Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Portugal (suite)

L’histoire, littérature d’action, triomphe au moment où le Portugal écrit une page de l’histoire universelle. On doit à Fernão Lopes de Castanheda (v. 1500-1559) l’Histoire de la découverte et de la conquête de l’Inde par les Portugais. João de Barros (v. 1496-1570) l’emporte sur lui par sa documentation et sa capacité à dominer le sujet. Ses trois Décadas (1552-1553-1563) glorifient le Portugal. Diogo do Couto (1542-1616) continue son œuvre, mais nuance l’éloge par un réquisitoire. Il faut citer encore les récits de voyage et de naufrage (História tragico-marítima) et l’extraordinaire Peregrinação (publié en 1614) de Fernão Mendes Pinto (v. 1510-1583), aux frontières de l’histoire et du roman d’aventures exotiques.

Luís Vaz de Camões* est le plus grand auteur de la littérature portugaise. Tous les courants du Moyen Âge et de la Renaissance aboutissent à son œuvre et s’y subliment. Les redondilhas prolongent heureusement la tradition médiévale, les sonnets, les chansons, les octaves, les élégies et les églogues consacrent le triomphe de l’école italienne. Camões se raconte dans une poésie objective et sincère. Les Lusiades sont le récit du voyage de Vasco de Gama aux Indes, mais l’épopée est aussi le poème de l’âge moderne et du peuple élu dont les exploits effacent ceux des Grecs et des Romains.

Le xviie s. s’oriente vers le culte de la forme et la préciosité. La monarchie dualiste n’est pas favorable à l’originalité de la pensée (1580-1640). Plus tard, des écrivains, religieux surtout, donnent à la prose un éclat nouveau. Francisco Manuel de Melo (1608-1666) écrit aussi bien en castillan qu’en portugais ; militaire et diplomate, il touche à tous les sujets. Son Apprenti gentilhomme (Auto do Fidalgo Aprendiz, 1646) est antérieur au Bourgeois gentilhomme de Molière. Le grand homme du siècle est le jésuite António Vieira (1608-1697). Prédicateur, évangélisateur des Indiens, protecteur des Juifs et conseiller du roi, il codifie, tardivement, la doctrine du Cinquième Empire. Ses nombreux sermons et son abondante correspondance fournissent toujours des modèles de la bonne langue portugaise.

Jusqu’au tremblement de terre de Lisbonne (1755), le xviiie s. prolonge le précédent, malgré les académies et la Véritable Méthode pour étudier (1746) de Luís António Verney (1713-1791). L’Arcádia Lusitana (1757) prône un retour à la simplicité en regardant vers l’Italie et la France. Pedro António Correia Garção (1724-1772 ou 1773) est le Boileau portugais. L’école luso-brésilienne brille avec António José da Silva (1705-1739), créateur d’un théâtre pour marionnettes. Tomas António Gonzaga (1744-1810) est l’auteur d’un chef-d’œuvre poétique : Marília de Dirceu (1792-1799). José de Santa Rita Durão (1722-1784) avec Caramuru (1781) et José Basílio da Gama (1741-1795) avec O Uruguai (1769) apportent l’exotisme et l’indianisme dans leurs poèmes épiques. Ils annoncent le romantisme dont Manuel Maria Barbosa Du Bocage (1765-1805) chante déjà les contradictions.

Le romantisme ne rompt pas une tradition au Portugal. Les événements politiques en ont retardé la véritable éclosion. Son chef incontestable, Almeida* Garrett, ressuscite le romanceiro et applique le nationalisme littéraire au théâtre (Frère Louis de Sousa) et au roman (l’Arc de Sainte-Anne). Ses recueils de poésies Fleurs sans fruit et Feuilles tombées ont des accents émouvants. Alexandre Herculano (1810-1877), un autre libéral, est l’auteur de poèmes et de romans historiques, mais il doit surtout sa renommée à son Histoire du Portugal (1846-1853). Júlio Dinis (1839-1871) représente heureusement le roman champêtre (les Pupilles de M. le curé [As Pupilas do Senhor Reitor], 1867). Camilo Castelo Branco (1825-1890) est le maître du roman passionnel ; indiquons, dans son œuvre abondante, Amour de perdition (Amor de Perdicão, 1862) et les incomparables Nouvelles du Minho (Novelas do Minho, 1875-1877).

Un second romantisme, plus audacieux, est la conséquence littéraire du mouvement cosmopolite de l’école de Coimbra. De grands noms en sont issus. Le poète Antero de Quental (1842-1891) passe du spiritualisme chrétien à la propagande révolutionnaire et à la méditation philosophique (Sonnets, 1890). José Maria Eça* de Queiros est le plus célèbre des romanciers portugais et le plus goûté à l’extérieur. Cet observateur lucide est en même temps un virtuose de l’humour. Joaquim Pedro de Oliveira Martins (1845-1894) est surtout connu comme historien (Histoire du Portugal, 1879 ; Histoire de la civilisation ibérique, 1879).

Le découragement caractérise la fin du xixe et le début du xxe s. António Nobre (1867-1903) est le poète du renoncement collectif (Seul [], 1892). La République et la Première Guerre mondiale apportent un renouveau d’énergie. De nouvelles écoles apparaissent : néo-lusitanisme, sébastianisme, intégralisme. Le Portugal se cherche. Un poète de génie survient : Fernando Pessoa*. Il n’attirera l’attention générale qu’après sa mort, mais le message douloureux du poète-protée est à la mesure de l’angoisse du siècle. Le roman et la nouvelle se sont épanouis grâce à Raul Brandão (1867-1930) avec les Pauvres (Os Pobres, 1905), les Pêcheurs (Pescadores, 1923), José Maria Ferreira de Castro (1898-1974) avec les Émigrants (Émigrantes, 1928), Forêt Vierge (A Selva, 1930), Aquilino Ribeiro (1885-1963), Miguel Torga (né en 1907), Joaquim Paço de Arcos (né en 1908), Fernando Namora (né en 1919) parmi tant d’autres. Le théâtre connaît aussi un essor nouveau, de la fantaisie : le Souper des cardinaux (A Ceia dos Cardeais, 1902) de Júlio Dantas (1876-1962), au drame historique : Heureusement la lune brille (Felizmente Há Luar, 1961) de Luís de Sttau Monteiro (né en 1926). Les groupes d’avant-garde se multiplient.

R. C.

 G. Le Gentil, la Littérature portugaise (A. Colin, 1935). / A. J. Saraivo et O. Lopes, História da Literatura portuguesa (Lisbonne, 1950 ; nouv. éd., 1961). / C. H. Frèches, la Littérature portugaise (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1970). / I. Meyrelles, Anthologie de la poésie portugaise du xiie au xxe siècle (Gallimard, 1971).