Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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piano (suite)

Du piano-saxe au piano-tambour

La révolution du be-bop va raviver également au niveau pianistique le conflit entre conceptions européennes et constantes afro-américaines, mais plutôt, cette fois-ci, à l’avantage des éléments noirs. Tandis que Bud Powell, aux côtés de Charlie Parker*, développe un discours moins « virtuose » que véhément, intense, saccadé, Thelonious Monk, de manière décisive et obstinée, apparaît aux oreilles des amoureux de « beau piano » comme un parfait iconoclaste, voire comme un autodidacte débile. Également inimitable et solitaire (même lorsqu’il « accompagne » ou joue « avec » d’autres musiciens), il s’impose comme une sorte de négatif de Tatum, exploitant tout ce que celui-ci semble avoir ignoré : silences, dissonances, dislocations et boitements rythmiques, réitérations... Au point qu’en son travail ce sont moins les pianistes que les improvisateurs-compositeurs des générations à venir qui trouveront toutes sortes d’architectures, de valeurs et de libertés littéralement inouïes. Enfin — et ce n’est pas un des moindres paradoxes de son style — Monk, dans la mesure où il conteste, détruit systématiquement toutes traditions pianistiques classiques et semble parfois réinventer le stride et la manière des premiers pianistes de jazz.

Pendant que nombre de pianistes, à la suite de Bud Powell, tentent de répondre sur le clavier aux questions formulées par Parker sur son saxophone, d’autres (Horace Silver, Red Garland, Bobby Timmons, Junior Mance) développent le travail sur le rythme en même temps qu’ils sollicitent de plus en plus diverses formes de retour au blues. D’où une coexistence, dans le jazz des années 60, de styles multiples et parfois contradictoires, diversité qui illustre de manière quasi exhaustive toutes les possibilités et variations du mélange originel : du brillant tatumien d’Oscar Peterson aux torrents percussifs, discontinus et polyrythmiques de Cecil Taylor, en passant par le charme très swinguant d’Ahmad Jamal et John Lewis, l’individualisme séduisant d’Erroll Garner, les références au gospel de Les McCann, de Ray Bryant et de Ramsey Lewis Jr., l’hypermélodisme de Bill Evans ou le double discours affiché de Jaki Byard (qui fait alterner des séquences très modernes et des citations-clins d’œil nostalgiques). Sur les deux axes initiaux vont peu à peu se greffer toutes sortes d’éléments plus ou moins « exotiques » : références à certaines traditions françaises (Debussy, Ravel, Fauré...) et à des cultures non occidentales (Extrême-Orient et Inde), effets électroniques (qui coïncident avec l’apparition du piano électrique et du synthétiseur électronique), utilisation des modes, des clusters (grappes ou agrégats de notes jouées simultanément plutôt qu’accords), influence plus ou moins diffuse de certaines avant-gardes occidentales (compositions de Stockhausen, piano préparé de John Cage), etc. De ce mélange témoignent le Français Martial Solal, l’Allemand Joachim Kühn, Denny Zeitlin, Andrew Hill, Sun Ra, Bob James, Paul Bley, McCoy Tyner, Herbie Hancock, Chick Corea, Steve Kuhn, Keith Jarrett, Don Friedman, Clare Fisher, Stanley Cowell, l’Anglais Gordon Beck, Ran Blake, Don Pullen, Burton Greene, Dave Burrell, le Français François Tusques...

P. C.

➙ Be-bop / Blues / Ellington / Jazz / Monk / Morton / Tatum / Waller.


Quelques grands pianistes de jazz


William Jo, dit « Bill » Evans

(Plainfield, New Jersey, 1929). Après avoir travaillé avec Miles Davis, Art Farmer, Lee Konitz, Cannonball Adderley, Jimmy Giujfre, il forme un trio au personnel variable, mais où est valorisé le principe d’un échange constant entre la basse, la batterie et le piano. À force de travail sur les subtilités harmoniques du matériau thématique et sur le volume des notes, il s’impose comme un des principaux pianistes des années 60 et aussi comme l’un des plus populaires.

Enregistrements : I love you (1956), Autumn Leaves (1959), Israel (1965).


Erroll Garner

(Pittsburg 1921 - Los Angeles 1977). Après avoir travaillé avec Charlie Parker, Don Byas, Slam Stewart, Wardell Gray, Stuff Smith et Charlie Shavers, il commence à jouer en solo, puis accompagné par un bassiste et un batteur, et il devient un des rares jazzmen dont la popularité atteigne un niveau international. Autodidacte, il réunit tous les éléments propres à satisfaire amateurs de jazz et mélomanes classiques : virtuosité, richesse rythmique, goût des situations et clins d’œil, et surtout un retard de la main droite par rapport au soutien rythmique de la gauche qui permet de l’identifier immédiatement.

Enregistrements : Cool Blues (1947), Play Piano Play (1947), Blue Lou (1949), Movin’Blues (1963).


Earl Hines, surnommé Fatha

(Duquesne, Pennsylvanie, 1905). Surtout connu pour avoir travaillé à Chicago aux côtés de Louis Armstrong dans les années 20, il est un des premiers « solistes » dans l’histoire pianistique du jazz et surtout un des premiers pianistes à essayer de transposer sur le clavier les improvisations des autres instruments. Il est aussi chef d’orchestre, permettant dans les années 40 à de jeunes musiciens de préparer l’avènement du be-bop.

Enregistrements : West End Blues (avec Armstrong, 1928), Boogie-Woogie on the Saint Louis Blues (1940), I surrender Dear (1965).


John Aaron Lewis

(La Grange, Illinois, 1920). Après avoir participé aux débuts du be-bop, il devient en 1952 le pianiste du Milt Jackson Quartet et, un peu plus tard, le directeur musical du groupe, devenu le Modern Jazz Quartet et qui ne sera dissous qu’en 1974. Calme, concis, délicat, voire sophistiqué, son style est avant tout celui d’un mélodiste raffiné.

Enregistrements : Round ’bout Midnight (avec Dizzy Gillespie, 1948), Rouge (avec Miles Davis, 1949), Delaunay’s Dilemma (1960).


Thelonious Monk.

V. l’article.


Earl, dit « Bud » Powell

(New York 1924 - id. 1966). Aux côtés de Max Roach, de Fats Navarro, de Charlie Parker, de Charlie Mingus, il s’impose dans les années 40 comme l’inventeur du piano bop. La maladie l’empêchera d’avoir une activité régulière et sera à l’origine d’une sorte de mythe de l’artiste « maudit ».

Enregistrements : Tempus fugit (1949), Un Poco Loco (1951), Conception (1955), Bouncing with Bud (1962).


James Price, dit James P. ou Jimmy Johnson

(New Brunswick, New Jersey, 1894 - New York 1955). Compositeur, pianiste, accompagnateur de chanteuses, il fut l’un des musiciens les plus populaires des années 20 à New York.

Enregistrements : Carolina Shout (1921), You’ve got to be Modernistic (1930).


Arthur, dit « Art » Tatum.

V. l’article.


Cecil Percival Taylor