Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Argentine (suite)

xixe siècle

On continue à pratiquer une architecture « spontanée » qui fait penser à celle de l’Andalousie. Vers la moitié du siècle, des maçons européens (surtout des Italiens) arrivent en masse. Sur les données anciennes, ils n’ont aucun mal à greffer quelques éléments empruntés au répertoire néo-classique. Plus tard, à la fin du siècle, les descendants enrichis des colonisateurs ou des immigrants entreprennent l’indispensable « voyage en Europe ». Ils rentrent avec des plans pour construire les maisons et avec un mobilier venant surtout de Paris, considéré comme le centre du bon ton.

Depuis le début du xixe s., une poignée de peintres européens, plus ou moins aventuriers, ont travaillé en Amérique du Sud, nous laissant une image frappante des paysages et des mœurs. Il y avait des Anglais, comme Emery Essex Vidal (1791-1861), des Allemands, comme Johann M. Rugendas (1802-1858), mais surtout des Français, tels Raymond Monvoisin (1790-1870), Adolphe d’Hastrel (1805-1875) et Jean Léon Pallière (1823-1887).

Les premiers peintres argentins notables furent Carlos Morel (1813-1894), un portraitiste, et Prilidiano Pueyrredón (1823-1870), connu par ses vues de la Pampa. À partir du dernier tiers du siècle, des artistes argentins vont se rendre en Europe — notamment à Paris et en Italie — pour se perfectionner. Citons Eduardo Sívori (1847-1917), Lucio Correa Morales (1852-1923), Martín Malharro (1865-1911), Ernesto De la Cárcova (1867-1927). En général, ils reflètent soit un impressionnisme à la française, soit un réalisme italien assez plat.


xxe siècle

Les principales œuvres d’architecture « officielle » datent du début du siècle, tels, à Buenos Aires, le palais du Congrès et le théâtre Colon, dessinés par l’Italien Victor Meano (1866-1927). Vers 1920-1930 se place une tentative pour faire revivre un style « colonial » archaïsant. Les « modernes » triomphèrent, mais, pour des raisons surtout économiques, l’Argentine n’est jamais arrivée à constituer une véritable école d’architecture contemporaine.

Le grand peintre argentin moderne est Emilio Pettoruti (1892-1971) ; il participa au futurisme en Italie, puis, rentré dans son pays en 1924, y influa sur tout le mouvement moderne ; il s’installa à Paris en 1953. Il faut également citer Eugenio Daneri (1881), qui a peint Buenos Aires, et Miguel Victorica (1884-1955), sorte de fauve tempéré. Des peintres qui étudièrent surtout en Europe, Aquiles Badi (né en 1894), Hector Basaldúa (1894), Lino E. Spilimbergo (1896-1964), Horacio Butler (1897), Raúl Soldi (1905), Antonio Berni (1905), font la liaison avec les jeunes générations, liées aux diverses avant-gardes internationales.

En sculpture, l’Argentine a eu deux artistes de tempérament traditionnel : Rogelio Yrurtia (1879-1950) et Antonio Sibellino (1891-1960). Dans les années 1930-1950, deux sculpteurs formés dans l’atelier de Bourdelle, Pablo Curatella Manes (1891-1962) et Sesostris Vitullo (1899-1953), vécurent à Paris, comme après eux Alicia Penalba (née en 1918) et Julio Le Parc (1928 ; membre du Groupe* de recherche d’art visuel).

D. B.

➙ Amérique précolombienne / Buenos Aires.

 J. L. Pagano, El Arte de los Argentinos (Buenos Aires, 1939 ; 3 vol.). / A. Merlino, Diccionario de artistas plásticos de la Argentina (xviiie, xixe et xxe s.) [Buenos Aires, 1954]. / M. J. Buschiazzo, Historia del arte hispano-americano (Barcelone, 1956). / C. Iturburu, La Pintura argentina del siglo Veinte (Buenos Aires, 1958).

Arghezi (Ion Theodorescu, dit Tudor)

Écrivain roumain (Bucarest 1880 - id. 1967).


Dès son enfance, sa vie est marquée du double sceau de l’épreuve et de l’expérience. Il entreprend ses études tout en se livrant à divers métiers : il travaille ainsi chez un tailleur de pierre et applique des dorures sur les inscriptions des pierres tombales. Secrétaire d’une galerie de peinture, puis garçon de laboratoire dans une sucrerie (épisode évoqué dans son roman Lina, 1942), il commence à rimer, et, en 1896, adresse ses premiers vers à la revue Lumea Nouă. Il est aussitôt remarqué par Alexandru Macedonski (1854-1920), qui publie dans son journal Liga Ortodoxa ses poèmes signés de nombreux pseudonymes : Ion Théo, Cabriol, Tudor Arghezi... Il traverse cependant une crise mystique, et, pendant six années, au monastère de Cernica, sous le nom du diacre Iosif, il s’efforce d’échapper à la fascination de la littérature, tentative qu’il relatera en 1930 avec verve et ironie dans Icônes de bois. Envoyé à l’université catholique de Fribourg, il y étudie l’histoire comparée des religions et des philosophies. Marchand ambulant à Paris, ouvrier horloger en Suisse, il suit avec passion les luttes sociales et politiques de son pays, surtout la terrible révolte des paysans de 1907. Quand il revient à Bucarest en 1910, il entreprend de dénoncer les tares du régime oligarchique : il fait paraître ses pamphlets et ses chroniques dans une multitude de journaux et de périodiques (Seară, Rampa, Viaţa Romînească), et fonde, en 1915, avec son ami Gala Galaction (1879-1961), la revue Cronica. Mais, pour s’être opposé à la politique de guerre, il est incarcéré à Văcăreşti, dans la banlieue de Bucarest : il racontera sa vie en prison dans un récit, Poarta neagră (la Porte noire, 1930), et dans un recueil de poèmes, Flori de mucigai (Fleurs de moisissure, 1931). Un quart de siècle plus tard, le 1er octobre 1943, un article virulent contre le représentant de l’Allemagne lui vaudra d’être déporté au camp de Tîrgu-Jiu. De la plaquette Cuvinte potrivite (Paroles assorties, 1927) à Hore (Rondes, 1939), puis à Cîntare omului (Cantique à l’homme, 1956), sa gloire, d’abord discutée, s’est affermie. Député, membre de l’Académie roumaine, président de l’Union des écrivains, couronné de nombreux prix littéraires nationaux et étrangers, il recevra le dernier honneur des funérailles nationales.

Alchimiste du vers, torturé par l’angoisse existentielle, Arghezi soutient un dialogue, tantôt pieux, tantôt irrévérencieux, avec la divinité, oscillant entre la croyance et le doute, vivant intensément le drame de la connaissance et la soif humaine de l’absolu, célébrant la beauté de la femme. Toujours imprévisible, Arghezi modifie, à chaque recueil, son attitude lyrique et la perspective de son univers. Dans Cărticică de seară (Petit Livre du soir, 1935), il devient le poète de l’espace domestique, de la nature et de la famille comprises selon l’esprit franciscain, tandis que dans Rondes il adopte l’espièglerie de l’âme enfantine. Dans la série de « paysages » intitulée 1907, et publiée en 1955, ses préoccupations sont uniquement sociales, faisant alterner l’inspiration dramatique et la verve satirique. Dans Cantique à l’homme, Arghezi chante un hymne à l’humanité engagée dans un perpétuel processus de dépassement. Ses derniers livres, Frunze (Feuilles, 1961), Poeme noi (Poèmes nouveaux, 1963), sont de troublantes méditations issues de la conscience de l’ultime et de l’implacable séparation.