Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Philippe II (suite)

La révolte des morisques de Grenade

Les morisques, Arabes baptisés qui sont restés en Espagne après la Reconquista*, montrent une grande réticence à l’égard de l’assimilation tentée depuis les Rois Catholiques. Ils se soulèvent en 1568 dans l’ancien royaume de Grenade, se réfugient dans la région montagneuse des Alpujarras et se donnent pour roi Fernando de Córdoba y Válor (1520-1569), qui prend le nom d’Aben Humeya. Ils finissent cependant par s’incliner (1570) devant l’armée commandée par don Juan d’Autriche (1545-1578), frère bâtard du roi. Certains émigrent en Afrique, d’autres sont dispersés en Castille et en Estrémadure.


Le soulèvement des Pays-Bas

En 1559, Marguerite de Parme (1522-1586), fille naturelle de Charles Quint, est nommée gouvernante des Pays-Bas. Peu après, les Flamands, particulièrement hostiles au cardinal Granvelle, qui occupe la plus haute charge dans ce pays, s’insurgent. Le mécontentement grandit avec l’application des décrets du concile de Trente et des décisions des tribunaux de l’Inquisition chargés de réprimer le protestantisme.

Les patriotes flamands de la petite noblesse présentent le compromis de Breda (1566), sorte de cahier des doléances, à la gouvernante. Malencontreusement qualifiés de « gueux », ils reprennent cette épithète à leur compte pour souligner l’incompréhension dont ils font l’objet. Ils ont pour chefs notamment Guillaume* d’Orange-Nassau le Taciturne et Lamoral, comte d’Egmont (1522-1568), général qui s’est distingué au cours de la lutte de Philippe II contre les Français (batailles de Saint-Quentin et de Gravelines). L’attitude des nobles suscite l’agitation des masses populaires calvinistes. C’est ainsi que commence la guerre des Pays-Bas*, qui va être au centre de la politique européenne pendant plus d’un demi-siècle.

Décidé à étouffer cette insurrection, Philippe II remplace Marguerite de Parme par le duc d’Albe en 1567. La répression est alors très dure et laissée à la discrétion du Conseil des troubles, créé par le nouveau gouverneur. Les comtes d’Egmont et de Hornes sont exécutés à Bruxelles (1568), et l’infanterie espagnole réussit pendant quelque temps à tenir les séditieux en échec.

Toutefois, lorsque la révolte reprend, Philippe II rappelle le duc d’Albe (1573) et envoie à sa place Luis de Requesens (1528-1576), qui se propose de négocier avec les rebelles. Ces derniers, dirigés par Guillaume le Taciturne, veulent s’émanciper de l’Espagne. Requesens n’a pas le temps de mener son entreprise à bien et, à sa mort, alors que l’on attend l’arrivée du nouveau gouverneur don Juan d’Autriche (1576), les troupes espagnoles, lasses de ne pas recevoir leur solde, pillent la ville d’Anvers. De telles exactions entraînent l’union des Wallons catholiques du Sud avec les Flamands et les Hollandais protestants du Nord (pacification de Gand, 1576), tant et si bien que, lorsque don Juan d’Autriche entre aux Pays-Bas, seule la province du Luxembourg est encore fidèle à l’Espagne.

Reprenant à son compte la politique de Requesens, don Juan publie l’Édit perpétuel (1577) et accepte de renvoyer les régiments espagnols. Mais cela n’aboutit en fait qu’à renforcer l’hostilité des Hollandais, et le gouverneur doit rappeler ses troupes. Placées sous le commandement d’Alexandre Farnèse (1545-1592), fils de Marguerite de Parme, celles-ci sont victorieuses à Gembloux (1578), et les provinces de Flandre et de Brabant reconnaissent de nouveau la souveraineté de l’Espagne. Don Juan d’Autriche meurt subitement cette année-là et Alexandre Farnèse se charge lui-même du gouvernement.

Politicien habile, Alexandre Farnèse sait tirer parti des rivalités qui opposent les catholiques et les protestants (Union d’Arras, 1579) pour les soumettre. Mais les provinces du Nord (Hollande, Zélande, Frise, Utrecht, Gueldre) s’unissent et font sécession d’avec l’Espagne (Union d’Utrecht, 1579). Bien qu’Alexandre Farnèse soit vainqueur à divers endroits (Anvers est reprise en 1585), les Hollandais résistent avec courage et ténacité, aidés dans leur combat par les renforts venus d’Angleterre et de France. L’Espagne doit alors se retourner contre les Anglais et contre les calvinistes français, et le conflit devient général.

Ne voyant pas comment terminer cette guerre, Philippe II pense qu’il est préférable de céder le trône des Pays-Bas à sa fille Isabelle Claire Eugénie, mariée à l’archiduc Albert d’Autriche (1559-1621), et d’en faire un protectorat espagnol qui lui reviendrait de droit (1598) si tous deux mouraient sans descendance. La question n’est pas résolue pour autant, car les Hollandais refusent de reconnaître Isabelle Claire Eugénie.


La bataille de Lépante

À la fin du règne de Charles Quint, le pirate turc Dragut († 1565), successeur des Barberousse, s’était emparé de Tripoli (1551). Les Espagnols tentent en 1560 sans succès de reprendre cette place, et les Turcs, profitant de leur bonne fortune, lancent une offensive contre Malte (1565), d’où ils sont rejetés, et contre Chypre, qu’ils enlèvent aux Vénitiens (1571). Le danger est si grand pour le monde catholique que le pape Pie V* fait appel aux États chrétiens. Seules Venise, dont les intérêts matériels sont menacés par les Turcs, et l’Espagne répondent à cet appel.

Venise, le pape et l’Espagne constituent la Sainte Ligue, et la flotte alliée, commandée par don Juan d’Autriche, anéantit les Turcs (300 vaisseaux portant en tout 100 000 hommes) à l’entrée du golfe de Corinthe. Cette victoire (1571) est décisive pour les forces chrétiennes et renforce le prestige de Philippe II. Le pouvoir des Turcs en Méditerranée s’en trouve amoindri, et la menace qu’ils constituaient jusque-là s’éloigne. Néanmoins, les avantages tirés de cette brillante réussite ne sont pas aussi grands que l’on aurait été en droit de l’attendre par suite de la division des alliés et du sentiment ombrageux que le souverain espagnol conçoit à l’égard de don Juan d’Autriche, dont la popularité l’irrite.