Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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politique (sociologie) (suite)

• Les expériences politiques du tiers monde ont en effet fait apparaître qu’il ne suffit pas d’importer des institutions démocratiques pour réaliser la démocratie. On a, par ailleurs, maintes fois souligné le rapport étroit qui unit développement économique et démocratie, sous-développement et dictature. C’est dire que le fonctionnement du système politique est lié à un ensemble de valeurs, de symboles et d’idéologies qui peuvent évoluer dans le temps, propre à chaque nation, particulier à chaque classe sociale. Dans une enquête, The Civic Culture (1963), Gabriel Abraham Almond et Sidney Verba ont étudié la culture dans cinq pays : les États-Unis, la Grande-Bretagne, la République fédérale d’Allemagne, l’Italie et le Mexique. Reprenant le schéma parsonien, ils ont assigné trois dimensions à la culture politique : une dimension cognitive, une dimension affective (émotionnelle) et une dimension évaluative (rationnelle). Ils ont d’autre part élaboré trois modèles de culture politique : la culture paroissiale centrée sur les intérêts locaux, la culture de sujétion, qui entretient la passivité chez les individus, la culture de participation, qui permet aux membres d’une communauté de prendre conscience des moyens d’action qui leur sont offerts, ces trois formes de culture se superposant, toute culture politique étant mixte. Surtout, Almond et Verba ont discerné la congruence de ces cultures avec trois types de structures politiques qui sont, pour chaque culture correspondante précédemment citée : la structure traditionnelle et décentralisée, la structure autoritaire centralisée et la structure démocratique. À partir de ces données, les deux auteurs ont étudié les incidences de la culture politique sur l’évolution et le fonctionnement du système démocratique, mesuré chacune de ses composantes et relevé, dans les pays anglo-saxons, une corrélation entre sentiments civiques et sociabilité, entre coopération politique et coopération sociale. Déjà Tocqueville avait noté cette fusion entre les structures primaires de la société et les structures politiques secondaires. En Italie, au contraire, comme au Mexique, la politique est un domaine séparé, les attitudes politiques sont radicalement différentes des attitudes sociales. En fin de compte, l’enquête vise à préciser la contribution de la culture civique au maintien ou à l’adaptation de la démocratie dans des contextes différents. Mais peut-on comparer des structures ayant des fonctions différentes ? La spécificité des milieux sociaux, qui fait que la structure « parti » ne remplit pas au Mexique les mêmes fonctions politiques que dans les autres pays de l’enquête, rend en définitive contestables les divers profils nationaux de culture civique sur lesquels s’achève cette enquête comparative. La visée comparative et l’importance accordée ici à la notion de fonction suffisent à indiquer que l’enquête sur la culture civique d’Almond et Verba relève de l’analyse fonctionnelle du phénomène politique, que précisément Almond a systématisée.


L’analyse fonctionnelle et l’analyse systémique du système politique

À l’arrière-plan de l’analyse fonctionnelle, les problèmes du sous-développement donnent tout leur sens aux travaux du Committee on Comparative Politics, qu’animent G. A. Almond, David Apter et Lucian W. Pye. Est-il en effet concevable de changer les structures économiques d’un pays sans modifier ses structures politiques ? La réflexion sur les fonctions des structures aboutit à la constatation qu’une même structure politique peut avoir des fonctions différentes suivant la société étudiée. D’où l’insuffisance de l’analyse structurale et l’intérêt de l’analyse fonctionnelle qui, en sociologie politique, se propose de dégager les fonctions de base remplies par tout système politique. G. A. Almond et G. Bingham Powell ont répertorié ces fonctions dans leur ouvrage Comparative Politics : a Developmental Approach (1966). Ils y définissent les capacités du système politique : capacités d’extraction (le système mobilisant à son profit les ressources matérielles et humaines de l’espace qu’il contrôle), capacités de régulation, de distribution, capacités réactives (responsive), qui représentent la sensibilité aux exigences formulées. Les fonctions de conversion politique des inputs en outputs, puis les fonctions de maintien et d’adaptation du système politique sont ensuite abordées en des termes voisins de ceux qui sont employés par David Easton. De même, la notion de développement politique, qui n’était pas traitée dans le premier ouvrage de G. A. Almond et J. Coleman, The Politics of Developing Areas (1960), est à rapporter, comme chez Easton, à l’incapacité du système de répondre aux nouveaux besoins économiques et sociaux. Mais, si ce dernier a eu, lui aussi, recours à l’analyse fonctionnelle, la perspective qu’il a retenue diffère sensiblement de celle dans laquelle Almond s’est situé.

C’est, en effet, à la survie du système que David Easton s’est surtout intéressé. Sa construction théorique exposée dans A Systems Analysis of Political Life (1965) repose sur la notion de persistance du modèle empruntée à la cybernétique. Il se réfère d’ailleurs explicitement à la théorie des communications dans l’ouvrage qui réunit les présupposés épistémologiques de son analyse systémique, A Framework for Political Analysis (1965). Le système politique y est conçu à l’image d’un circuit cybernétique fermé comme un système de comportements dont il se propose d’étudier les transactions avec l’environnement. De l’environnement intrasociétal ou extrasociétal émanent les inputs (exigences et soutiens) que le système a pour fonction de transformer en outputs (actions et décisions) ; toute décision étant source de nouvelles exigences, la rétroaction clôt le circuit. Faisant passer au second plan les outputs classiquement étudiés, Easton s’est essentiellement attaché à caractériser les exigences et les soutiens. L’expression des exigences — précises, comme le remaniement d’une grille salariale, ou de formulation vague : la « qualité de la vie » — pose le problème de leur régulation. L’embouteillage des messages peut être tel qu’au-delà d’un certain seuil le système est menacé par la surcharge (stress), quantitative (volume stress) ou qualitative (content stress). Pour prévenir la saturation, deux possibilités s’offrent au système : limiter le flux des exigences ou créer de nouvelles lignes, c’est-à-dire améliorer le circuit, et la spécialisation des fonctions politiques y contribue fortement. Les groupes de pression dont Easton présente une analyse fonctionnelle (et non structurale) assurent la régulation structurelle des exigences. Partis et notables sélectionnent les besoins sociaux appelés à être convertis en exigences politiques, opération qui peut être effectuée par les autorités en place désireuses de consolider leurs assises sociales, le withinput attestant le caractère multifonctionnel du système. La régulation culturelle, très forte dans les sociétés primitives, où les tabous freinent les exigences, subsiste dans les sociétés industrielles, où l’on doit se plier à certaines règles non formulées. L’exigence est donc filtrée, réduite, tout au long d’un processus où les partis politiques jouent le rôle principal : la réduction ou agrégation des exigences permet de les formuler en propositions de décisions ; mais les partis antisystème n’ont pas à canaliser les aspirations des groupes sociaux minoritaires dont ils sont les représentants, cela dans une perspective révolutionnaire.