Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Portugal (suite)

L’art portugais

L’art portugais débute avec la Reconquête chrétienne, et sa première modalité, le style roman, emprunte ses caractères aux conditions de la vie politique et religieuse de l’époque. Celle-ci se caractérise par des relations intimes avec la Galice, mais aussi par des rapports directs ou indirects avec la France, qui fournit au pays sa dynastie nationale et certains de ses évêques.

Le style roman s’épanouit dans les cathédrales de Braga, de Porto, de Coimbra et de Lisbonne. La Sé Velha de Coimbra, qu’on désigne sous ce nom pour la distinguer de la Sé Nova construite au xviie s., est la mieux conservée de toutes. Commencée vers le milieu du xiie s., elle reproduit en les simplifiant les dispositions de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle*, mais elle prend à l’extérieur des allures de forteresse qui rappellent que la frontière avec le monde musulman était alors proche.

Aux xii et xiiie s., l’ordre du Temple construit près de son château de Tomar l’une de ses plus curieuses chapelles : un édicule de plan octogonal, à deux étages et coupole, ouvert de toutes parts à sa base et entouré d’un déambuloire annulaire. Un grand nombre d’églises rurales assurent la diffusion du style roman dans le pays. Elles s’inspirent parfois des cathédrales, mais sont le plus souvent des édifices simples et sans prétention. Fréquemment construites en granit, elles s’accompagnent d’une sculpture fruste, résolument non figurative.

Il n’y a pas de coupure entre l’art roman et l’art gothique. Le passage de l’un à l’autre style se fait progressivement, comme on peut le vérifier dans la cathédrale d’Évora. Ce sont les ordres religieux qui ont assuré la diffusion du gothique au Portugal. Le roi Alphonse Ier Henriques (1139-1185), en prenant pied dans l’Estrémadure, la région située entre le Mondego et le Tage, y installe en 1153 un monastère cistercien qui devient rapidement riche et puissant, celui d’Alcobaça. Les bâtiments conventuels, de même que l’église, s’inspirent de l’abbaye mère, celle de Clairvaux.

Le monument le plus représentatif du gothique portugais est le couvent dominicain de Batalha, qui symbolise la volonté d’indépendance du pays. Il fut fondé par Jean Ier, le premier souverain de la maison d’Aviz*, pour commémorer la victoire remportée sur les Castillans à Aljubarrota en 1385. Les plans sont d’un Portugais, Afonso Domingues, qui est remplacé de 1402 à 1438 par un maître étranger, un certain Huguete. Dans ce puissant ensemble architectural se succèdent deux styles différents, sans doute liés à la personnalité des deux artistes : le premier correspond au gothique portugais traditionnel, alors que le second annonce le gothique tardif. Enfin, on voit poindre — dans les dernières constructions de Batalha, et notamment dans le portail de ce qu’on appelle les Capelas Imperfeitas (chapelles inachevées), un monument greffé sur l’abside de l’abbatiale pour recevoir le tombeau du roi Édouard (Duarte [1433-1438]) — les premières manifestations de ce qui sera le style « manuélin ».

L’arrivée au trône de la dynastie d’Aviz détermine une large ouverture du Portugal sur le monde, dont l’effet est particulièrement sensible dans le domaine de la peinture gothique. C’est dans ce réseau de relations élargies que s’établit le prodigieux Polyptyqus de São Vicente, chef-d’œuvre de la peinture portugaise de tous les temps. On l’attribue à Nuno Gonçalves*, peintre du roi Alphonse V (1438-1481). L’ensemble de la société portugaise vénère le patron du royaume à l’occasion des grandes entreprises d’outre-mer inaugurées par le roi. Mais l’organisation du tableau, de même que la ferveur et le réalisme des portraits représentent un incontestable hommage à l’art flamand.

Toutes les énergies accumulées dans le pays explosent soudain à l’époque de Manuel Ier (1495-1521), le « roi fortuné ». Ce débordement de vie s’accompagne, dans le style dit « manuélin* », d’un véritable délire de l’imagination qui fait opérer une métamorphose au gothique. On cherche d’abord la nouveauté en accentuant le côté précieux de l’art, puis, bien vite, on s’abandonne à un courant européen contemporain qui cherche à exprimer dans l’architecture les forces vives de la nature, notamment celles de la végétation. Aux thèmes végétaux s’ajoute un riche répertoire héraldique. Mais, surtout, le Portugal aime évoquer à travers la luxuriance du décor architectural les aventures et les rêves de ses navigateurs et de ses conquérants. On connaît les principales manifestations du style, de l’église du couvent du Christ à Tomar, avec sa célèbre fenêtre (1510-1514) par Diogo de Arruda, au couvent des Hiéronymites de Belém et à la tour voisine (1515), où s’illustrèrent Boytac et Francisco de Arruda, le frère de Diogo. Deux sculpteurs français, Nicolas Chantereine, qui s’établit au Portugal en 1516, et Jean de Rouen, actif au Portugal de 1518 à 1580, unissent l’humanisme discret de la première Renaissance à ce dynamisme tourmenté et toujours guetté par l’enflure.

Il convient de distinguer nettement le style manuélin, qui est authentiquement portugais, de styles venus de l’Espagne voisine. C’est le cas du mudéjar, qui apparaît dans certains détails architecturaux et décoratifs du château de Sintra, agrandi par Manuel Ier, ou du plateresque, introduit sur le chantier des Hiéronymites de Belém par le Biscaïen João de Castilho (1490-1581), après la disparition de Boytac.

L’extraordinaire liberté de l’époque manuéline est suivie d’une réaction qui s’opère dès le règne de Jean III (1521-1557). Cependant qu’on remet aux Jésuites la direction de l’enseignement, on impose à l’architecture le stricte contrôle des règles de la Renaissance. Diogo de Torralva (actif de 1529 à 1566), un Espagnol italianisé, grand admirateur de Palladio, traite le grand cloître de Tomar comme une façade de monument, en superposant les ordres (1557). L’italianisme triomphe définitivement lorsque, à partir du règne de Philippe II (1580-1598) et jusqu’en 1640, le Portugal fait partie des domaines du roi d’Espagne. L’architecte le plus prisé est d’ailleurs un Italien, Fillippo Terzi (v. 1520-1597), appelé en 1576 et à qui l’on doit l’église São Vicente de Fora de Lisbonne (commencée en 1582). Quelques-uns des monuments les plus significatifs de l’époque sont, à Porto, le couvent de la Serra do Pilar (1576-1583), par João Lopes et Jérónimo Luis, et la façade de l’église des Grillos, une œuvre de Baltasar Álvares (1575-1624) destinée au collège des Jésuites (1614-1622).