Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arménie (suite)

L’Arménie turque et russe

Au moment où la Cilicie succombe, la Grande Arménie, qui, du xiie au xive s., a connu une relative prospérité, est dévastée par les hordes de Tīmūr Lang (1387) et passe ensuite sous le contrôle des princes turkmènes du Mouton-Noir, puis du Mouton-Blanc. Les sultans ottomans du xvie s. conquièrent toute l’Arménie, mais, au siècle suivant, la partie orientale passe au pouvoir des Perses. À l’instigation de son clergé, le peuple arménien cherche auprès des puissances occidentales un soulagement à ses malheurs. L’intervention armée de Pierre le Grand n’engendre qu’un espoir sans lendemain (1722), et, durant tout le xviiie s., les Arméniens font les frais des guerres entre Perses et Turcs. Le traité de Turkmantchaï (1828) accordant aux Russes l’Arménie orientale, 150 000 Arméniens se réfugient dans les bras du tsar, qui applique bientôt une implacable politique de russification.

Dès le début du xixe s., les puissances occidentales et la Russie réclament des réformes pour les chrétiens de Turquie, mais les décrets signés par les sultans ne sont pas toujours appliqués. Les espoirs entretenus par le traité de San Stefano (mars 1878) sont vite anéantis : au lieu de l’autonomie souhaitée, le congrès de Berlin (juill. 1878) n’envisage que de vagues réformes. Le mécontentement des Arméniens, entretenu par les Russes, se traduit par la création de comités révolutionnaires et des soulèvements sporadiques.

Une dure répression se déclenche alors : massacres de Sassoun (1894), exécutions massives (1895-1896), carnage d’Adana (1909), extermination systématique (1915-1918) entraînant la mort de plus d’un million de personnes et l’exode massif des survivants. En mai 1918, les Arméniens transcaucasiens fondent un État indépendant (9 000 km2 ; capitale : Erevan). Par le traité de Sèvres (août 1920), les puissances occidentales se prononcent pour la création d’un foyer national arménien et prévoient la création d’un État arménien entre la mer Noire et le sud du lac Van, comprenant les départements de Van, Bitlis, etc. Mais ce traité est considéré comme nul par le gouvernement kémaliste. Le 3 décembre 1920, l’Arménie russe est proclamée république soviétique (29 800 km3 ; capitale : Erevan). Membre de la Fédération transcaucasienne, l’Arménie russe devient en 1936 une république fédérée de l’U. R. S. S. quand la Transcaucasie est dissoute. À la suite de la victoire des Turcs sur les Grecs (1922), le traité de Lausanne consacre le 24 juillet 1923 les frontières actuelles de la Turquie.

P. G.

 H. F. Tournebize, Histoire politique et religieuse de l’Arménie (Firmin-Didot, 1910). / R. Grousset, Histoire de l’Arménie des origines à 1071 (Payot, 1948). / H. Pasdermadjian, Histoire de l’Arménie (Samuelian, 1949 ; 2e éd., 1965). / J. P. Alem, l’Arménie (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1959 ; 2e éd., 1962). / V. Kurkdjian, History of Armenia (New York, 1962). / M.-L. Chaumont, Recherches sur l’histoire d’Arménie (Geuthner, 1969). / S. Der Nersessian, The Armeniens (Londres, 1969).


La littérature arménienne

Populaire et patriotique en son essence, sans pour cela restreindre le champ de son universalité, savante et raffinée par sa forme, la littérature arménienne est caractérisée par une constante illustration du destin historique du peuple tout entier ; c’est dire que la mesure du tragique humain est perceptible dans toutes les œuvres, qu’elles soient d’inspiration religieuse ou profane.

De tradition d’abord orale (les Chants de Goghten), les lettres arméniennes ne prennent leur véritable essor qu’avec l’invention par le moine Machtotz (Mesrob), vers 405-407 de notre ère, de l’alphabet national. Aussitôt, une floraison de traductions des livres sacrés, à commencer par la Bible, et des ouvrages de penseurs grecs vient constituer le fondement même sur lequel se développera une abondante littérature qui embrasse les genres les plus variés : traités religieux avec Eznik Koghbatzi (Contre les sectes), chroniques et études historiques avec Movsés Khorenatzi (Histoire de l’Arménie), biographies et essais apologétiques avec Korioun (Vie du bienheureux Mesrob), tous auteurs du ve s.

Lieu de contact des civilisations occidentales et orientales, en proie, d’autre part, au cours de sa longue et douloureuse histoire, aux envahisseurs étrangers, l’Arménie accueillit — ou subit —, selon les circonstances, les influences byzantine, perse, arabe, tout en sauvegardant l’originalité de sa culture, dont l’expression littéraire trouvera son point culminant chez les poètes du Moyen Âge, tel le grand mystique de l’an 1000, Grigor Narekatsi, plus connu en Europe sous le nom de Grégoire de Narek, dont le Livre des lamentations est l’un des monuments classiques de la littérature mondiale de tous les temps.

Sans que jamais le christianisme perde tout à fait de son prestige, c’est au xiie s. que débutèrent la prose laïque et la poésie profane. Celle-ci a été notamment l’apanage de très nombreux trouvères, dont la tradition se perpétue encore chez le peuple. Costantin Erzenkatsi (xiiie s.), premier poète de langue vulgaire, Frik (1230-1310), Nahabed Koutchak (xvie s.) et Sajat-Nova (1712-1795) excellent dans les chants d’amour, les complaintes d’émigrés, les compositions didactiques et allégoriques.

Au xviiie s. et au xixe s., au milieu des vicissitudes politiques, la littérature arménienne se maintient à la fois par la transmission orale de poèmes populaires anonymes d’une rare sensibilité et d’un lyrisme vigoureux, telle l’épopée médiévale de David de Sassoun, et par les travaux philologiques et scientifiques des pères mékhitaristes fixés à Venise et à Vienne : Gh. Alishan (1820-1901), G. Avedikian (1750-1827), A. Aidinian (1825-1902).

En même temps, on assiste à une véritable renaissance culturelle dans les diverses parties géographiques de l’Arménie même. Des poètes comme Bechiktachlian (1828-1868), Terzian (1840-1909), Tourian (1851-1872), Toumanian (1869-1923), Medzarentz (1886-1908), des romanciers comme Abovian (1804-1872), auteur des Plaies de l’Arménie, ou Raffi, célèbre pour le Fou, Samuel, des journalistes et satiriques comme Baronian (1842-1891), des dramaturges tels que Soundoukian (1825-1912), auteur de Pépo, des polémistes comme Nalbandian (1829-1866) et des humoristes comme Odian (1869-1926) s’ouvrent à toutes les influences occidentales : romantisme, symbolisme, préoccupations sociales.