Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Perret (Auguste) (suite)

La mise au point du procédé Hennebique (v. bétonnage) date de 1892, et ses premières applications à la construction d’habitat, de 1898 (immeuble, 1, rue Danton à Paris). Dans la même période, Auguste Perret utilise déjà le béton dans des emplois partiels (plancher du casino de Saint-Malo, auj. détruit). En 1902-03, il construira, 25 bis, rue Franklin à Paris, un immeuble d’habitation entièrement en béton armé et dont le langage formel utilise les capacités du matériau (tandis que l’immeuble de la rue Danton transpose en béton les formes grasses des immeubles bourgeois de la fin du siècle) : le squelette de l’édifice est entièrement apparent, les remplissages formés soit par des vitrages, soit par des panneaux revêtus de grès émaillé. L’ossature soulignée et les grands motifs floraux du céramiste Alexandre Bigot (1862-1927) sont d’influence nettement japonisante, mais l’image n’en reste pas moins totalement neuve de cet édifice de verre et de grès dont les étages ne sont séparés que par de minces dalles de plancher. Le plan lui-même, en rupture d’alignement (la cour intérieure étant reportée en façade), offre une image nouvelle, et les couronnements en terrasse, ouverts sur le panorama de Paris, n’ont plus que de lointains rapports avec les toits traditionnels.

Le garage de la rue de Ponthieu (1905, détruit) ou la belle maison du professeur Carnot, avenue Élisée-Reclus (1907, détruite), confirmeront cette réputation novatrice des frères Perret, conduisant en 1908 Le Corbusier* à faire un stage de plusieurs mois dans leur atelier et, en 1910, le grand Henry Van de Velde (1863-1957) à faire appel à leurs services pour la construction de l’ossature du théâtre des Champs-Élysées, dont il devait être le maître d’œuvre. Cette réalisation n’est pas le moment le plus glorieux de la carrière des Perret, qui, appuyés par une opinion germanophobe, parvinrent à évincer l’architecte du grand-duc de Saxe-Weimar. L’œuvre finale (1913) en a souffert dans son unité : la salle, aménagée et meublée par Van de Velde, comprend un plafond néo-gabriellien et un front de scène en marbre qui sont l’œuvre des frères Perret, auteurs également du foyer assez sec et de la façade — maquillage, avec le concours du sculpteur Bourdelle*, d’un projet de Van de Velde. L’œuvre, néanmoins, eut très grand succès et confirma la réputation des architectes français.

Durant la Première Guerre mondiale, A. et G. Perret réalisèrent nombre de constructions utilitaires du plus grand intérêt : docks de Saïda, de Tiaret, de Sidi-Bel-Abbès et surtout de Casablanca (1915), ateliers de confection Esders et ateliers de fabrication de décors à Paris (1919), halle pour trains de laminage de Montataire (1920). Constructeurs en béton armé, dépourvus de toute prétention architecturale ou culturelle, les frères Perret sont alors au sommet de leur carrière, comme le prouvent après la guerre les deux églises du Raincy (1922-23) et de Montmagny (1925-26) ou les laboratoires de la marine nationale, boulevard Victor à Paris (1928-1930).

L’élégante voûte-plafond de l’église du Raincy — long tunnel segmentaire que contre-butent des voûtes transversales de même profil sur les bas-côtés — repose de façon paradoxale sur de minces piliers, qu’enferme une résille de claustra animés par des verres de couleur. Ce style tendu, transparent et léger est certainement plus proche d’Adolf Loos, de Josef Hoffmann ou de Charles Rennie Mackintosh (v. Art nouveau, Vienne et Glasgow) que de la Sainte-Chapelle de Paris, à laquelle on l’a trop généreusement comparé. Enfin, il faut remarquer que l’église du Raincy a été construite avec des moules préfabriqués pour les parties principales de la structure, et des éléments entièrement préfabriqués pour tous les remplissages : Perret se montrait là un pionnier de la construction contemporaine, au même titre que Charles-Henri Besnard (1881-1946), l’auteur de Saint-Christophe de Javel (1921-1929).

À partir des années 30, Auguste Perret, architecte en renom, connaît une grande carrière officielle, mais, simultanément, son originalité tend à diminuer et il se tourne de plus en plus vers un répertoire de formes néoclassiques que l’on peut juger assez stériles. Certaines œuvres retiennent néanmoins l’intérêt, comme son immeuble du 51-55, rue Raynouard, à Paris (1930-1932), le Mobilier national aux Gobelins (1933-34), le musée des Travaux publics (actuel Conseil économique et social, place d’Iéna, 1937) ou la charmante petite salle de l’École normale de musique, construite pour Alfred Cortot.

On peut regretter que la rotonde du musée des Travaux publics, avec son attique porté sur un ordre colossal, ne se dégage pas assez explicitement des modèles classiques, et plus encore que le croisement des fers entre la colonne et la poutre ait donné lieu à un motif foliacé d’inspiration égyptienne (la préoccupation de Perret restant, après tant de siècles de classicisme, de « créer un ordre » qui s’applique à la charpente de béton) ; il reste que la qualité du traitement du béton dans les parties vives comme dans les panneaux préfabriqués de remplissage est vraiment exceptionnelle, rapprochant de façon quelque peu paradoxale Perret et Mies* Van der Rohe dans un souci commun du détail d’exécution.

Après la Seconde Guerre mondiale, Perret sera chargé d’importants programmes de construction (à la différence de Le Corbusier, qui n’aura jamais les faveurs officielles) et il rebâtira ainsi une ville entière, celle du Havre, étendant à une échelle immense, sur un schéma en damier, le gabarit de son immeuble de la rue Raynouard ; seule la haute tour-lanterne d’une église aux proportions démesurées vient ponctuer le paysage uniforme des façades ordonnancées, triomphe du monumentalisme urbain. Avec la tour Perret à Amiens — haute de cent mètres et destinée au logement, c’est la première expérience française en matière d’immeubles de grande hauteur — et le Centre de recherches nucléaires de Saclay, ces œuvres de l’après-guerre (1947-48) terminent la carrière d’Auguste Perret d’une façon plutôt médiocre, ne laissant le souvenir que de la perfection de leur réalisation et de la régularité de leur métrique, entièrement tramée et systématisée : Perret a été l’un des précurseurs dans le domaine de la planification des bâtiments et de la normalisation des dimensions.