Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Philippe II (suite)

L’unité de la Péninsule : le Portugal

La politique matrimoniale suivie par les Rois Catholiques en vue de l’union du Portugal et de l’Espagne porte ses fruits sous le règne de Philippe II. À la mort de Jean III, souverain du pays voisin, le trône est occupé par son petit-fils Sébastien (1557-1578), qui entreprend, contre les conseils de son oncle Philippe II, une expédition en Afrique où il disparaît à la bataille d’Alcaçar Quivir (El-Ksar el-Kébir au Maroc). Son grand-oncle, Henri le Cardinal, homme d’Église d’âge avancé, qui lui succède en 1578, meurt deux ans plus tard. Deux prétendants s’affrontent alors : Philippe II d’Espagne et dom Antoine, prieur de Crato (1531-1595), bâtard de la famille royale portugaise, qui jouit de l’appui d’une grande partie du pays. C’est ce dernier qui est proclamé roi à Lisbonne, mais le monarque espagnol envoie sur mer une escadre avec Álvaro de Bazán (1526-1588), marquis de Santa Cruz, et sur terre une armée sous les ordres du duc d’Albe. Les Espagnols l’emportent sur le prétendant portugais à Alcántara (1580), et les Cortes de Tomar (1581) nomment alors Philippe II roi de Portugal. Ainsi se réalise l’un des rêves les plus chers des Rois Catholiques et de Charles Quint : l’unité de la Péninsule. L’annexion du Portugal et de ses riches colonies repousse considérablement les limites de l’Empire espagnol, sur lequel dès lors « le soleil ne se couche jamais ». (V. Aviz [dynastie d’].)


Antonio Pérez et les troubles en Aragon

Sous le règne de Philippe II s’impose l’idée de la monarchie absolue au détriment du pouvoir que détenaient les différentes provinces appartenant à la Couronne depuis les Rois Catholiques. Ce phénomène est particulièrement clair dans l’affaire d’Antonio Pérez et des troubles qui en découlent en Aragon. Antonio Pérez (1540-1611), secrétaire du roi, est impliqué dans l’assassinat de Juan de Escobedo (v. 1530-1578), confident de don Juan d’Autriche. Ce meurtre met en cause la princesse d’Éboli, le frère bâtard de Philippe II et le souverain lui-même, dont la réputation est considérablement ternie par la persécution dont Antonio Pérez est victime. Pour éviter d’avoir à rendre compte de la responsabilité qu’il peut avoir dans ce crime, et qui a été mise en lumière par un procès long et compliqué, Pérez réussit à s’évader de prison et à se réfugier en Aragon, son pays natal, où il se place sous la protection du magistrat suprême Juan de Lanuza. Le souverain exige son retour en Castille sans y parvenir et, apprenant que son ancien collaborateur s’est enfui en France, il fait occuper l’Aragon (1591), exécuter son représentant à Saragosse et modifier certains « fueros » (privilèges) aragonais.

En Angleterre, le trône est occupé par la reine Élisabeth Ire*, souveraine protestante qui soutient ses coreligionnaires français ainsi que les Hollandais opposés à l’Espagne. Elle accorde en outre son appui aux corsaires anglais, tels que John Hawkins (1532-1595) et Francis Drake (v. 1540-1596), qui attaquent les colonies espagnoles en Amérique (Lima notamment) et les galions revenant vers la Péninsule chargés de marchandises et de métaux précieux. Philippe II, constatant que ses protestations ne donnent aucun résultat, conçoit le projet de renverser Élisabeth Ire et, pour rétablir le catholicisme, de faire couronner Marie* Stuart reine catholique d’Écosse, alors détenue dans les prisons anglaises.

Les intentions du monarque espagnol sont dévoilées ; la reine Élisabeth multiplie les provocations contre l’Espagne tout en ordonnant l’exécution de Marie Stuart (1587). Le sort réservé à l’infortunée souveraine décide Philippe II à affronter l’Angleterre, où il ambitionne maintenant d’installer sa fille Isabelle Claire Eugénie. Pour ce faire, il arme une puissante escadre chargée de mettre fin à la suprématie anglaise sur les mers. La flotte ainsi constituée part de Lisbonne et de La Corogne en 1588 pour se diriger vers les Pays-Bas, où doivent embarquer les troupes d’Alexandre Farnèse. À la tête de cette « Armada » (flotte) dénommée l’Invincible à cause de sa puissance, on trouve Alonso Pérez de Guzmán, duc de Medinasidonia (1550-1615), qui, malgré son manque d’expérience, est amené à prendre la place du célèbre Álvaro de Bazán, dont le décès est lourd de conséquences pour l’Espagne. L’escadre, attaquée au large de Calais par des navires anglais beaucoup plus légers, doit également lutter contre les éléments, et, après un tragique périple autour des îles Britanniques, les débris de la flotte reviennent en Espagne. À la suite de ce désastre naval, les Anglais mettent le siège devant La Corogne, qu’ils ne parviennent cependant pas à prendre à cause de l’héroïque défense de ses habitants (notamment María Pita). Drake impose sa loi dans les possessions espagnoles de Porto Rico, Cartagena, la Floride et les Canaries. Il s’empare également de Cadix, qu’il met à sac.


La lutte contre les huguenots

Dans les guerres de Religion françaises, Philippe II prend le parti des catholiques afin de contrecarrer toute infiltration calviniste à travers les Pyrénées. À la mort d’Henri III (1589), le roi de France n’ayant pas d’héritier direct, Philippe II veut à tout prix empêcher l’avènement du protestant Henri de Navarre. Il envisage même d’obtenir la couronne pour sa fille Isabelle. Les régiments d’Alexandre Farnèse quittent les Pays-Bas pour voler au secours de Paris, où les catholiques, avec le duc de Guise, résistent aux attaques d’Henri de Navarre. Ce dernier doit lever le siège, et les troupes espagnoles pénètrent dans la capitale française ; mais les Français ne sont pas favorables aux vues de Philippe II et reconnaissent Henri IV, qui vient d’abjurer le calvinisme pour embrasser la religion catholique. La guerre dure encore quatre ans et se termine par la paix de Vervins (1598), aux termes de laquelle Henri IV reçoit la couronne de France, et l’Espagne rend la place de Calais, mais exige en échange la reconnaissance de son hégémonie en Italie.