Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Armstrong (Louis)

Trompettiste, chanteur et chef d’orchestre américain (La Nouvelle-Orléans 1900 - New York 1971).


Lorsque Louis Armstrong quitte La Nouvelle-Orléans en 1922 pour tenir à Chicago le poste de second trompette dans le Creole Jazz Band de King Oliver, il n’est encore qu’une jeune célébrité locale qui va, comme beaucoup de ses frères de race, tenter sa chance dans le nord des États-Unis. Vedette, en Louisiane, des orchestres de Kid Ory, Fate Marable et Tom Anderson, qui jouent dans les rues, les bals ou sur les riverboats, Louis Armstrong s’adapte, dans la « cité des vents », aux formes d’un jazz qui affirme sa vitalité et sa popularité naissante au Lincoln Garden et au Dreamland, et qui, de plus, bénéficie de l’invention toute récente du phonographe. Si au sein du groupe d’Oliver sa personnalité est encore soumise aux lois du style collectif (Dippermouth Blues, 1923), il brisera ce cadre en créant son quintette : le Hot Five. Le trilogue mélodique — avec Kid Ory au trombone et Johnny Dodds à la clarinette — illustre toujours avec fidélité l’art de la polyphonie spontanée, mais une part de plus en plus importante est accordée aux solos (Muskrat Ramble, 1926). Improvisateur généreux, doué d’une sonorité qui a l’éclat de l’or, inventeur de paraphrases géniales, également chanteur, ce qui accroît son pouvoir de communication, Louis Armstrong enthousiasme et émeut les foules. Sa force physique, son sourire et son accent symbolisent la santé d’une race qui, à peine libérée des années d’esclavage, découvre un idiome musical en train de conquérir les États-Unis avant de déferler sur le monde. Les enregistrements de 1928 avec le pianiste Earl Hines accentuent cette tendance. C’est désormais autour de lui que l’œuvre s’organise, les instrumentistes qui l’entourent étant mis à son service — par le biais de l’écriture — depuis l’apparition de l’arrangement (Tight like this, 1928).

Durant les années 30, après une première expérience en grand orchestre auprès de Fletcher Henderson en 1924, il sera souvent accompagné par des formations numériquement plus importantes, en particulier celles de Carroll Dickerson, Luis Russell, Chick Webb, Jimmy Dorsey et Les Hite. Ainsi, il se dégage de la formule néo-orléanaise — qui va connaître une éclipse de quelque dix ans —, il étend son répertoire aux succès du moment (Peanut Vendor, 1930 ; la Cucaracha, 1935 ; etc.), et réussit à exploiter sa virtuosité dans l’aigu (Tiger Rag, 1930 ; Shine, 1931) tout en se maintenant au plus haut niveau de création musicale (Mahogany Hall Stomp, 1932 ; On the Sunny Side of the Street, 1937). En quelques années, il s’impose comme le « roi du jazz ».

Le musicologue admire alors l’inventeur d’une nouvelle forme d’expression sonore ; le curieux est transporté par des notes étincelantes accrochées aux cimes de la tessiture (la conformation particulière de ses lèvres l’a fait surnommer Satchmo, contraction de Satchelmouth : littéralement, bouche en forme de sac) ; pour l’homme de la rue, il est celui qui, avec sa voix rauque, émouvante et parfois triviale, sait, sans s’abaisser, se mettre au niveau de tous les publics. Enregistrements, concerts, festivals, passages dans les music-halls et les cabarets, nombreuses apparitions dans des films consacrent sa gloire, et, lorsqu’il décide, en 1947, de revenir — pour la scène — à la formule instrumentale du Hot Five, c’est parce qu’il préfère s’associer au courant réactionnaire du New Orleans Revival, plutôt que de suivre l’évolution du jazz devenue contraire à ses tendances profondes. Autour de lui, il rassemble notamment le trombone Jack Teagarden, puis Trummy Young et Tyree Glenn, le clarinettiste Barney Bigard, puis Edmund Hall, le pianiste Earl Hines, puis Billy Kyle, et, au début, le batteur Sidney Catlett, puis Cozy Cole. Cet « Ail-Stars » interprète surtout des thèmes traditionnels (Armstrong plays W. C. Handy, 1954 ; Satch plays Fats Waller, 1955 ; Satchmo Autobiography, 1957), mais cela n’empêche pas Louis Armstrong de jouer et de chanter dans des contextes plus divers. Avec des orchestres de studio, il explore toujours le répertoire de la chanson populaire (Blueberry Hill, 1949 ; la Vie en rose, 1950 ; Ramona, 1953 ; Skokiaan, 1954), tandis qu’à l’occasion il se mêle à des rencontres allant de l’interprétation de Saint Louis Blues, dirigée par Leonard Bernstein (1956), à celle de Porgy and Bess, en compagnie d’Ella Fitzgerald (1957), en passant par des associations pour le disque ou le cinéma avec Billie Holiday (1946), Frank Sinatra (1956), Dany Kaye (1948 et 1959), Bing Crosby (1951), Duke Ellington (1961), Dave Brubeck (1961), Sammy Davis Jr. (1966), Barbra Streisand (1968). Ainsi son style, profondément imprégné par le jazz de La Nouvelle-Orléans, s’est élevé, au-dessus des modes et des formes, à une dimension universelle. À la trompette, son attaque précise, son vibrato poignant, son rubato surprenant, ses notes altérées, ses découpages rigoureux, son swing incessant subliment les thèmes de toute sorte qu’il emprunte, tandis que sa voix chaude et éraillée caresse et brise les paroles parfois banales des textes, paroles qu’il remplace parfois par des onomatopées syncopées (style scat). Son originalité et son importance sont telles qu’on ne peut le considérer seulement comme un chef d’école. S’il n’a eu que peu d’imitateurs de valeur (Jabbo Smith, Henry Allen, etc.), ce sont en fait tous les improvisateurs du jazz d’avant 1945 — et quel que soit leur instrument — qui lui doivent une part de leur style.

F. T.

 L. Armstrong, Swing that Music (New York, 1936) ; Satchmo, my Life in New Orleans (Englewood Cliffs, New Jersey, 1952 ; trad. fr. Ma Nouvelle-Orléans, Julliard, 1952). / R. Goffin, Louis Armstrong, le roi du jazz (Seghers, 1947). / A. J. McCarthy, Louis Armstrong (Londres, 1960). / H. Panassié, Louis Armstrong (Nouv. Éd. latines, 1969). / M. Boujut (sous la dir. de). Pour Armstrong, numéro spécial de Jazz magazine (1975).