Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
P

Peel (sir Robert) (suite)

De 1830 à 1834, il se retrouve dans l’opposition. Il combat avec vigueur la réforme électorale proposée par les whigs. Néanmoins, une fois le Reform Bill voté, il considère le nouvel équilibre politique comme irréversible. Lorsqu’en novembre 1834 le roi Guillaume IV, las des whigs, renvoie le gouvernement, il fait appel à sir Robert Peel, devenu leader du parti conservateur, pour former un nouveau ministère. Mais ce ministère ne dure que quelques mois, car Peel, ayant fait appel aux électeurs (son manifeste électoral, le « manifeste de Tamworth », propose une sorte de charte du conservatisme rénové), n’obtient pas de majorité et démissionne.

C’est de 1841 à 1846 que se situe la période la plus féconde et la plus brillante de la carrière de Peel. Revenu comme Premier ministre après les élections de 1841 avec une franche majorité tory, Peel compose un solide gouvernement (parmi les ministres, on ne compte pas moins de six Premiers ministres passés ou futurs et quatre futurs gouverneurs généraux de l’Inde). Tout en faisant face à l’agitation chartiste et libre-échangiste ainsi qu’aux campagnes irlandaises pour l’abrogation de l’Union, il s’efforce d’améliorer les relations avec la France, de développer le commerce et de rétablir l’équilibre du budget, compromis par la gestion antérieure des whigs. À cet effet, il abaisse certains tarifs douaniers et rétablit l’income-tax pour créer de nouvelles recettes (1842-43). Il porte un coup sévère au nationalisme irlandais en interdisant les meetings d’O’Connell et en faisant arrêter celui-ci. Puis, convaincu que le libre-échange correspond à l’intérêt du pays, il se décide à prendre la mesure historique : en 1846, les lois sur les blés (Corn Laws) sont abrogées. Mais cette décision, où se révèle la hauteur de vues de Peel en même temps que son génie d’homme d’État, se heurte à l’opposition farouche des conservateurs les plus attachés aux intérêts de la propriété foncière. D’où une scission désastreuse dans le parti conservateur : d’un côté, les « peelistes » suivent Peel sur la voie du libre-échange ; de l’autre, les « protectionnistes », autour de Disraeli* et Derby, prétendent maintenir la pureté de l’héritage conservateur. Privé d’une partie de ses appuis, Peel doit démissionner peu après (été 1846). Il ne reviendra plus jamais au pouvoir. Le 29 juin 1850, il fait une grave chute de cheval et il meurt le 2 juillet. Cette disparition dramatique suscite une immense émotion, car, en choisissant le libre-échange, Peel s’était acquis une grande popularité dans l’opinion.

F. B.

➙ Conservateur (parti) / Grande-Bretagne.

 A. A. W. Ramsay, Sir Robert Peel (Londres, 1928). / G. S. R. K. Clark, Peel and the Conservative Party (Londres, 1929 ; 2e éd., 1964) ; Peel (Londres, 1936). / N. Gash, Mr. Secretary Peel (Londres, 1961) ; Sir Robert Peel (Londres, 1972).

Péguy (Charles)

Écrivain français (Orléans 1873 - Villeroy, près de Neufmontiers-lès-Meaux, Seine-et-Marne, 1914).



« Tout est joué avant que nous ayons douze ans »

L’amour du travail bien fait, une sagesse sérieuse empreinte de probité, une fidélité d’instinct aux valeurs ancestrales : la jeunesse de Péguy frappe par sa gravité, et cette gravité imprimera définitivement sa marque sur les années de l’âge mûr. Nulle déviation dans cette existence, nul reniement, mais un approfondissement, un « ressourcement » perpétuel qui puise ses forces dans une enfance laborieuse et droite.

Plus qu’un autre, Péguy s’est épanoui à la vie lente et monotone d’une province française. En épousant les rythmes d’une tradition séculaire, en se pliant sans effort aux règles d’un jeu qui réclamait l’honnêteté, il a, en dépit de dures réalités matérielles, connu le prix de la paix avec soi-même. Ses succès scolaires d’enfant, il ne les doit qu’à lui seul, quelle qu’ait été la tendresse vigilante d’une mère respectée. Son mérite, c’est d’avoir su choisir très tôt, à la croisée des chemins, la voie de la rectitude.

Il a dix-huit ans quand il quitte le « pays de Loire » pour s’enfermer comme boursier d’État au lycée Lakanal de Sceaux. Un échec au concours d’entrée à l’École normale : Péguy n’est pas l’homme des demi-mesures ; il ne veut et ne voudra jamais couper avec le réel : il accomplit un volontariat d’un an à l’armée. L’année suivante, il est interne au collège Sainte-Barbe. C’est là qu’il arpente la fameuse « cour rose » en compagnie d’amis chers, soucieux, comme lui, de transformer la société et brûlants du désir d’apprendre. Toute classique est sa formation : la lecture des poètes tragiques grecs et celle de Corneille le captivent. Antigone et Polyeucte sont des héros selon son cœur. À ses yeux, la plus grande vertu des auteurs tragiques est de mettre en évidence des questions essentielles par le biais de l’ordre et de la rigueur d’un discours. En eux, Péguy retrouve son goût pour la mesure et un aliment à son inquiétude.


« La révolution sociale sera morale ou ne sera pas »

Quels tourments troublent en effet l’âme de cet adolescent en apparence si assuré ? Péguy a eu la révélation de la misère ouvrière qui hante les rues de Paris. Avec Marcel Baudouin, il a côtoyé bien des détresses. Cette vision ne s’efface pas de son esprit. À peine reçu à l’École normale, Péguy s’inscrit au parti socialiste, qu’il juge seul capable de rénover le monde. En secret, il prépare une Jeanne d’Arc qui est, selon lui, la première incarnation de l’âme socialiste. L’inquiète conscience qu’a Jeanne du mal partout présent est le reflet des questions que Péguy se pose et auxquelles, tout comme Jeanne, il ne peut trouver de réponse. La foi spontanée de la petite Hauviette, la foi lucide et douloureuse de Mme Gervaise sont des témoignages admirables, mais encore inaccessibles. Il importe donc peut-être, avant tout, de chercher le « salut temporel de l’humanité » en instaurant le règne de la justice. Tel sera le sens du Dialogue de la cité harmonieuse, qui, par-delà les thèmes d’une équitable distribution des biens et d’une juste répartition du travail, vise à la fraternité universelle. Plus encore, le socialisme doit être une véritable expérience religieuse, de telle façon que les hommes deviennent « libres pour la vie intérieure » : disparition du mal et « rédemption » de l’humanité. Des années plus tard, Péguy se souviendra que « tout était pur alors, tout était jeune. Un socialisme jeune, un socialisme nouveau, un socialisme grave [...] venait de naître. »