Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippe II (suite)

L’expansion espagnole sous le règne de Philippe II

La colonisation du Río de La Plata, à peine amorcée à l’époque de Charles Quint, fait de grands progrès sous Philippe II. Buenos Aires est fondé en 1536 par Pedro de Mendoza (1487-1537), mais les conquistadores y affrontent de telles difficultés qu’ils doivent l’abandonner jusqu’en 1580, date de l’arrivée de Juan de Garay et de nouveaux colonisateurs. Plusieurs expéditions à la recherche de l’Eldorado sont organisées : celles de Sebastián de Benalcázar (1538), de Felipe von Hutten (1541), de Francisco de Orellana (1542) et de Pedro de Ursúa (1559), qui est assassiné et remplacé par Lope de Aguirre (1561). En Amérique du Nord, Pedro Menéndez de Avilés entreprend en 1565 la conquête de divers territoires en Floride.

Des expéditions sont également menées à bien dans l’océan Pacifique, notamment grâce à Miguel López de Legazpi (v. 1510-1572) et Andrés de Urdaneta (1508-1568), qui découvrent et conquièrent les grandes îles de l’archipel des Philippines, où ils fondent Manille en 1571. On peut également citer Álvaro de Mendaña (v. 1541-1595), qui découvre tout d’abord les îles Salomon (1568), puis les îles Marquises et l’archipel Santa Cruz (1595).


Que penser du règne ?

Le 13 septembre 1598, l’année même de la signature de la paix de Vervins, Philippe II, de plus en plus retiré du monde, meurt au monastère de l’Escurial après avoir supporté stoïquement la goutte qui l’afflige depuis un certain temps. Il laisse à son successeur : en Europe, la péninsule Ibérique unie sous un même sceptre, les îles Baléares, le Roussillon, la Franche-Comté, les Pays-Bas et les États italiens du Milanais, Naples, la Sicile et la Sardaigne ; en Afrique, Oran, Bougie, Tunis, Mers el-Kébir, Melilla, Ceuta, les Canaries, Madère, les Açores, la Guinée, le Congo, l’Angola et le Mozambique ; en Asie, Ormuz, Goa, Malabār, Malacca, Macao, Ceylan, les îles Philippines, les Moluques et Timor ; en Océanie, les Carolines et les Mariannes ; en Amérique, le Brésil et les Antilles espagnoles, la Nouvelle-Espagne (Mexique), la Nouvelle-Castille (Pérou), la Nouvelle-Grenade (Colombie), la Nouvelle-Estrémadure (Chili), le Paraguay, le Río de La Plata et la Floride.

Ce serait une gageure que de vouloir porter un jugement sur le troisième souverain espagnol de la maison d’Autriche, qui est un des personnages les plus controversés de l’histoire.

Si Philippe II a échoué dans la lutte qui l’a opposé à l’Angleterre et dans ses efforts de pacification des Pays-Bas, il a remporté par contre de brillantes victoires contre les Français et contre les Turcs. Il a laissé à son fils un empire beaucoup plus étendu que celui qu’il avait reçu puisqu’il a su poursuivre l’extraordinaire expansion espagnole en Amérique et dans le Pacifique tout en réalisant l’unité ibérique grâce à l’incorporation du Portugal, ce qui est sans doute la plus belle réussite de son règne. La puissance espagnole ne commence à décliner qu’après lui à cause de l’immensité des territoires appartenant à la Couronne et du manque de capacités de son successeur.

L’antipathie que lui vouent bon nombre de chroniqueurs est due essentiellement à l’Inquisition*, dont la fondation remonte en fait aux Rois Catholiques, aux autodafés de Séville et de Valladolid et à sa lutte contre les protestants des Pays-Bas. Enfin, il a été critiqué pour son comportement vis-à-vis du prince don Carlos, enfant de son premier mariage avec Marie de Portugal et héritier présumé de la Couronne. Reconnu comme tel, don Carlos fut nommé président du Conseil royal en 1567, mais, prenant ombrage de la nomination du duc d’Albe au poste de gouverneur des Pays-Bas, il envisagea de se rendre dans cette région. Apprenant qu’il sympathisait avec les rebelles flamands, Philippe II le fit arrêter le 18 janvier 1568 et incarcérer à l’alcázar de Madrid, où il mourut le 24 juillet de la même année dans des circonstances mystérieuses qui ont donné naissance à bien des légendes.

Il est difficile de pénétrer la personnalité de Philippe II. Le souverain fut animé par un goût profond pour le pouvoir, un sentiment du devoir peu commun et le désir de défendre envers et contre tout l’unité catholique. Sa puissance de travail était considérable ; elle se traduisait par la volonté de résoudre lui-même tous les problèmes qui lui étaient soumis, ce qui entraînait parfois un retard dans la prise de décisions devenues alors inefficaces, une absence de favoritisme qui lui fit confier les fonctions gouvernementales aux plus compétents, une certaine humilité et un détachement des vanités de ce monde. Mais son gouvernement se caractérisa aussi par la méfiance, la lenteur dans l’expédition des affaires publiques ainsi que le désintérêt pour les questions matérielles. Le penchant de Philippe II pour l’isolement l’amena à cacher une sensibilité qui éclate dans les lettres adressées à ses enfants.

R. G.-P.

➙ Empire colonial espagnol / Espagne / Habsbourg / Pays-Bas / Portugal.

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