Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Pologne (suite)

Les deux derniers tiers du xviie s. sont beaucoup moins heureux sur le plan international comme en politique intérieure. Toutefois, l’activité artistique reste intense, grâce aux ordres religieux qui propagent le baroque romain. C’est alors que les villes polonaises prennent leur silhouette actuelle, se hérissant de coupoles, de doubles clochers sveltes à lanternons bulbeux qui couronnent des façades généralement sobres. Varsovie*, nouvelle capitale depuis 1596, possède plusieurs belles églises à colonnades baroques ou à décor rococo (Jésuites, Carmes, Saint-Casimir, Visitation, Découverte de la Sainte-Croix), bâties à la fin du xviie et au début du xviiie s. par des architectes souvent italiens. Mais c’est sans doute aux marches orientales du royaume (auj. rattachées à l’U. R. S. S.) que l’empreinte baroque est la plus saisissante, à Pińsk, « Venise des marais », où la puissante coupole des Jésuites se reflète dans les eaux lentes du Pripet, et surtout à Wilno, qui rassemble entre ses verdoyantes collines le groupe le plus varié d’églises conventuelles, du baroque commençant au rococo ; celle des saints Pierre et Paul abrite un extraordinaire ensemble de stucs, reliefs et statues, près de 2 000 figures faisant alterner scènes de martyre, allégories de la mort et batailles contre les Turcs, œuvre italo-polonaise surprenante par le mouvement et la verve (1677-1684). Un autre ensemble moins connu, la chapelle funéraire des Oleśnicki à Tarłów (près de Kielce) avec son étrange et pompeuse danse des morts (v. 1680), affirme la vocation des imagiers polonais pour un certain expressionnisme baroque.

Une dominante de cet âge est par ailleurs l’importance nouvelle de la peinture décorative et du portrait. Des étrangers affluent, souvent à l’appel des souverains : dès le début du xviie s., le Vénitien Tommaso Dolabella (v. 1570-1650), épigone assez brillant du Tintoret, meuble de grandes compositions les églises de Cracovie ; le grand port de Gdańsk, où la colonie hollandaise est nombreuse, accueille des portraitistes, des peintres d’histoire et de natures mortes venus des Pays-Bas ou d’Allemagne. À la fin du siècle, la présence aux côtés de Jean Sobieski d’une reine française, la courageuse et habile « Marysieńka », attire des Lorrains comme Claude Callot (1620-1686 ou 87), neveu du graveur, qui préside à la décoration de Wilanów, palais d’été dans la banlieue de Varsovie, des Parisiens comme Desportes*, le futur animalier, qui vient en 1695 peindre le couple royal.

Mais une autre série parallèle se déroule depuis la fin du siècle précédent : des portraitistes royaux — Marcin Kober (seconde moitié du xvie s.), Jerzy Daniel Schultz (v. 1620-1683), Jan Tretko (v. 1620 - av. 1698) — aussi bien que des anonymes nombreux cultivent le genre « sarmate », reflet de la curiosité des humanistes pour ces ancêtres à la bravoure légendaire et écho des guerres turques perceptible dans les costumes et les armes de la noblesse. Ces portraits rigides dressent en larges aplats d’étranges gaillards au crâne rasé, aux longues moustaches. Avec leurs bonnets de fourrure, leurs ceintures de soie brodées d’or et de fleurs, leurs cimeterres aux manches incrustés de pierreries, ils apportent une note saisissante d’exotisme, renforcée encore dans une variété plus populaire : les portraits peints sur tôle qu’on clouait à la tête du cercueil lors des funérailles. On retrouve le même décor oriental dans la floraison des arts somptuaires — tapis inspirés de la Perse, tentes, armes, bijoux —, qui sont un des attraits de ce temps.

Néanmoins, l’internationalisation de l’art ne fait que s’accentuer sous les rois de la dynastie saxonne — qui se partagent entre Dresde et la Pologne, mais dont l’entourage fait élever à Varsovie quelques beaux palais rococo (palais Brühl, etc.) — pour atteindre son point culminant avec le dernier roi de Pologne, Stanislas Auguste Poniatowski. Élevé en France, cet homme de goût, collectionneur passionné, est ouvert à tous les courants du temps, notamment au néo-classicisme romain. Il pensionne à Rome des architectes comme Efraim Schrœger (1727-1783), des peintres comme Franciszek Smuglewicz (1745-1807), qui, rentrés en Pologne, joueront un rôle important. L’œuvre majeure est la reconstruction du château royal de Varsovie (rasé par les Allemands en 1944, on s’efforce aujourd’hui de le reconstituer). En dépit des projets demandés à l’architecte Victor Louis, elle fut dirigée par l’Italien Marcello Bacciarelli (1731-1818), premier peintre du roi, habile décorateur et portraitiste. Mais le décor sculpté fut surtout l’œuvre d’André Le Brun (1737-1811), remarquable bustier français, disciple de Pigalle, et les tableaux du grand salon furent commandés en 1767 à des peintres parisiens en renom. Par la suite, Stanislas construisit (1775-1784) l’exquise résidence néo-classique de Łazienki (« les Bains »), heureusement intacte. Les grands seigneurs imitent le roi : Varsovie devient cette ville noblement classique dont les grandes vues du Vénitien Bellotto, neveu de Canaletto*, perpétuent le souvenir. Les provinces conservent un assez grand nombre de châteaux dans de grands parcs, parfois avec les « fabriques » de jardins à l’anglaise (Rogalin, Puławy, Natolin, etc.).

Ce style néo-classique se maintient avec dignité, bien qu’un peu alourdi, au temps du « grand-duché » napoléonien et de l’éphémère « royaume du Congrès » ; après Varsovie, c’est peut-être Wilno qui en offre les meilleurs exemples, avec son hôtel de ville, sa cathédrale, son théâtre et les décors peints de ses églises. D’autre part, toutes les branches de la peinture apparaissent florissantes, avec les excellents disciples polonais de peintres étrangers : Bacciarelli forma Kazimierz Wojniakowski (1771-1812), peintre de l’insurrection nationale de 1794 et portraitiste de ses héros ; Jean-Pierre Norblin de La Gourdaine (1745-1830), petit maître charmant, témoin des paysages, des costumes et des fêtes populaires varsoviennes, eut le temps, pendant plus de trente années, de créer une véritable école : son meilleur élève, Aleksander Orłowski (1777-1832), représente avec grand talent la peinture de genre et de batailles. Par la suite, d’autres artistes reviennent en Pologne après avoir travaillé en France sous l’Empire : ainsi Antoni Brodowski (1784-1832), élève de David et de Gérard, peintre de mythologie et surtout portraitiste vigoureux.