Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

C’est à partir du xiie s. que la protection des souverains, l’impulsion d’évêques — comme le Liégeois Alexandre de Malonne à Płock — et l’activité de grandes abbayes bénédictines comme celle de Tyniec (près de Cracovie) font naître des monuments plus importants, où prend place le décor sculpté : celui-ci reflète de façon simplifiée et raidie, mais parfois avec un curieux souci de réalisme, les modèles aquitains ou bourguignons (tympan des Bénédictins d’Ołbino, auj. à Sainte-Madeleine de Wrocław [Breslau], avec les Piast aux pieds du Christ en majesté ; Vierge en majesté entre deux anges de l’église de Tum près de Łęczyca ; colonne du monastère de religieuses prémontrées de Strzelno, avec Annonciation et combat des Vertus et des Vices). Mais les artisans polonais semblent avoir brillé spécialement dans les arts du métal. La cathédrale de Gniezno reçut vers 1170 la magnifique parure de ses portes de bronze, d’inspiration liégeoise, mais d’exécution locale, qui racontent en multiples registres la vie de saint Adalbert, missionnaire et martyr en Prusse deux siècles auparavant.

Un pas nouveau est franchi avec l’arrivée des Cisterciens vers 1160. Venus les uns directement de l’est de la France (Morimond) en Petite Pologne, au nord de Cracovie, les autres d’Allemagne en Silésie et dans la Grande Pologne septentrionale, ils s’inspirent exactement des modèles occidentaux, dans l’ordonnance de leurs églises comme dans la distribution des bâtiments monastiques. Ces couvents, bien que généralement remaniés par la suite et souvent mutilés, forment encore des ensembles imposants, surtout en Petite Pologne. Le plus beau est celui de Wąchock, le mieux conservé celui de Sulejów, qui garde ses dépendances avec les six tours de son enceinte : plus récent (xiiie s.), il marque une certaine « polonisation », avec une nef plus svelte et surtout la substitution, encore timide, de la brique à la pierre.

C’est la généralisation de ce matériau économique et commode, adopté par les ordres mendiants — dont la fortune est très rapide dans les villes — comme par la bourgeoisie commerçante, qui donne au gothique polonais un de ses traits essentiels.

Aux xive et xve s., le développement du gothique accompagne l’essor du royaume sous le dernier Piast — Casimir le Grand, « qui trouva une Pologne de bois et laissa une Pologne de pierre » — et sous la dynastie lituanienne des Jagellons, vainqueurs des chevaliers Teutoniques. Cracovie*, promue capitale, reconstruite sur plan régulier avec l’immense place centrale (Rynek Główny) qui reste le cœur monumental de la ville actuelle, devient une métropole commerciale et intellectuelle ; l’université, fondée en 1364, conserve sa belle cour gothique. Au long de la Vistule et à l’Ouest (Posnanie, Poméranie), des villes florissantes enserrent dans leurs puissants remparts de brique (Grudziądz, Toruń, « Barbacane » de Cracovie) des hôtels de ville qui rappellent les Flandres par leurs beffrois (Toruń), des halles (« Sukiennice », halle aux draps de Cracovie) et surtout les hautes églises sans arcs-boutants (les contreforts étant dissimulés dans les nefs latérales), avec leurs immenses et étroites baies, leurs absides polygonales, leurs façades nues terminées souvent par un pignon à gradins (cathédrale de Pelplin, église de la Vierge à Poznań), leurs intérieurs à une, deux ou trois nefs égales, couvertes au xve s. de voûtes de « mailles » ou de « cristal » à plans et arêtes multiples : style qu’on retrouve en partie dans l’Allemagne du Nord, mais qui n’a donné nulle part d’effets plus grandioses que dans les églises polonaises dédiées à la Vierge, à Toruń, à Gdańsk et surtout à Cracovie (la célèbre Panna Maria).

Ces églises, privées de décor extérieur, sont riches de sculptures et de peintures. La pierre est surtout employée pour les tombeaux : la série royale du Wawel à Cracovie montre l’habileté des imagiers locaux et le passage du style français reçu par Prague (Casimir le Grand, vers 1370) à l’expressionnisme de la fin du xve s. (tombeau de Casimir IV Jagellon par Wit Stwosz*). Mais les statues (Vierges à l’Enfant, Pitiés, saints nationaux comme saint Stanislas, etc.) et les retables à volets, surtout nombreux depuis le milieu du xve s., préfèrent le bois polychrome, traité dans le « style rude » avec un réalisme parfois caricatural, conforme au goût des donateurs bourgeois. Un chef-d’œuvre domine cette production : le retable de la Panna Maria à Cracovie, dû à Vit Stwosz, artiste dont les années cracoviennes (1477-1496) ont fortement marqué tout l’art contemporain.

Quant à la peinture, surtout murale au xive s. (fresques de Sainte-Croix à Cracovie, d’influence siennoise), elle montre dans les nombreux panneaux du xve s. l’imbrication des influences allemande, tchèque, flamande, avignonnaise, voire parfois byzantine ou russe (le hiératique et grandiose Saint Stanislas aux Franciscains de Cracovie) ; elle reflète aussi le rythme européen, passant d’un « gothique international » délicat (portrait funéraire de Jan de Ujazd devant la Vierge, v. 1450) au pathétique âpre, avec des figures trapues et grimaçantes (Crucifixion de Korzenna et Retable de la Passion des Dominicains de Cracovie, v. 1460, au musée de Cracovie), puis au style plus détendu d’un Mikołaj Haberschrack, avec l’apparition du paysage et des architectures (retable de Sainte Catherine à Cracovie). L’enluminure polonaise, également florissante, suit une courbe parallèle.


De la Renaissance au néo-classicisme

Avec le xvie s. et les débuts du xviie s. sous les derniers Jagellons et les premiers Vasa, la Pologne connaît son « Siècle d’or » : l’expansion géographique du royaume, la paix et la prospérité, le mécénat italianisant de Sigismond Ier favorisent le développement précoce de la Renaissance. Mais, contrairement à ce qui se produit en France ou en Espagne, l’art nouveau surgit d’emblée avec les formes florentines les plus pures lorsque Sigismond Ier appelle au début du xvie s. une équipe d’Italiens pour reconstruire le château royal du Wawel, ajouter à la cathédrale voisine la « chapelle Sigismond » et y installer des tombeaux qui rappellent ceux des Médicis. Mais à ces monuments isolés succède après le milieu du siècle — noblesse et bourgeoisie adoptant le style de la cour — une vague d’italianisme populaire. C’est un Tessinois, Giovanni Battista di Quadro da Lugano, qui construit l’hôtel de ville, joyau de Poznań : ses quatre étages, dont trois à loggias, sont surmontés d’un svelte beffroi ; des édifices publics de même style embellissent des villes moyennes, Sandomierz, Chełmno, etc. Des éléments locaux « polonisent » alors la Renaissance. À Poznań même, la plate-forme d’où jaillit la tour porte des couronnements en S affrontés avec un décor onduleux et gras : c’est l’« attique polonaise », dont la fortune est rapide. On la retrouve, avec un tumultueux répertoire de statues, bustes, animaux capricieusement distribués, à la chapelle des Boïm, annexée en 1609 à la cathédrale de Lwów, aux maisons des négociants de Kazimierz Dolny, alors grand embarcadère du blé sur la Vistule. Les châteaux-palais des grandes familles, comme le Baranów des Leszczyński (à 75 km de Sandomierz), s’élèvent solitaires dans la campagne. Les Zamoyski vont plus loin, fondant autour de leur château une ville régulière à trois places, Zamość, que l’ingénieur italien Bernardo Morando (v. 1540-1600) enserre dans une enceinte polygonale.