, après un séjour à Venise — dont l’école picturale ne manquera pas de l’influencer —, Poussin arrive dans la Rome de ses rêves. Malheureusement, Marino part pour Naples, où il meurt en mars 1625 ; ce même mois, le cardinal Francesco Barberini (1597-1679), neveu d’Urbain VIII et diplomate, à qui le peintre a été recommandé, quitte Rome pour la France. Poussin reste seul, fort pauvre. Avec un beau courage, il continue à étudier : anatomie, architecture, perspective ; il mesure et dessine des statues antiques, étudie les Bacchanales de Titien, se livre au modelage et croque des paysages en portant son attention sur les effets de lumière. Sa gêne financière l’oblige à vendre ses œuvres au rabais. Et voici que la diplomatie du cardinal Barberini en France donne de piètres résultats. Rome est en proie à une poussée de francophobie : Poussin, agressé par la soldatesque, est blessé à la main d’un coup de sabre. Aussi, pour passer inaperçu, s’habille-t-il à la mode romaine, qu’il ne quittera plus.

C’est en 1627 qu’il exécute pour le cardinal Barberini la commande de la Mort de Germanicus (Minneapolis Institute of Arts), qui lui sera payée 60 écus. Il commence vers la même époque à s’intéresser à l’académisme* raffiné du Dominiquin, artiste dont il fréquentera l’école et dont il prendra le parti dans la querelle qui l’opposera à la coterie de Guido Reni. En 1628, il parvient, événement capital, à obtenir la commande d’un grand tableau d’autel pour la basilique Saint-Pierre, le Martyre de saint Érasme (pinacothèque vaticane).

En 1629, atteint du « mal des Français », il bénéficie de l’aide amicale de Jacques Dughet, un pâtissier-traiteur d’origine parisienne, et de sa femme, italienne. Guéri, il épousera en 1630 leur fille Anne-Marie et donnera à leur fils aîné, Gaspard (1613-1675), les leçons qui lui permettront de devenir un des grands paysagistes du xviie s. ; l’autre fils de la maison, Jean Dughet (1614 - apr. 1679), deviendra de son côté marchand d’estampes et, comme graveur, reproduira plusieurs tableaux de son beau-frère.

L’installation de Poussin à Rome semble définitive, auprès d’amis artistes tels que Claude Lorrain*, Jacques Stella (1596-1657), qui rentre en France en 1634, et le sculpteur François Duquesnoy*. Son talent est de plus en plus reconnu, et les protecteurs s’annoncent : le commandeur Cassiano Dal Pozzo (1589 ou 1590-1657), qui lui livre l’accès de sa galerie d’antiquités et lui passe des commandes (parmi lesquelles une suite des Sept Sacrements vers 1636), le marquis Amedeo Dal Pozzo, le maréchal de Créqui, la duchesse d’Aiguillon, le maître d’hôtel de Louis XIII, Paul Fréart de Chantelou, pour qui il travaille. Cette célébrité naissante de Poussin incite en 1638 le surintendant français des Bâtiments, François Sublet de Noyers (1588-1645), d’accord avec le cardinal de Richelieu (autre client du peintre), à prier Poussin de résider désormais en France ; Chantelou est chargé de la mission.

Il convient de remarquer que, depuis des années, les artistes ne pensent qu’à l’Italie ; c’est leur Mecque. Ils vont y étudier, certes, mais les meilleurs d’entre eux y restent. Le risque existe d’une influence exagérée et d’un vide pour la peinture française. Sublet de Noyers voit cela clairement : il est temps d’arrêter le phénomène. Mais Poussin, tout en choisissant soigneusement les influences qu’il entend recevoir et en épanouissant sa propre personnalité, éprouve du mal à s’arracher à Rome. Un nouvel appel de Sublet de Noyers, auquel est jointe une lettre du roi, n’occasionne qu’une promesse. Au bout d’un an, rien n’est fait. Chantelou se rend alors à Rome et, à force de patience, finit par convaincre le peintre, qu’il emmène accompagné de son beau-frère Jean Dughet. Poussin n’aura pas, d’abord, à se plaindre. Arrivé à la fin de 1640, il est vite reçu par le roi et Richelieu. Il le dit dans une lettre du 9 janvier 1641 et décrit l’accueil : le premier est « rempli de bonté et de politesse, s’entretient aimablement avec lui et le questionne » ; le second « l’embrasse, le tient par la main ». Le 20 mars, Poussin est premier peintre ordinaire du roi, aux gages de 1 000 écus par an.

Les commandes pleuvent : pour les chapelles des châteaux de Saint-Germain-en-Laye (Jésus-Christ instituant le sacrement de l’eucharistie, musée du Louvre) et de Fontainebleau, pour la Grande Galerie du Louvre (conception d’ensemble et bas-reliefs simulés des Travaux d’Hercule), pour les Gobelins (huit cartons sur l’Ancien Testament), pour Richelieu... Mais ces travaux académiques ne conviennent pas à l’artiste, en butte, par ailleurs, à des jalousies, des médisances, des intrigues ; les plus actifs de ses ennemis sont les peintres Simon Vouet* et Jacques Fouquier (entre 1580 et 1590-1659). Découragé et en mauvaise santé, Poussin demande un congé et regagne Rome (automne 1642). Là-bas l’atteindra la nouvelle de la mort de Richelieu, suivie de celle de Louis XIII et de la retraite de Sublet de Noyers. Sans ces protections, il n’a plus rien à attendre du travail en France. Il n’y reviendra jamais. Mais le contact n’est pas rompu avec Chantelou et son entourage, souvent composé d’hommes d’affaires puissants qui passent des commandes, le soutiennent de leur influence et entretiennent avec lui une active correspondance des années durant. Certains le visiteront même à Rome, où il mourra après une existence simple, modeste, grave et ne laissant finalement à ses héritiers que 15 000 écus. Un artiste d’un classicisme recréé, mais d’autant plus rigoureux, passionné, sûr de lui, loin des modes, tel est Poussin. Les vocables dignité, vertu, intransigeance reviennent sous la plume de ceux qui l’ont connu et désignent autant ses mœurs que son art. Poussin est l’honnête homme, parfois entouré de fripons, faisant carrière en raison de ses qualités.


L’évolution de son art

Tout artiste connaît dans son œuvre bien des successions, des retours, des progrès, des chutes parfois. Les années qui passent, la maîtrise acquise, les aventures, les heurs ou malheurs, les conditions de vie et les influences reçues en sont les causes. Poussin n’a pas échappé à ces séries. S’il n’était pas porté vers le maniérisme* par un élan immodéré, ses premières œuvres, par exemple les illustrations pour Marino, rappellent la seconde école de Fontainebleau, avec, toutefois, de l’invention et de la rigueur. Lorsque Poussin travaillera pour le cardinal Barberini, ce maniérisme se transformera quelque peu par ses contacts avec la sculpture antique. Nous avons vu aussi le peintre admirer le Dominiquin — le seul, dans l’actualité, à lui avoir inspiré ce sentiment — et subir son influence (le Triomphe de David, Dulwich College Picture Gallery, Londres). L’époque et, sans doute, ses recherches l’y poussant, Poussin va vers le baroque, dont on trouve des traces dans son Martyre de saint Érasme. Mais sa vraie nature le pousse vers le classicisme*, qu’exprime par exemple une toile aussi importante que l’Inspiration du poète (Louvre).