Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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politique (sociologie) (suite)

• Violemment attaquée par Mills dans son Imagination sociologique (1959), la sociologie électorale*, à laquelle on ne doit certes pas réduire l’analyse de la vie politique, ne mérite guère ces imprécations. Temps fort de la vie politique d’un pays pendant lequel on peut apprécier la vitalité des formations qui s’affrontent, les élections, qui constituent une étape d’une exceptionnelle importance dans le processus de socialisation politique, présentent le grand avantage de fournir des résultats quantifiables.

Sans simplifier à l’excès la réalité, on peut dire que deux « écoles » se partagent l’étude scientifique des élections. En France et en Belgique, l’analyse écologique, qui a relayé l’ancienne géographie électorale, est issue des travaux classiques de A. Siegfried sur la France de l’Ouest (1914) et le département de l’Ardèche (1949). Elle fait intervenir trois types de facteurs explicatifs. L’explication géographique met en relation le vote avec la localisation de l’électeur. L’explication historique trouve les raisons d’un choix présent dans les votes antérieurs. L’explication sociologique recherche des correspondances entre les représentations cartographiées des structures professionnelles, des revenus, des âges, des pratiques religieuses et la répartition des voix recueillies par un parti donné. Elle aboutit, dans ce dernier cas, au calcul des coefficients de corrélation. Enfin, les recherches actuelles de cartographie électorale, où la dimension de l’unité d’analyse et les procédés de représentation font question, se rattachent à ce premier courant.

L’école américaine, par contre, a privilégié l’analyse psychosociologique, l’étude de la personnalité, la recherche des motivations. Encore faudrait-il distinguer nettement les travaux de P. Lazarsfeld*, Bernard Berelson et leur équipe — et notamment The People’s Choice (1944) et Voting (1954) — des enquêtes du Survey Research Center de l’université de Michigan comme The Voter decides (1954) et The American Voter (1960) de Alan K. Campbell et son équipe. Les premiers insistent sur l’environnement social des électeurs et présentent la décision électorale comme une décision collective prenant place dans une structure sociale dont les seconds n’envisagent qu’accessoirement le poids sur le vote. Mais quelles que soient ces différences, l’analyse psychosociologique des élections se heurte à des difficultés inhérentes à la méthode utilisée. L’échantillonnage est rarement parfaitement représentatif. Le questionnaire est souvent critiqué. La formulation des questions est-elle trop précise ? les réponses risquent d’être prédéterminées et donc artificiellement rationalisées. Le questionnaire est-il ouvert ? la spontanéité des réponses ne compense guère la difficulté accrue de leur interprétation. De toutes façons, ce qui est demandé n’a pas le même sens pour des individus d’appartenance sociale différente. On retrouve ici une partie des reproches que l’on adresse aux sondages d’opinion, à propos desquels on a pu se demander s’ils représentent une forme nouvelle de mensonge ou une probabilité d’approche de la vérité. La richesse de l’information recueillie par les enquêtes américaines ne doit cependant pas être sous-estimée. C’est, par exemple, à Lazarsfeld qu’il revient d’avoir montré que l’influence des moyens modernes d’information ne s’exerce efficacement sur les individus qu’à la condition d’être médiatisée par les guides de l’opinion (opinion leaders) dont le rôle, à tous égards considérable, est comparable à celui du gatekeeper de Kurt Lewin* qui fonctionne, comme on sait, à la manière du démon de Maxwell.

En France, l’introduction des mathématiques en sociologie politique et le recours aux calculateurs électroniques posent autant de problèmes qu’ils rendent de services, tant au niveau de la lecture, où l’inflation des données a conduit à élaborer de nouvelles techniques descriptives, comme l’analyse factorielle des correspondances, qu’au niveau de l’interprétation. On peut, en effet, s’interroger sur la relation causale, c’est-à-dire sur la liaison statistique à établir entre la ou les variables explicatives (indépendantes) et la variable dépendante à expliquer, liaison que mesure l’analyse de régression. Jadis, A. Siegfried, recherchant les facteurs explicatifs du comportement électoral dans son Tableau politique de la France de l’Ouest (1914), en proposant d’établir une corrélation entre régime foncier et orientation politique, pratique religieuse et vote à droite, a rencontré le problème du degré d’indépendance de la variable explicative par rapport aux autres variables. Plus récemment, les sociologues ont mis en question la relation existant entre corrélation collective et corrélation individuelle, à propos de l’explication du vote communiste par l’implantation de la population ouvrière, où l’on pose que la variable expliquée dépend, par une relation fonctionnelle linéaire, de la variable explicative. Il importe donc moins de noter les nouvelles explications proposées — celle de François Goguel, par exemple, qui met en relation modernisation économique et comportement électoral — que de marquer l’importance d’une réflexion méthodologique sur l’analyse de régression, d’où il ressort que l’emploi des coefficients de corrélation linéaire ne permet pas d’apprécier l’influence exercée par une classe sur son environnement ni de mesurer les effets de structure, la propension à voter communiste n’étant pas la même dans un arrondissement « ouvrier » que dans un arrondissement « bourgeois ». Pour expliquer un comportement électoral, il faut donc, comme l’indique Alain Lancelot, avancer des hypothèses plus raffinées proposant des relations non linéaires. Il faut également tenir compte, comme il le suggère, de la condition sociale, de la conscience de classe (l’affiliation subjective plus que l’appartenance objective à une classe pouvant, dans bien des cas, déterminer un choix électoral), de la tradition locale, dont Paul Bois, dans ses Paysans de l’Ouest (1961), a montré qu’elle était, dans le département de la Sarthe, responsable de clivages faussement attribués à d’autres facteurs, enfin des conditions politiques de la consultation.

Plus profondément, le choix électoral indique un degré de connaissances, un type d’engagement partisan, une perception des possibilités d’action politique et une appréciation globale du système qui sont autant de composantes d’une culture politique périodiquement manifestée. Le vote conduit donc le sociologue à s’interroger sur les fondements culturels de la démocratie.