Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Arménie (suite)

La royauté bagratide

Le calife al-Mu‘tamid, son suzerain, concède le titre de roi à Achod, qui reçoit l’onction royale à Bagaran en 885-886. Pour ne pas être en reste, l’empereur byzantin Basile Ier, lui-même d’ascendance arménienne, envoie à son tour une couronne. L’indépendance de l’Arménie, où ne subsistent plus que des îlots musulmans (Dwin, Khelath, Manazkert), est rétablie, et le vieux souverain consacre ses dernières années (885-890) à assurer l’ordre et la prospérité de son royaume. Mais, aussitôt après sa mort, le démon de la discorde reprend les nakharars : le Vaspourakan s’érige aussi en royaume (908), et son prince prête main-forte à l’émir d’Azerbaïdjan pour casser l’essor du royaume rival (914). Ce péril accentue le glissement vers Byzance, à qui la dynastie macédonienne, en réalité arménienne, donne un nouveau lustre, et Achod II (914-929) fait le voyage de Constantinople pour obtenir l’appui des Grecs, cependant qu’il s’octroie le titre de « roi des rois » (922), qui le place au-dessus des roitelets arméniens suscités par les émirs. Sur ces entrefaites, la décadence et le morcellement du califat ‘abbāsside facilitent la conquête de la région euphratésienne : elle est arrachée à la domination arabe par une pléiade de brillants généraux arméniens hellénisés, les Kourkouas, Mélias, Tzimiskès. Si les conflits avec les émirs voisins ne sont plus redoutables pour un État défendu par une solide armée régulière, la rivalité des nakharars y entretient un perpétuel climat de dissensions : après le Vaspourakan, d’autres fiefs sont érigés en royaume, ceux de Vanand (961), Siounie (970), Tachir (982), qui, par le jeu des apanages, se morcellent à leur tour, d’où un émiettement territorial et une dispersion des forces nationales particulièrement inopportuns.

Sous Nicéphore Phokas et Jean Tzimiskès, Byzance reprend pied en Arménie et annexe le district de Taron (968), premier pas vers la perte de l’indépendance.


La domination byzantine

Celle-ci résulte d’une erreur diplomatique : le curopalate David de Taïq, qui a prêté main-forte au rebelle Bardas Phokas (987-989), tente de se racheter en jurant de léguer à l’Empire la totalité de ses États, promesse imprudente qui engage tout le destin de la nation. En l’an 1000, il meurt empoisonné, et Basile II annexe immédiatement le Taïq, en prenant le Vaspourakan sous sa protection. Le roi de Géorgie ayant envahi le Taïq, l’empereur byzantin lance deux expéditions dévastatrices (1021-1022) à travers la Géorgie et l’Arménie, dont un tiers est incorporé à l’Empire. Au même moment, le prince ardzrounien du Vaspourakan lègue à son tour son royaume au basileus. Intimidé, Jean Sembat, roi d’Arménie (1020-1040), l’imite et déclare faire du basileus son héritier (1022).

À sa mort, Constantinople somme son successeur, Gagik II, d’exécuter son testament. Comme il s’y refuse, Byzance s’allie avec l’émir de Dwin et certains nakharars dissidents. La remise d’Ani aux Byzantins en 1045 scelle la ruine de l’indépendance.

Mais ces annexions devaient être éphémères. Les Turcs Seldjoukides font leur apparition en 1048 et, durant deux décennies, dévastent presque impunément un pays privé de ses chefs, exilés en territoire byzantin. Le coup de grâce est porté par le sultan turc Alp Arslan : il s’empare d’Ani et de Kars en 1064. En possession du bastion arménien, les Turcs provoquent des remous jusqu’au cœur de l’Asie Mineure. Romain Diogène essaie de leur barrer la route, mais subit un désastre à Mantzikert (auj. Malazgirt) en août 1071 : l’Arménie est dévastée par les nouveaux conquérants, et l’Anatolie sombre dans l’anarchie.


Le royaume d’Arménie-Cilicie

La chute de l’Arménie provoque un exode massif vers les territoires byzantins du Sud-Ouest. Profitant de la débâcle grecque, un aventurier arménien, Philarète Vahram (en grec Brachamios), se taille une principauté éphémère dans la région euphraté-sienne, et s’empare même d’Antioche. Un autre émigré, Roupen, occupe un nid d’aigle du Taurus, Partzerpert, tandis qu’Ochin conquiert Lampron au débouché des Portes Ciliciennes : ils seront les ancêtres des deux dynasties, roupénienne et héthoumienne, qui feront la gloire de la nouvelle Arménie.

La première connaît une ascension rapide. Les successeurs de Roupen s’installent à Vahka, dans l’Anti-Taurus, et contractent des alliances avec les barons de la première croisade. La faiblesse momentanée de l’État byzantin permet aux Roupéniens d’annexer presque sans coup férir la riche plaine cilicienne, mais quand Jean Comnène entreprend de restaurer son autorité sur la Syrie franque, le petit royaume est incorporé à l’Empire (1137-1138). Thoros II (1145-1169) reprend par les armes l’héritage paternel, mais, en 1159, il doit se reconnaître le vassal de Manuel Comnène. Le désastre byzantin de Myrioképhalon (1176) est une aubaine pour les dynastes arméniens : ils arrondissent leur domaine au détriment des Grecs et même des croisés. Le règne de Léon II, dit le Magnifique (1187-1219), marque l’apogée du jeune État : il est couronné roi à Tarse (6 janv. 1199), et ses mariages avec des princesses franques contribuent à affranchir la Cilicie de l’influence byzantine. Un essai maladroit de francisation entraîne une réaction des barons arméniens, qui placent sur le trône un descendant d’Ochin de Lampron, Héthoum Ier (1226-1270), qui n’en continue pas moins une politique résolument francophile. Pour se prémunir contre les visées annexionnistes des sultans Ayyūbides, il fait le voyage de Karakorum (1253-1254) et met son royaume sous la protection des Mongols. Mais ceux-ci sont défaits par les Mamelouks d’Égypte, et le sultan Baybars se venge en dévastant le pays (1266). La Cilicie sera ensuite progressivement grignotée, et ses princes placeront tous leurs espoirs dans les rois de Chypre. Une clause testamentaire fait passer la couronne héthoumienne sur la tête des Lusignans de Nicosie (1342), mais le dynaste Guy est assassiné en 1344. pour avoir voulu imposer à ses sujets la foi romaine. Les barons arméniens font de nouveau appel à Chypre : Léon VI de Lusignan, couronné à Sis en 1374, passe son unique année de règne à défendre sa capitale assiégée par les Mamelouks. Sis tombe en leur pouvoir en 1375, et le roi est incarcéré en Égypte. Libéré en 1382, le dernier roi arménien finit ses jours à Paris en 1393.