Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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physiopathologie

Étude des mécanismes qui, perturbant les fonctions physiologiques normales, sont responsables des signes pathologiques, c’est-à-dire de l’aspect clinique que revêt la maladie.


La physiopathologie se situe donc entre l’étiologie, ou étude des causes, et la clinique, ou étude des symptômes. Donnons d’emblée un exemple qui permettra de mieux comprendre sa place. On reconnaît à la fièvre typhoïde une cause : le bacille d’Eberth. On a défini la plupart de ses signes cliniques : fièvre élevée, sensibilité abdominale, cœcum distendu et gargouillant, troubles du transit avec parfois hémorragies intestinales, signes nerveux avec abattement et prostration... James Paul Reilly, en expérimentant sur l’animal, a démontré que la toxine élaborée par les bacilles d’Eberth développés dans les ganglions mésentériques agit sur les filets des nerfs splanchniques. Ce faisant, il reproduisait les effets cliniques de la maladie. Cette reconstitution progressive des chaînons interposés entre l’agent causal et la traduction clinique d’une maladie est un bon exemple d’une recherche physiopathologique.

Comme on le voit, cette recherche se situe au croisement de plusieurs disciplines médicales. La physiopathologie est en outre un chapitre particulièrement précaire de la médecine, car, si certains enchaînements physiopathologiques sont clairement expliqués par des observations ou des expérimentations reposant sur des bases indubitables, beaucoup d’autres, par contre, sont des constructions de l’esprit reposant sur des faits incertains. L’explication première, pour séduisante qu’elle soit, est souvent balayée, quelque temps après, par une découverte ou une nouvelle expérimentation. Il n’est que de lire des livres médicaux publiés vingt ou trente ans auparavant pour voir combien fragiles étaient certaines conclusions physiopathologiques proposées à ce moment. Toutefois, les progrès techniques aident à percer certains mystères et à multiplier les explications physiopathologiques satisfaisantes. Or, la connaissance d’une physiopathologie précise est le meilleur garant d’une thérapeutique efficace. En effet, agir sur les seuls signes cliniques de la maladie réalise un traitement symptomatique qui, parfois utile, n’est jamais suffisant. Agir sur la cause est parfois possible, mais devrait surtout intéresser la médecine prophylactique. C’est donc bien en maîtrisant les déclenchements physiopathologiques que l’on a le meilleur point d’impact thérapeutique.

Mais à quel niveau situer exactement le trouble physiopathologique ? La recherche physiopathologique s’est peu à peu acheminée vers l’infiniment petit. Au xviie s., la physiopathologie est à peine caricaturée par Molière, à une époque où les « humeurs » sont tenues pour responsables de la plupart des maux. Louis XIII et surtout Louis XIV devaient avoir une constitution robuste pour résister aux centaines de purgations, lavements et saignées qui leur étaient prescrits. Il faudra attendre le xixe s. pour que l’expérimentation, proposée et codifiée par Claude Bernard*, puis l’étude des corrélations anatomo-cliniques magistralement mises en évidence par Laennec*, Pierre Bretonneau, Xavier Bichat, Armand Trousseau, etc., apportent les premières constructions physiopathologiques. Celles-ci étaient toutefois uniquement fondées sur des données macroscopiques et restaient, par conséquent, trop approximatives. Peu après, le développement de la microscopie optique, d’une part, favorisant l’essor de l’anatomie pathologique microscopique, et de la bactériologie, d’autre part, après les efforts de Pasteur*, introduisit une nouvelle dimension à la physiopathologie. Au début du xxe s., les progrès en endocrinologie* permirent de comprendre la physiopathologie de multiples affections et notamment des accidents de choc* (Hans Selye). Au milieu de ce siècle, l’apparition de l’électrocardiographie, des cathétérismes cardiaques et des radiographies vasculaires a fait progresser d’un pas de géant la cardiologie, longtemps astreinte à une thérapeutique purement symptomatique. L’étude des pressions, d’une part, et celle des troubles de la conduction électrique, d’autre part, furent les guides précieux du développement de la chirurgie cardio-vasculaire. Mais, au-delà de ces anomalies biophysiques ou biochimiques globales, la physiopathologie contemporaine recule les limites de son champ d’action vers des perturbations qui touchent non plus seulement la fonction d’organe, mais des étapes plus précoces de la physiologie. Les perturbations au stade cellulaire nous sont parfois révélées par la microscopie optique traditionnelle, capable d’étudier soit des prélèvements post mortem, qui ont un intérêt de recherche, soit des prélèvements faits du vivant du malade, qui ont alors un intérêt pour lui-même. La multiplication des procédés de biopsie* permet actuellement l’étude histologique de nombreux tissus de l’organisme, apportant souvent l’explication physiopathologique décisive pour le choix de la thérapeutique. Mais les seules perturbations globales des tissus sont encore trop grossières dans de nombreux cas. La microscopie électronique permet de repousser la recherche de la responsabilité physiopathologique au stade intracellulaire. L’étude des anomalies des organites intracellulaires amène ainsi aux confins de la pathologie moléculaire : on met en évidence des anomalies de structure des protéines constituantes et des perturbations enzymatiques, qui semblent responsables, à l’heure actuelle, de la majorité des troubles physiopathologiques. La découverte de telles perturbations enzymatiques permet d’expliquer par la biochimie tantôt des maladies acquises, tantôt des maladies congénitales (phénylcétonurie, déficits globulaires, etc.). Enfin, quelques maladies ont trouvé une explication dans une anomalie des chromosomes* des cellules : maladies soit congénitales (mongolisme...), soit même acquises, telle la leucose myéloïde chronique. Mais la connaissance de ces erreurs chromosomiques ne suffit pas. Il reste à déterminer par quel processus ces anomalies visibles sont susceptibles d’entraîner les modifications morphologiques de l’individu ou encore les aberrations biochimiques caractéristiques de la maladie : c’est l’objet des recherches actuelles.

J.-C. Le P.

 Z. M. Bacq, Principes de physiopathologie et de thérapeutiques générales (Masson, 1949 ; nouv. éd., 1962). / F. Laporte, Physiopathologie chirurgicale générale. L’anoxie, les déséquilibres hydro-électrolytiques en chirurgie (Masson, 1962). / J. L. Parrot (sous la dir. de), Actualités de physiologie pathologique (Masson, 1966-1970 ; 3 vol.).