Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

populaire (art) (suite)

Ambiguïté de la notion

La notion d’art populaire est invoquée si couramment et à propos d’œuvres de nature et d’expression si diverses qu’on peut se demander s’il existe, sous le couvert d’une identification qui n’est aisée qu’en apparence, des critères sûrs pour définir son contenu. Faut-il y voir l’art d’un groupe ethnique réduit et relativement homogène (par exemple celui d’une caste), ou celui d’une entité plus vaste et plus complexe, ou encore celui qui naît dans des couches dites « populaires », par opposition à celui qu’élaborent d’autres classes sociales ? Mais il peut s’agir aussi de la voie de vulgarisation d’un thème, ou d’un style, et aussi bien à l’inverse de leur point de départ, insaisissable et collectif, de leur circulation ascensionnelle. Parfois, c’est l’auteur non professionnel ou le créateur anonyme de formes qui seront pris en considération, comme distincts de ceux qui « font de l’art » par profession et se signalent par une notoriété personnelle.

On peut ainsi multiplier les aspects et il faut dire que l’acception des mots peuple et populaire est elle-même variable. Ainsi, les caractères généraux que l’on s’accorde à trouver à l’art populaire ne suffisent pas à le définir, et contradictions et exceptions subsistent.

À cette complexité s’ajoutent la nécessaire révision des idées toutes faites concernant la mentalité dite « primitive » et les arts primitifs, ainsi que la place que requièrent ces derniers dans le bilan universel des œuvres.

Si l’on garde par commodité les grandes divisions générales entre sociétés avec ou sans écriture, sociétés traditionnelles de petite ou de moyenne dimension, sociétés semi-industrialisées, sociétés urbano-industrielles, etc., il apparaît préférable de n’exclure a priori du champ d’examen aucun de ces types de société, une production d’art populaire pouvant y exister soit en fonction de leur type même, soit en fonction d’une origine particulière des œuvres. Il faut réserver dans chaque cas l’examen de celles-ci et, tout en définissant les différences, prévoir que ces différences peuvent concourir à une nouvelle appréciation de l’esthétique.

Qu’évoque l’art populaire ? Pour les uns, le sobre coffre kabyle, les panneaux coloriés d’une armoire suisse, le cheval-cariatide d’un tambour africain, ces fresques gauches qui content au passant le pèlerinage à La Mecque d’un paysan égyptien ou celles d’oiseaux et de fleurs dont les femmes de Moldavie décorent leurs chambres à la nouvelle saison... Pour d’autres, des formes d’habitat nées de cette « architecture sans architecture », où les hommes, tout en inscrivant leur microcosme social sur le sol, semblent construire d’un même souffle, s’inspirer des mêmes plans que la nature qui les entoure. Mais, sans tenir compte des étiquettes, pourquoi pas la petite statue de Tanagra, l’estampe japonaise, le vase précolombien, exemples d’arts populaires appelés aujourd’hui arts tout court ? Entre une simple poterie à eau faite pour le geste quotidien et une barque de pêcheur où la carène devient décor consacré à l’ancêtre tout en étant la plus sûre pour telle sorte de pêche aux conditions précises de navigation, entre une coupole, une vannerie, un tissage, y a-t-il des points communs saisissables ?


Un chemin dans la diversité

Pour s’orienter dans cette diversité, une ordonnance et certaines classifications s’imposent. Mais, auparavant, il faut observer ce qu’il peut y avoir d’extrême dans certaines positions intellectuelles d’aujourd’hui.

Il y a chez beaucoup une sorte de culte de l’objet en soi, s’accompagnant d’un jeu de rapprochement insolite entre des œuvres éloignées par l’origine et la fonction. Si des dimensions nouvelles pour l’intelligence apparaissent ainsi, l’objet n’en est pas moins fourvoyé : prenant une existence séparée de son milieu physique et spirituel, attiré pour ainsi dire dans une nouvelle orbite, dans une nouvelle constellation de valeurs perçues, il entre dans le domaine d’un « musée imaginaire ». Tout l’accent est alors mis, comme l’a souvent voulu la sensibilité contemporaine, sur une création détachée de ses racines psychobiologiques et de la motivation profonde qui la fit naître.

Une autre attitude majeure consiste à replacer l’objet dans la série « logique » du type d’évolution artisanale, dont il ressort soit comme jalon intermédiaire, soit comme aboutissement. On entre là dans le domaine des séries techniques, où règne beaucoup plus de complexité, les étapes ne suivant pas la ligne idéale d’évolution prévue par l’hypothèse de travail. Les chevauchements des évolutions, le fourmillement des formes, les intermittences dues aux situations historiques et géographiques, outre les appartenances culturelles diverses, font de la véritable « histoire des choses » un jeu constant entre cette ligne idéale et l’intégration concrète dans les événements.

La muséographie actuelle utilise beaucoup cette méthode d’exposition, où l’objet s’insère dans une explication évolutive. L’étude ainsi conduite a un intérêt primordial : celui d’éclairer d’abord, au plus près, ce qui constitue le mécanisme des lois propres à la typologie, c’est-à-dire, succintement, l’analyse relationnelle entre matière employée, procédé de fabrication, fonction et morphologie. Seul un dispositif de séquences traduisant, dans la mesure du possible, typologie et chronologie permet de caractériser avec assez de rigueur un objet, ce terme étant entendu dans le sens le plus large d’artefact. Parmi d’autres exemples, dans tout le champ de la technologie et des objets les plus frustes aux « chefs-d’œuvre », l’histoire du couteau ouvre une perspective immense. À partir du biface acheuléen et des lames magdaléniennes, l’idée-couteau va se précisant et se diversifiant : couvert de style, poignard yéménite, sabre japonais.

Certains points d’articulation de la morphologie doivent retenir l’attention dans les arts populaires : rapports entre matériau et forme, entre support et décor, entre forme, décor et figuration... Ce grand nombre de variables trouve une de ses meilleures illustrations dans l’éventail quasi universel et millénaire de la poterie*.

Mais l’étude de la technologie, toujours nécessaire, montre pourtant ses limites. Elle aussi est contrainte à une certaine abstraction, de telle sorte qu’elle risque parfois de faire oublier que, derrière les œuvres, il y a les hommes.